Wagner: «Il y a une volonté bien réelle des élites dirigeantes maliennes de changer les alliances»

Plusieurs partenaires internationaux du Mali ont condamné le déploiement du groupe paramilitaire russe Wagner au Mali. Parmi ces signataires, la France, l’Allemagne, ou encore le Canada, qui craignent une dégradation de la situation sécuritaire en Afrique de l’Ouest. Pour ces partenaires, la présence de ces éléments russes pourrait « mener à une aggravation de la situation des droits de l’homme au Mali. » Qu’en est-il réellement ? Pourquoi autant de crispations autour de ce nouveau partenariat ? Quels sont les risques pour le Mali ? Bineta Diagne s’entretient avec Jean Hervé Jezequel, le directeur du projet Sahel à l’International Crisis Group.  

RFI : Jusque-là, il y avait énormément de rumeurs et de scepticisme sur la volonté des autorités maliennes de nouer un partenariat avec le groupe paramilitaire russe Wagner. Qu’est-ce que cette condamnation apportée dans ce communiqué de presse vient apporter de plus aujourd'hui ?

Jean-Hervé Jézéquel : Ce communiqué, en quelque sorte, traduit le fait qu’effectivement au Mali il y a une volonté de guerre bien réelle d’une partie des nouvelles élites dirigeantes maliennes, de changer les alliances ou du moins procéder à de nouveaux choix, de solliciter la venue d’autres acteurs militaires.

Pourquoi malgré les pressions internationales, les autorités maliennes ont-elles, finalement, fait ce choix-là ?

Ce choix des autorités maliennes, je crois que d’un côté on peut comprendre en réalité après huit années d’interventions internationales dans la région qui ont échoué à endiguer l’expansion des groupes jihadistes. Après aussi, il y a quelques mois, le choix assez unilatéral du président Macron de revoir le dispositif militaire français au Sahel et au Mali en particulier, choix dont il avait fait part à ses homologues de la région, mais qui est un choix assez unilatéral. Face à cela, on peut comprendre que les autorités maliennes de transition veuillent essayer de donner une nouvelle direction au dispositif de stabilisation et de réponses à la crise violente. Après, on peut regretter la forme que prend ce choix. Inviter un acteur militaire de plus dans un espace saturé en groupes armés, qu’ils soient étatiques ou pas. Et puis aussi, le choix bien particulier d’une compagnie de mercenaires, et puis de cette compagnie de mercenaires Wagner dont on sait par ailleurs qu’elle a, par exemple, en Centrafrique un bilan déjà assez sombre en termes d’abus sur les populations civiles. Et puis aussi, une présence qui ne s’est pas accompagné d’un rétablissement de l’État dans ce pays-là.

Quel impact le déploiement des mercenaires russes peut-il avoir sur le dispositif français déjà déployé sur le terrain ?

Cela pourrait effectivement entrainer une accélération du redéploiement de la force française. On a déjà la fermeture de trois bases ces dernières semaines. Il en reste quelques-unes. Les Français pourraient choisir de se redéployer plutôt sur d’autres pays. Le Niger en particulier. Ils pourraient choisir également de penser que, au fond, face à l’expansion des groupes jihadistes, l’essentiel c’est aujourd’hui de préserver les pays côtiers de l’Afrique de l’Ouest et que, dans ce dispositif-là, le Mali n’est plus un allier suffisamment fidèle et crédible. C’est possible.

Les partenaires du Mali qui sont signataires de ce communiqué estiment que la présence de mercenaires russes remet en question l’accord de paix d’Alger. Est-ce que ces craintes-là sont avérées ?

Il est sans doute encore trop tôt pour savoir et pour affirmer que cette affaire et le déploiement de Wagner auraient des effets délétères sur l’application de l’accord de paix. Il est trop tôt parce qu’on ne sait pas, au fond, quel sera le format de cette force, quelles seront ses missions, quelle sera la géographie de son déploiement. On est encore dans l’expectative. Il est d’ailleurs possible que cette force se concentre sur des missions d’abord de protection des institutions et des autorités maliennes à Bamako. Éventuellement, elle pourrait aussi concentrer ses premières missions sur le centre du pays, sur une mission visant à contenir l’expansion des groupes jihadistes qui ont tendance de plus en plus à menacer les régions méridionales. Cette force Wagner pourrait-elle être utilisée pour aller combattre au nord et y rétablir l’autorité de l’État ? C’est une possibilité, c’est même une crainte pour un certain nombre de groupes politico-militaires du nord qui sont signataires de l’accord de paix inter-malien. Mais on en n’est pas encore là.