Covid-19 : pourquoi quatre Africains sur dix pensent être des cobayes, par François Soudan
La méfiance des Africains à l’égard du vaccin contre le Covid-19 s’explique par un déficit global de confiance à l’égard des autorités gouvernementales et sanitaires de leurs pays, mais aussi par une série de souvenirs traumatisants transmis de génération en génération.
À Dakar, lors du Forum sur la coopération sino-africaine (FOCAC), Xi Jinping a promis à l’Afrique des vaccins plutôt que des financements. Un milliard de doses de Sinopharm et de Sinovac, soit autant que ce que l’administration Biden a annoncé pour le continent en 2022 et 40 % de plus que les engagements de l’UE en la matière.
« Apartheid vaccinal »
Au-delà de « l’effet Téléthon » parfois gênant que génère cette compétition dans le domaine de la diplomatie vaccinale, jamais le déséquilibre des rapports entre l’Afrique et le reste de la planète ne sera apparu aussi crûment qu’à l’épreuve de la pandémie de Covid-19. En deux ans, le continent n’a reçu que 3 % des doses de vaccin distribuées dans le monde et à peine 8 % des 1,3 milliard d’Africains (dont un quart seulement des salariés du secteur de la santé) sont aujourd’hui vaccinés.
Une disparité choquante qui doit beaucoup à l’égoïsme des pays riches et à l’« apartheid vaccinal » dénoncé par le président sud-africain Cyril Ramaphosa, mais aussi à l’arrivage erratique des doses dans des pays en manque de structures de conservation et de moyens d’administration (personnels, seringues, désinfectant, coton médical…), ainsi qu’à des facteurs culturels aisément explicables à la fois par la conjoncture et par l’Histoire.
Si en Afrique du Sud, en Namibie, au Nigeria, au Zimbabwe, au Malawi, en RD Congo, en Ouganda, des stocks de vaccins dorment au-delà de leur date de péremption dans les réfrigérateurs des hôpitaux, c’est aussi en effet – pourquoi le taire – souvent faute de candidats.
Cette hésitation face au vaccin, qui confine parfois au rejet, s’explique par un déficit global de confiance à l’égard des autorités gouvernementales et sanitaires, en particulier dans des pays qui, comme le Cameroun ou l’Afrique du Sud, ont été secoués par des scandales de détournement des fonds alloués à la lutte anti-Covid. Les campagnes de « fake news » diffusées sur les réseaux sociaux jouent également un rôle de catalyseur, comme partout ailleurs.
« Croisades » de vaccination forcée
Mais la spécificité africaine en ce domaine tient à l’héritage et à la mémoire. Celle des « croisades » de vaccination forcée des années 1950-1960 contre la variole et la poliomyélite lancées par les puissances coloniales, puis reprises à l’époque par les agents de l’OMS ; celle des essais dissimulés de traitements du VIH opérés dans la plus grande opacité par des laboratoires occidentaux auprès d’échantillons de populations africaines dans les années 1980-1990 ; celle aussi du cardiologue sud-africain Wouter Basson, alias « Docteur La Mort », et de son « Project Coast » de stérilisation vaccinale des femmes noires dans les années 1970.
Comment s’étonner dès lors, face à des souvenirs aussi traumatisants transmis de génération en génération, que, selon un sondage récent de l’Africa CDC, 43 % des personnes interrogées dans quinze pays du continent pensent que les Africains sont utilisés comme cobayes par les laboratoires pharmaceutiques du Nord, qu’ils soient américains, européens, russes ou chinois ? Si l’on souhaite réellement « vacciner l’Afrique », autant savoir que déposer des lots de doses sortis du ventre d’un avion cargo sur le tarmac de l’aéroport, sous l’œil complaisant des caméras et en présence de l’ambassadeur du généreux pays donateur, ne sert avant tout qu’à alimenter la propagande de ce dernier.
Faute d’avoir su établir une relation de confiance, au point parfois d’user de la contrainte physique, la campagne de vaccination contre la variole en Afrique a duré trente ans – de 1959 jusqu’à la toute fin des années 1980. Mieux vaut s’en rappeler afin d’éviter les mêmes erreurs, dont la moindre n’est pas de stigmatiser l’Afrique australe et son pseudo variant bantou pour avoir découvert avant les autres la dernière mutation du virus prédateur.