Mali : demain, la vie sans l’or ?

Mis à jour le 14 janvier 2022 à 10:42
 


Une mine de production du complexe minier aurifère de Loulo-Gounkoto, exploité par Barrick.. © Simon Dawson/Bloomberg via Getty Images

 

Principale source de devises du pays, l’or malien paraît, en partie, protégé de l’embargo terrestre de la Cedeao. Mais le pays, malgré des cours en hausse, fait face à l’épuisement des ressources. Comment les opérateurs miniers peuvent-ils y remédier ?

Le secteur aurifère malien se porte bien. Il faut dire que le cours de l’or n’arrête pas de grimper (il trône autour de 1800 dollars l’once en ce début de 2022). En même temps que le cours de l’or, le nombre de mines a fortement augmenté ces dernières années. De cinq exploitations en 2005 et sept en 2010, le Mali est passé à quatorze mines actuellement en activité. Environ 40 permis d’exploitation minière dans le domaine de l’or sont actifs au Mali, dont 11 attribués en 2021 selon le ministère des Mines.

L’écrasante majorité de la production nationale d’or du Mali provient des sites industriels, contre un peu moins de 10% pour l’exploitation artisanale. Avec quelque 70 tonnes produites par an en 2020 et en 2021 (contre 42 tonnes annuelles dix ans plus tôt), l’or représentait près de 80 % des ressources exportées par le Mali, indique le ministère des Mines, de l’Énergie et de l’Eau, devançant de très loin le coton et les produits agricoles.

Cette ressource est d’autant plus précieuse pour les finances publiques du pays alors que Bamako fait face depuis le 09 janvier à un embargo des pays de la Cedeao – à l’exception de la Guinée, elle-même sous le coup de sanctions – qui mettent en péril les exportations par voie terrestre des biens maliens. Les exportations d’or réalisées par voie aérienne, vers la Suisse et les Émirats qui pour l’instant ne se sont pas prononcés sur les sanctions de la Cedeao, représentent une bouffée d’oxygène pour l’exécutif malien.

 

                                                                                                                     "Évolution du cours de l’or (dollars par once) depuis 25 ans." 

400 permis de recherche

Pour autant, avertissent les professionnels de cette industrie, il s’agit d’un secteur cyclique. « Et les ressources commencent à s’épuiser », met en garde Sidi Oumar Haidara, directeur commercial de l’australien Marvel Gold, qui fait de l’exploration au Mali.

« Si on prend l’exemple de Morila [l’une des plus importantes mines du pays, située au sud de Bamako], la teneur en or était autrefois de 100 g, on est aujourd’hui à 1 ou 2 g », précise Chiaka Berthé, responsable des opération en Afrique de l’Ouest du canadien Barrick, numéro un mondial de la production aurifère. En 2020, le mastodonte a cédé l’exploitation du site à la junior australienne Firefinch Ltd. afin de lui offrir une seconde jeunesse. Dans un rapport de mars 2021, Barrick estimait que sa production à Morila avait baissé de 239 000 onces d’or en 2010 à seulement 37 000 onces en 2020.

IL FAUT TROUVER DE NOUVEAUX GISEMENTS

Morila, dont ont été extraites près de sept millions d’onces d’or en deux décennies, n’est pas la seule à voir ses ressources se tarir. Selon les données de janvier 2021 de l’Institut d’études géologiques des États-Unis, référence en la matière, les réserves d’or du Mali, en l’état actuel des découvertes, sont estimées à 800 tonnes, soit le plus faible niveau parmi les 10 premiers producteurs mondiaux.

Aussi, en plus de rafraîchir les installations déjà existantes, les compagnies minières actives au Mali mettent surtout le cap sur l’exploration. « L’unique solution, c’est la recherche minière, il faut trouver de nouveaux gisements », tranche Sidi Oumar Haidara.

À ce jour, 400 permis pour la recherche sont en cours, indique le ministère malien des Mines, qui a vu les demandes de licences d’exploration exploser depuis 2014. Si de nombreuses compagnies minières rechignent à communiquer sur les investissements opérés, le canadien Barrick, qui exploite le complexe aurifère de Loulo-Gounkoto dans le sud-ouest du pays, près de la frontière sénégalaise, assure avoir dépensé 100 millions de dollars dans l’exploration à travers le monde, en 2019 comme en 2020.

Manganèse et fer

Autre objectif, afin d’assurer la pérennité des compagnies présentes au Mali : la diversification des ressources exploitées. « L’or est une ressource finissante, il faut donc diversifier, s’orienter vers des secteurs plus pérennes », assure Chiaka Berthé.

L’EXTRACTION DE MANGANÈSE OU DE FER EST PARTICULIÈREMENT ÉNERGIVORE, CE QUI FREINE BEAUCOUP D’ENTREPRISES

Ainsi, les autorités maliennes pointent une augmentation des demandes d’exploration pour le manganèse, avec une dizaine de permis de recherche émis, et le fer, avec cinq permis délivrés en 2021. Des chiffres qui semblent peser bien peu par rapport à ceux de l’or. « Malgré notre forte volonté de diversifier le secteur, il est plus facile d’exploiter l’or que le manganèse ou le fer. Pour ces derniers, l’extraction est particulièrement énergivore, la transformation aussi. Cela freine beaucoup d’entreprises », admet Lassana Guindo, conseiller technique au ministère.

Le grand paradoxe

Reste une question, qui revient sans arrêt : « Comment se fait-il que les bénéfices de l’or malien ne se ressentent toujours pas dans le panier de la ménagère ? », interroge Mamadou Keita, ingénieur spécialisé en économie minière. « C’est en effet le grand paradoxe, reconnaît Lassana Guindo, l’or représente 80 % de la balance commerciale, mais pèse à peine 8 % du PIB. » Au sein des différents consortiums qui exploitent l’or malien, la part de l’État plafonne à 20 %, et l’économie aurifère reste fortement extravertie. « Une question d’investissements », défend Abdoulaye Maïga, directeur de l’exploration chez Segala Mining (filiale du canadien Endeavour Mining).

De son côté, Barrick Gold soulignait en novembre 2021 que « les opérations de Barrick/Randgold ont contribué pour environ 8 milliards de dollars à l’économie malienne sous forme de taxes, redevances, salaires et paiements aux fournisseurs locaux au cours des 24 dernières années », dont pas moins de « 4,3 milliards de dollars américains sous forme de dividendes, d’impôts et de redevances à l’État sur 24 ans ».