Les grandes pénuries de retour en Algérie
Obsédé à l’idée de conserver son bas de laine, le pouvoir algérien pénalise sa population en fermant le robinet des importations.
Alger
De notre correspondant
Spectacle improbable en cette matinée d’hiver dans une rue d’El Biar, sur les hauteurs d’Alger. Deux queues de plusieurs dizaines de personnes se font face sur le trottoir. L’une devant un laboratoire d’analyses, pour les tests Covid en pleine quatrième vague, l’autre pour acheter le lait en poudre, devenu rare depuis quelques jours. Les grandes pénuries sont de retour en Algérie. Après la pénurie d’eau et d’oxygène l’été dernier durant la troisième vague de la pandémie de Covid, la liste ne cesse de s’allonger : lait, huile, automobiles, pièces de rechange, etc. « Le gouvernement a bloqué en juillet une autorisation sanitaire qu’il accordait auparavant aux importateurs de poudre de lait. Ceux-ci ont prévenu que cela allait conduire à une rupture de la chaîne d’approvisionnement, mais personne n’a réagi », explique un distributeur dans la presse. Lorsque les tensions se sont fait sentir à la mi-décembre, les importations ont été rétablies.
Mais il était trop tard. « Il faut cinq à six mois maintenant pour recevoir sa commande », soupire-t-il. Même procédé pour la matière à transformer l’huile de table. Verrouillage en été, pénurie en hiver.La combinaison des pénuries de lait et d’huile entretient, parmi d’autres, une colère sourde contenue pour le moment par l’autodérision collective. Des montages de photos et de vidéos où la bouteille d’huile campe le rôle d’une mariée ou d’une voiture de luxe font florès sur les réseaux sociaux. Même les importations de médicaments ont été contingentées. Un anticoagulant très recherché dans le traitement des formes pulmonaires du Covid est en rupture depuis la remontée des contaminations mi-décembre. Ce n’est pas le seul.
« On dit que le président Tebboune est hanté par les réserves de changes en devises. Il ne faut plus qu’elles baissent. Alors tout est bon pour réduire les importations », rapporte un ancien ministre. L’Algérie s’agrippe à son bas de laine de 44 milliards de dollars, au point de créer des tensions sur les approvisionnements dignes de pays hyperendettés.
Dans le cas de l’huile, c’est une loi vite adoptée, sur instruction présidentielle, qui a serré les boulons pour punir de trente ans de prison les « spéculateurs ». « Mes adhérents me disent qu’ils ne veulent plus acheter d’huile, pour ne pas avoir de stock dans leurs dépôts, de peur d’aller en prison », explique Abdelkader Gouiri, président de la Chambre de commerce et d’industrie. La population supporte de moins en moins ce régime drastique de limitation des importations. Un classement tourne le pays en dérision : avec 15 453 véhicules, l’Algérie est le pays où l’on a vendu le moins de voitures neuves en 2021 dans le monde arabe. En fait, la pénurie de voitures neuves dure depuis trois ans, faute d’importations et à cause des usines d’assemblage à l’arrêt. Le gouvernement a suspendu leur activité en 2019 en prétextant qu’elle était trop avantageuse pour les constructeurs étrangers et leurs partenaires proches du clan Bouteflika.
Les Algériens n’arrivent même plus à faire face comme il y a vingt ans avec le marché de l’occasion, fermé lui aussi. La pandémie a encore noirci le tableau. « Un aller-retour à Barcelone ou Marseille coûte plus de 250 €. Avant, j’arrivais à amortir mon voyage en rapportant ce qui manque ici. Maintenant, c’est impossible, avec le taux de change du dinar au noir, qui a encore baissé depuis deux ans », explique Sofiane, binational habitué du marché du « cabas », comme on l’appelle ici. « Le prix de l’occasion a tellement flambé que plus personne ne veut se séparer de sa vieille auto de peur de ne rien pouvoir acheter ensuite. Ma Renault Clio de 2013 coûte aujourd’hui plus cher que son prix neuf », raconte Samia, commerciale dans une agence de communication. Les classes moyennes algériennes ont déjà fait leur deuil pour de nombreux produits de qualité importés, tels que les chocolats, les céréales ou le saumon, devenus hors de portée depuis longtemps. Ils ne supportent pas, comme Samia, que les produits de tous les jours les plongent dans l’indignité, « comme si on vivait dans un pays en banqueroute alors que l’on sait que ce n’est pas le cas ». Du moins pas encore.