Guinée : la tension monte entre le gouvernement et le patron de la Cedeao
Le 17 mai, Jean-Claude Kassi Brou a vivement critiqué la durée de la transition. Il s’est attiré les foudres de membres de l’exécutif de Conakry, venus à la rescousse de Mamadi Doumbouya.
La fin de son mandat à la tête de la Commission de la Cedeao approchant, Jean-Claude Kassi Brou se sent-il pousser des ailes ? Mi-mai, invité à réagir sur la durée de la transition guinéenne, désormais fixée à trois ans, l’Ivoirien n’y est pas allé par quatre chemins. « Les meilleures transitions, ce sont les transitions les plus courtes possibles, déclare-t-il. Une transition qui est issue d’un coup d’État militaire, ce n’est pas un mandat électif. Dans notre région, vous avez des chefs d’État qui sont élus pour cinq ans. Un coup d’État militaire qui s’apparente à un mandat électif, cela pose un problème. »
Un tacle à peine voilé destiné aux militaires guinéens, dont la réponse n’a pas tardé. Lors d’une conférence de presse organisée à l’issue du Conseil des ministres, mercredi 19 mai, Ousmane Gaoual Diallo, ministre de l’Habitat et de l’Aménagement du territoire, a dénoncé une sortie « hâtive et inamicale ». « Nous avons été surpris et déçus, a-t-il poursuivi. En temps normal, M. Brou se prononce après la conférence des chefs d’État dont il porte la parole. Nous avions reçu comme information que la Cedeao allait dépêcher une mission en Guinée, qui allait écouter les autorités, les partis politiques et la société civile pour prendre en compte le contexte guinéen. Et voilà que [le président de la Commission] se prononce sur ce qui devrait être la réponse de la Cedeao ! »
Coup pour coup
Présent lui aussi à cette conférence, le colonel Amara Camara, secrétaire général et porte-parole de la présidence, a été tout aussi direct. « Je dirais avec beaucoup de modestie que c’est un manque d’élégance et de respect pour l’institution que [Jean-Claude Kassi Brou] représente, enchaîne-t-il. Souvent, quand on est dans la passion, on peut perdre la raison. Il est important, à un certain niveau de responsabilité, de dépassionner le débat. »
Si Jean-Claude Kassi Brou a été élu en mars 2018, il n’a prêté serment qu’en juillet de la même année. « Je ne pense pas qu’il soit la bonne personne pour donner des leçons à la Guinée dans la mesure où son mandat est lui-même à questionner, poursuit Amara Camara. Quand on ne peut pas se donner […] une certaine rigueur pour respecter ou faire respecter son mandat, je vois mal comment on pourrait parler des autres. »
Les discussions entre le Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD), au pouvoir à Conakry depuis la chute d’Alpha Condé, le 5 septembre 2021, achoppent autant sur la durée que sur le contenu de la transition. La junte a fait valider une durée de trois ans par le Conseil national de transition (CNT). Elle conditionne le retour à l’ordre constitutionnel à l’exécution d’une série de mesures préalables censées permettre une refondation de l’État, alors que la Cedeao et la classe politique guinéenne s’accordent sur la nécessité de se limiter à l’organisation des élections.
« Une transition n’est pas là pour faire toutes les réformes, a d’ailleurs affirmé Jean-Claude Kassi Brou au micro d’Africa 24. Il s’agit pour une transition de faire en sorte qu’on ait une élection crédible, acceptée par toutes les parties pour qu’il y ait un consensus et la paix. Une transition n’a pas la légitimité pour faire des réformes. [Celles-ci] doivent être faites par un gouvernement issu du peuple. »
Dans une interview à Jeune Afrique publiée en avril dernier, le président de la Commission de la Cedeao conseillait déjà de faire « attention aux illusions que peuvent générer les coups d’État ». « Prendre le pouvoir par la force est toujours néfaste pour l’image d’un pays […]. En Guinée, nous avons expliqué aux autorités que le contexte politique et sécuritaire était bien différent de celui du Mali, et qu’une élection devait être organisée au bout d’une transition de six mois. »
Incident et interpellations
Un discours qui n’a pas convaincu à Conakry, où le ministre Ousmane Gaoual Diallo s’est empressé d’ajouter que Kassi Brou « n’[était] pas exempt de reproche dans la situation de la Guinée ». Une allusion à un incident survenu le 27 octobre 2020, au lendemain de l’élection présidentielle, et dans un contexte de fortes tensions, au domicile de Cellou Dalein Diallo, alors qu’une mission conjointe de la Cedeao, l’UA et l’ONU rendait visite à l’opposant alors retenu en résidence surveillée.
Alors que ladite mission, conduite par Jean-Claude Kassi Brou, arrivait, la directrice de cabinet de Cellou Dalein Diallo, Nadia Nahman, a été brièvement arrêtée par deux policiers. Puis, peu après l’entrevue avec l’opposant, deux vice-présidents de l’UFDG, Fodé Oussou Fofana et Kalémodou Yansané ont, à leur tour, été interpellés durant quelques heures. Près de quatre ans après, l’ancien coordinateur de la cellule de communication de l’UFDG en garde visiblement un mauvais souvenir. « À l’époque, je n’ai pas vu une seule déclaration de Monsieur Brou condamnant cela », s’étonne aujourd’hui Ousmane Gaoual Diallo.