Cedeao : rien ne va plus dans le ciel du Mali
En quarante-huit heures, le ciel du Mali s’est assombri. Vols déroutés ou annulés, « violation » de l’espace aérien… Les compagnies aériennes hors Cedeao ne savent plus sur quel pied danser
En réponse aux sanctions imposées par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) et l’Union économique et monétaire ouest africaine (Uemoa), le ministère des Transports et des Infrastructures du Mali a indiqué le 10 janvier, dans un communiqué de presse, la fermeture des frontières terrestres et aériennes du pays avec les 14 États membres de la Cedeao « conformément au principe de réciprocité ».
Une décision non sans conséquences sur le programmes de vols des compagnies aériennes hors Cedeao, qui ont dû vite s’adapter. Alors que le DG des Aéroports du Mali, le colonel Lassina Togola a indiqué dans un communiqué officiel, le 10 janvier, que « les vols des compagnies non Cedeao continueront à desservir les aéroports du pays, mais des perturbations seront observées du côté des compagnies aériennes qui passent par les pays de la Cedeao pour des raisons techniques d’organisation des routes aériennes ». En pratique, les chambardements vont au-delà des simples « perturbations ».
Fermeté d’Air France
Face à l’incertitude, Air France a d’abord suspendu, le lundi 10 janvier, ses vols Paris-Bamako tout en indiquant sur son site web « suivre la situation en temps réel pour informer ses clients de toute évolution de son programme de vol de et vers Bamako ».
Le 11 janvier, deux vols Paris-Bamako (AF592 et AF 358) ont été déroutés vers Monrovia, au Liberia, alors qu’un avion de la compagnie française (AF4140) s’est bel et bien posé à Bamako, avant de se rendre à Nouakchott. Pour rappel, la Mauritanie ne fait pas partie des pays membres de la Cedeao.
Le mercredi 12 janvier, le transporteur français a annoncé « suspendre ses vols de et vers le Mali avec effet immédiat et jusqu’à nouvel ordre ».
Air France a par la suite confirmé à Jeune Afrique que « cette mesure a été prise en application de la décision des autorités françaises. Les clients concernés sont informés individuellement ».
CETTE DÉCISION BRUSQUE A ÉTÉ PRISE SANS CONSULTATION PRÉALABLE ET SANS QU’AUCUNE JUSTIFICATION NE SOIT DONNÉE AUX AUTORITÉS MALIENNES
En conséquence, le vol AF4142 du 12 janvier assurant la liaison Paris-Bamako ; Nouakchott-Paris et le vol AF4141 Bamako-Paris ont été supprimés. Les trajets de et vers Bamako programmés les jours suivants seront également annulés jusqu’à nouvel ordre.
La ministre malienne des Transports, Dembelé Madina Sissoko, a rétorqué en déclarant que « cette décision brusque a été prise par Air France sans consultation préalable et sans qu’aucune justification ne soit donnée aux autorités aéronautiques maliennes».
Confusion généralisée
Mauritania Airlines a suspendu toutes les liaisons directes avec le Mali et dérouté vers Dakar, Abidjan et Cotonou, tous ses vols initialement prévus pour Bamako.
Ethiopian Airlines a elle aussi modifié ses itinéraires de vols pour les trajets à destination de Bamako. La compagnie a cependant déclaré que ses vols vers la capitale malienne ne sont pas totalement suspendus, mais qu’ils sont désormais opérés avec des numéros de vol différents. Tunisair, Smartwings, Turkish Airlines ont quant à elles maintenu jusqu’à hier quelques arrivées à l’aéroport international Modibo-Keïta-Senou.
Les données des traqueurs de vols en temps réel démontrent l’isolement du Mali : depuis des heures, aucun avion n’a percé son ciel. Une situation qui risque de perdurer. En effet, le boycott de la part de compagnies telles qu’Asky Airlines, Air Côte d’Ivoire, Air Burkina ou encore Air Sénégal a un lourd impact sur le trafic aérien du pays enclavé.
En temps normal, une quinzaine de vols au départ de Bamako sont quotidiennement programmés.
Un secteur aérien local défaillant
Le secteur aéronautique malien est connu pour ses multiples déboires. Entre Air Mali, qui a cessé ses activités en 2012, Mali Air Express dépossédé de sa flotte, Mali Air ou encore Mali Airways et Trans Air mort-nés, le pays n’a pas réussi a maintenir en activité ses pavillons nationaux. Les quelques compagnies tenaces toujours dans la course se retrouvent aujourd’hui, plus que jamais, prises au piège.
Parmi elles, la jeune compagnie Sky Mali, fondée en 2020, et la compagnie aérienne de charter SAM Intercontinental.
« Violation » de l’espace aérien
Mercredi 12 janvier, l’Agence pour la sécurité de la navigation aérienne en Afrique et à Madagascar (Asecna) a signalé aux autorités maliennes une « violation de son espace aérien par un avion militaire français ». Il s’agit précisément d’un aéronef A400, immatriculé FRBAN, ayant effectué un aller-retour Abidjan-Gao. Pour rappel, l’armée française a une base militaire à Gao. Selon Paris, le blocus ne concerne pas les opérations et transports militaires.
Les autorités maliennes, elles n’ont pas tardé à accuser le coup en dénonçant dans un communiqué de presse paru le 12 janvier « cette violation de l’espace aérien du Mali auprès des autorités françaises qui ont, au demeurant, décidé de soutenir les sanctions de la Cedeao ». « Ledit aéronef, qui était en violation manifeste de l’espace aérien malien, avait à la fois éteint son transpondeur pour ne pas être identifié et coupé la communication avec les organismes maliens de contrôle aérien », précise ce même document.
Le Mali indique par ailleurs décliner « toute responsabilité relative aux risques auxquels les auteurs de ces pratiques pourraient s’exposer, en cas de nouvelle violation de notre espace aérien ».
Pourtant, outre les restrictions de la Cedeao, la France est liée au Mali par des accords de défense. Un document officiel publié par le ministère nigérien de la Défense stipule par ailleurs que le Niger, membre de la Cedeao, « n’a pas d’objection pour les vols militaires vers le Mali ».
Selon les déclarations officielles d’un militaire concerné par cette affaire, « toutes les procédures ont été respectées. L’avion a déposé un plan de vol qui a été approuvé par les autorités maliennes. Et comme le veut la procédure suivie à chaque fois, à l’entrée de l’espace aérien malien, on bascule le transpondeur en mode de fonctionnement militaire. Pour nous, il n’y a pas de sujet ». La France engagée au Mali aux côtés de la force de l’ONU (Minusma) y effectue constamment des vols pour ses approvisionnements et opérations.