La Tunisie asphyxiée par sa dette extérieure 

Analyse

L’État tunisien n’arrive plus à verser à temps les salaires de ses fonctionnaires. Le pays espère obtenir une nouvelle aide du Fonds monétaire international (FMI), mais n’a jamais réussi à redresser ses finances depuis la révolution. Or la paralysie politique retarde les négociations avec le FMI.

  • Oumeïma Nechi, correspondante en Tunisie, 
La Tunisie asphyxiée par sa dette extérieure
 
La Tunisie peine à redresser ses finances depuis la révolution (photo d’illustration).DIONY TEIXEIRA/STOCK.ADOBE

Les finances publiques de la Tunisie sont au plus bas. Fin janvier, pour le deuxième mois consécutif, l’État tunisien a versé les salaires des fonctionnaires avec plusieurs jours de retard. Pour faire face à ses besoins de financement, le gouvernement a eu recours à un emprunt obligataire auprès des Tunisiens, y compris ceux qui vivent à l’étranger. Il a également instauré une nouvelle taxe de 30 centimes sur tous les tickets de caisse de supermarchés et décrété une hausse du carburant, deux mesures très impopulaires.

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Depuis 2011, année de la révolution tunisienne, le pays n’a jamais réussi à stabiliser ses finances publiques. Il a vécu grâce à l’argent du Fonds monétaire international (FMI), auquel se sont ajoutés des prêts bilatéraux. Mais la Tunisie doit faire face à plusieurs échéances : le remboursement de 250 millions de dollars (219 millions d’euros) au Qatar mi-avril, puis un remboursement au FMI en m

La Tunisie endettée à 100 % du PIB

Depuis la « révolution » de 2011, le FMI a accordé trois prêts à la Tunisie pour un montant global de 3,6 milliards de dollars (3,1 milliards d’euros).Le gouvernement tunisien espère aujourd’hui conclure un quatrième prêt en avril, selon la ministre des finances Siham Boughdiri. Mais les négociations sont au point mort, du fait de la paralysie politique actuelle. Or cette nouvelle aide paraît indispensable pour éviter un défaut de paiement et exécuter le budget 2022, le premier à ne pas avoir été voté par le Parlement puisque son activité est suspendue depuis fin juillet…

Ce budget prévoit un déficit de 6,2 % du PIB, alors que l’endettement du pays est déjà proche des 100 % du PIB. Signe de la gravité de la situation, le directeur du Trésor français et président du Club de Paris, Emmanuel Moulin, était récemment à Tunis pour tenter d’accélérer l’aide du FMI.

En attendant de bénéficier d’une nouvelle aide du Fonds, le président Kaïs Saïed a ordonné un audit pour savoir comment a été dépensé l’argent du FMI durant les dix dernières années. Les ministères qui ont le plus bénéficié d’augmentations de crédits sont l’intérieur et la justice, qui ont vu leur budget multiplié par deux et ont massivement recruté. L’éducation et la santé ne peuvent en dire autant…

Inefficacité bureaucratique, corruption et clientélisme

La gestion des dix dernières années a été marquée par « l’inefficacité bureaucratique, la corruption et le clientélisme », résume l’économiste Fadhel Kaboub, professeur à l’université Denison aux États-Unis.Amine Bouzaiene, économiste à l’ONG Marsad Budget, décrit de son côté « un modèle de développement néolibéral qui a failli ».

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D’après les dernières données du ministère des finances, les crédits étrangers ont majoritairement servi, en 2019, à faire les fins de mois du gouvernement en toute opacité. Seule une toute petite partie des crédits, soit 210 millions d’euros, est allée à des projets d’infrastructure, au secteur agricole et à l’éducation.

La Cour des comptes tunisienne faisait la même critique dans un rapport publié en 2018. Elle soulignait la trop grande part de prêts qui est allée au budget de fonctionnement durant la période 2011-2016, au détriment de l’investissement. La Commission européenne, dans un audit réalisé en 2017, constatait que les fonds prêtés à la Tunisie avaient « été répartis entre un trop grand nombre de domaines », et que le gouvernement tunisien n’avait pas élaboré « un plan global de développement national qui soit fiable ».

« Un cercle vicieux depuis trente-cinq ans »

Le pays était déjà endetté à hauteur de 50 % de son PIB en 2011. Les dettes héritées de la dictature n’ont pas été annulées et, depuis, l’État tunisien n’a cessé de vivre en creusant sa dette. Face à cette détérioration des finances publiques, Marsad Budget alerte : « On est dans un cercle vicieux depuis trente-cinq ans : les prêts servent à rembourser la dette extérieure et non à financer les services publics », accuse Amine Bouzaiene.

L’économiste Fadhel Kaboub va dans le même sens, invitant les Tunisiens à se suffire à eux-mêmes : « Les bailleurs de fonds n’aident pas à la transition démocratique », dit-il. La dépendance aux crédits extérieurs contribue au contraire à perpétuer « un modèle économique néocolonial » produisant « un chômage de masse, une exclusion socio-économique et une plus grande dépendance aux importations et à la dette ».

Reste que pour éviter l’asphyxie, l’État tunisien a besoin d’urgence d’une nouvelle bouffée d’oxygène, ne serait-ce que pour pouvoir payer à temps les salaires des fonctionnaires dans les prochains mois…

Cet article a été réalisé dans le cadre d’une initiative soutenue par PAGOF, un projet CFI – Agence française de développement médias, sous l’égide du ministère français de l’Europe et des affaires étrangères ;