Guinée : comment Mamadi Doumbouya tente de conquérir les nostalgiques de Sékou Touré

Par  - à Conakry
Mis à jour le 20 décembre 2021 à 16:58
 


Mamadi Doumbouya, président de la transition en Guinée. © JOHN WESSELS/AFP

 

Il y a quelques jours, le président de la transition a officiellement restitué l’imposant domaine des Cases de Bellevue à la veuve d’Ahmed Sékou Touré, avant de renommer l’aéroport de Conakry du nom de l’ancien chef de l’État. Des gestes qui pourraient cependant heurter les proches des victimes de ce dernier.

« C’est aux Cases de Bellevue que vivait mon mari quand il est tombé malade, avant son évacuation à Cleveland aux États-Unis, où il est décédé [le 26 mars 1984] », se remémore Andrée Touré, la veuve d’Ahmed Sékou Touré. À 87 ans, l’ancienne Première dame de Guinée a encore toute sa mémoire. Seules quelques dates échappent à cette femme que le temps a fini par contraindre à se déplacer à l’aide d’un déambulateur.

Ce n’est pas dans ce lieu si cher à sa famille qu’Andrée Touré reçoit Jeune Afrique en ce mois de décembre, mais dans une autre concession familiale, plus modeste, la villa Syli, « éléphant » en Soussou, l’animal fétiche de Sékou Touré. Lorsqu’elle est rentrée, en 1997, après onze années d’exil, c’est là que Lansana Conté avait décidé qu’elle s’installerait, ordonnant aux Français qui y résidaient de lui restituer.

Il lui aura donc fallu attendre près d’un demi-siècle et la décision de Mamadi Doumbouya pour que l’État lui donne le droit de reprendre possession des Cases de Bellevue. Engagé dans une grande offensive de charme au nom du rassemblement, Mamadi Doumbouya a décidé de multiplier les actes symboliques. Depuis son putsch en septembre dernier, le militaire a régulièrement appelé Andrée Touré et est allé se recueillir sur la tombe du premier président du pays.

Réveiller les souvenirs

Le 10 décembre 2021, il a signé le décret de restitution du lieu. Puis, le lendemain, c’est le grand-frère du président de la transition, accompagné du haut commandant de la gendarmerie nationale, le colonel Balla Samoura, qui a été dépêché pour aller chercher Andrée et la conduire aux Cases de Bellevue. « J’étais si émue que je n’ai pu dire même merci. La visite a réveillé en moi les souvenirs des derniers instants de mon mari », confie l’ancienne Première dame. Elle n’est pas certaine aujourd’hui de vouloir y vivre, même si elle n’a pas encore tranché la question. Elle attend de connaître l’avis de son fils Mohamed, incarcéré aux États-Unis [Mohamed Touré a été condamné en 2019 à sept ans de prison ferme pour avoir asservi une jeune Guinéenne, NDLR], et de sa belle-fille Aminata, hospitalisée au Maroc.

Les Cases se situent sur un vaste espace du quartier de Bellevue, au bord de l’océan Atlantique (nord), dans un quartier résidentiel abritant les propriétés des dignitaires des régimes successifs. Avant d’être viabilisé, le domaine était un dépotoir d’ordures où Andrée Touré a cultivé du riz la première année suivant son acquisition. « Les dix sacs de ma récolte ont tous été redistribués par mon mari », se souvient-elle.

À l’ombre des manguiers, des cocotiers et des acacias, entourées de tortues et de paons, les « Cases de Bellevue » sont un vaste domaine. Il y a d’une part quatre cases à proprement parler, faites de murs en béton, recouvertes de tôles et non de paille. Leur plafond sont un véritable chef-d’œuvre de pailles délicatement entremêlées, comme si Sékou Touré voulait rapprocher de lui la Case à palabres à Dalaba, construite en 1930 pour servir de cadre de concertations entre les chefs de canton, et que le premier président guinéen aimait fréquenter avec ses hôtes étrangers. Bien après le règne de l’ex-président, les lieux ont d’ailleurs hébergé des réunions de chefs d’État. Sur le domaine, cinq autres villas, offertes à Andrée Touré par le roi marocain Hassan II, ont ensuite été construites.

Une décision polémique

Depuis son départ en exil en 1986, Andrée Touré n’a cessé de demander la restitution des lieux. D’aucuns disent que Lansana Conté (au pouvoir entre 1984 et 2008) avait déjà signé une ordonnance de restitution des Cases de Bellevue. « Des biens d’anciens dignitaires du régime de Sékou Touré avaient été restitués sans tintamarre, d’autres non. C’était selon ses humeurs, quand des considérations ethniques n’étaient pas mises en avant », conteste Amadou Damaro Camara, témoin privilégié de l’époque. Puis, Alpha Condé, qui tenait à « reprendre la Guinée là où Sékou Touré l’avait laissée » était resté sourd aux sollicitations de la famille. Pourquoi ? « Je ne peux pas y répondre », coupe court Camara, qui fut également président de l’Assemblée nationale sous l’ex-président déchu.

La veuve de l’ancien président a désormais été entendue. Et doublement. Quelques jours après avoir repris officiellement possession des Cases, elle a appris que Mamadi Doumbouya venait de renommer l’aéroport de Conakry du nom de son mari. Une décision prise sans même avoir consulté le gouvernement, ni le Premier ministre. Il n’était en effet pas certain que son choix contente toute la classe politique. Mohamed Béavogui est lui-même le neveu de Diallo Telli, la victime la plus emblématique du camp Boiro et de Sékou Touré.