Côte d’Ivoire : au PDCI, Guikahué tente de garder les manettes
Affaibli par de récentes décisions d’Henri Konan Bédié au sein du PDCI, le secrétaire exécutif, Maurice Kakou Guikahué, compte bien ne pas se laisser faire.
Jeudi 13 janvier 2022. Le siège du PDCI à Cocody est plein à craquer. Élus, délégués et militants ont répondu présents à l’invitation du secrétaire exécutif en chef, Maurice Kakou Guikahué. Quelle annonce compte-t-il faire ? La fébrilité est palpable alors que depuis des semaines, une bataille sourde oppose différents camps et que le secrétaire exécutif semble désavoué. Jusque là tout-puissant, Maurice Kakou Guikahué a vu ses prérogatives réparties entre plusieurs autres cadres du parti, après une vague de nomination opérée par le président du PDCI, Henri Konan Bédié.
Dans ce contexte, la tenue de cette réunion est étonnante. Niamkey Koffi, nommé mi-novembre secrétaire exécutif chargé de l’encadrement des membres des grands conseils régionaux et par ailleurs coordonnateur général des élections au PDCI, aurait dû avoir son mot à dire dans son organisation. Pire, Georges Philippe Ezaley, nouveau secrétaire exécutif en chef adjoint, chargé des sections, des délégations départementales, communales et des relations avec les partis politiques nationaux, aurait dû être consulté. Enfin, les présidents de groupes parlementaires sont habituellement associés, ce qui n’a pas été le cas.
Nouvelle donne
Tous se sont néanmoins réunis au siège du parti pour écouter les propos de Guikahué. Le secrétaire exécutif prend la parole et exhorte d’abord les participants à venir en aide aux militants afin qu’ils obtiennent leurs cartes d’identité, pour qu’ils puissent voter pour les prochaines élections. « Comment nous organiser pour tirer profit des instruments que le gouvernement a mis à la disposition des populations dans le cadre de l’identification des Ivoiriennes et des Ivoiriens ? Cette question est primordiale pour tout parti politique dont l’objectif est la conquête du pouvoir d’État », insiste-t-il. « La dernière réunion a été houleuse, rapporte un membre du secrétariat exécutif. Chacun se plaignait de Guikahué, qui a été par moment acculé mais s’est bien défendu. Les gens peuvent le critiquer mais en attendant c’est lui qui gère le parti au quotidien », rapporte un membre du secrétariat exécutif.
Il saisit également l’occasion pour faire le point des ses récentes activités, dont une tournée à San Pédro et expliquer sa vision de sa nouvelle mission. « Le Secrétariat exécutif consacrera dorénavant plus d’énergie sur l’étendue du territoire national et à l’extérieur du pays pour renforcer la présence du parti auprès des couches sociales dans toutes leurs diversités », annonce Guikahué. Tout malentendu a-t-il été dissipé ? Pas si sûr. Cette tournée pourrait avoir des répercussions sur celle en cours de préparation de Georges Philippe Ezaley, qui a lui aussi annoncé vouloir aller à la rencontre des délégations et recueillir leurs préoccupations dans les semaines à venir. La réticence de Guikahué de se voir flanquer un adjoint a été perçue comme une défiance dans l’entourage du président. Mais lors d’une cérémonie d’installation du secrétariat exécutif réaménagé le 9 décembre dernier qui a pris des allures de serment d’allégeance à Henri Konan Bédié, Guikahué avait semblé accepter la nouvelle donne.
GUIKAHUÉ A LONGTEMPS ÉTÉ PRÉSENTÉ COMME LE NUMÉRO DEUX DU PARTI
Nommé à l’issue du congrès de 2013, Maurice Kakou Guikahué est un collaborateur de longue date avec Henri Konan Bédié. Au fil des années, les deux hommes ont tissé une relation de confiance. Ancien ministre de la Santé sous Bédié jusqu’au coup d’État en 1999, Guikahué a longtemps été présenté comme le numéro deux du parti. S’il a été maintenu à son poste malgré les réaménagements en cours, le secrétaire exécutif a progressivement perdu des prérogatives qui le rendaient très influent.
Marginalisé
En réalité, depuis sa sortie de prison en décembre 2020 et son hospitalisation en Côte d’Ivoire et en France, Guikahué n’a plus retrouvé sa place de choix auprès de Bédié. Le 10 avril, à l’occasion du lancement des célébrations du 75e anniversaire du PDCI, Bédié avait annoncé sa volonté de moderniser le parti, de renforcer la démocratie interne, de faire une place aux jeunes et de capitaliser sur les ressources internes. Les transformations qu’il a effectuées dans ce sens ont permis de répartir les responsabilités. « Ce n’est ni une sanction, ni une injustice, il est normal que des changements s’opèrent, confie un membre du parti. On n’exerce pas des fonctions viagères. »
« Il y a quelque chose qui est de l’ordre du conflit de compétences dans la séquence que nous vivons, alors que tout est clair et que les rôles sont définis », estime un cadre du parti. « La réforme donne un nouveau souffle au parti dans la dynamique du congrès. Mais il y a un défaut de pédagogie sur le nouvel attelage », ajoute-t-il.
UNE GUERRE DE POSITIONNEMENT SE JOUE
Mais cette réforme, même si elle ne vise personne comme l’assurent les proches de l’ancien président, fait des mécontents. Jusqu’alors, c’est le chef du secrétariat exécutif qui proposait au président les délégués à nommer, ce qui octroie un certain pouvoir. Ceux-ci avaient des compétences qui s’étendaient aux questions électorales. « Dans la pratique, les délégués qui ont été cooptés par Guikahué sont pour la plupart ses soutiens », glisse un observateur du parti. Guikahué était également chargé du grand conseil régional constitué de près de 8 000 cadres politiques ventilés au sein des régions et délégations. Mais avec le nouveau dispositif, cela est appelé à évoluer. Les délégués étant désormais placés sous la tutelle de Georges Philippe Ezaley et les questions électorales, prises en charge par Niamkey Koffi. « Avec cette réforme du parti, Bédié a dissout les prérogatives entre différentes personnes qui ne se parlent pas. Résultat, tout le monde se neutralise », poursuit le membre du secrétariat exécutif.
Confusion
Certains membres du parti sont agacés par l’attitude du secrétaire exécutif et lui reprochent d’entretenir la confusion. « Sa stratégie ne marchera pas car les personnes concernées sont vigilantes. Nous savons ce que nous faisons. Ceux qui sont nommés sont en train d’effectuer un travail préparatoire avant d’attaquer le terrain. C’est le président qui les a désignés et ils lui rendent compte régulièrement. Chacun est à sa place et fait son travail. L’avenir nous dira qui essaye de survivre », tacle un autre cadre du parti.
Mais pour Guikahué, ce sont les textes mêmes du parti qui lui permettent d’entreprendre ces actions. Depuis la mise en place de la nouvelle organisation, Guikahué a entrepris une offensive sur le terrain et dans les médias, notamment dans le Nouveau Réveil, proche du parti, et dit préparer le congrès prévu en 2022. Pourtant, celui-ci est préparé par le bureau politique, fait observer un membre du parti. Un cadre du PDCI s’interroge : « Il apparaît clairement que Bédié ne fait plus autant confiance à son secrétaire exécutif. Mais alors, pourquoi ne le révoque-t-il pas ? »
Une guerre de positionnement se joue, et en l’absence d’un rappel à l’ordre d’Henri Konan Bédié, la confusion règne toujours. Mais le message de Guikahué est clair : il faudra compter avec lui pour le futur du PDCI.