Mali : un projet de loi électorale et déjà des tensions

Des consultations sont menées par le Conseil national de transition (CNT) au sujet d’un projet de loi électorale. Plusieurs points suscitent déjà des crispations.

Mis à jour le 30 mai 2022 à 15:36
 

 

Les Maliens se sont rendus aux urnes le 29 mars 2020 pour des élections législatives. © MICHELE CATTANI/AFP

 

« La majorité des acteurs politiques et de la société civile souhaite que l’Autorité indépendante de gestion des élections proclame les résultats définitifs. Voilà le genre de réforme dont on a besoin ». Samedi 21 mai, la Mission d’observation des élections au Mali (Modele-Mali) a réuni la presse à Bamako pour faire part de ses observations sur le projet de loi électorale et saluer ce qu’elle considère comme étant des avancées.

Mise en place par la Synergie 22, un coalition d’organisations de la société civile, cette mission a pris part aux consultations menées le 12 mai par le Conseil national de transition (CNT) à ce sujet. Elle réclame l’adoption d’une « loi électorale réaliste » pour conjurer les vieux démons des crises post-électorales.

Méfiance

« Aucun Malien ne connait le contenu du chronogramme de 24 mois proposé [par les autorités maliennes] à la Cedeao », déplore Ibrahima Sangho, le chef de la mission. Des mots révélateurs de la méfiance qui s’est installée entre les acteurs politiques, la société civile et le pouvoir malien au sujet de l’organisation des prochaines élections. Prévues officiellement en février 2022, les scrutins présidentiel et législatif n’ont pas eu lieu, et la transition a été prorogée pour une durée de cinq ans maximum à l’issue des Assises nationales de la refondation (ANR) en décembre dernier.

Une décision qui a renforcé l’ire de la Cedeao qui a infligé des sanctions économiques et financières au Mali en janvier. Mais un compromis pourrait enfin se dégager lors d’un nouveau sommet extraordinaire de l’organisation sous-régionale qui doit se tenir début juin.

Autorité indépendante

Parmi les conditions à réunir pour organiser des élections, les acteurs maliens sont unanimes sur un point : la nécessité de réformer le système électoral. Pour ce faire, un projet de loi a été initié par la ministre déléguée en charge des réformes politiques et institutionnelles, Fatoumata Sékou Dicko et déposé sur la table du Conseil national de transition (CNT). Depuis avril, la commission des lois de cet organe législatif mène des consultations afin d’obtenir un consensus sur la réforme à mener.

Selon le professeur de droit public Souleymane De qui préside la commission, « plus de 200 entités ont été écoutées par le CNT, avec en moyenne 7 à 8 entités par jour, alors qu’on visait au début 40 ». « Nous écoutons tous les acteurs pour les rassurer, prendre en compte leurs préoccupations. Si le texte présente des insuffisances notoires qui ne peuvent être corrigées par la commission, on le renvoie au gouvernement. Pour l’instant, nous sommes dans la dynamique d’un texte consensuel », ajoute-t-il.

Le document à l’étude contient entre autres la possibilité du vote électronique, le renforcement de la représentation des femmes, l’instauration du mode de scrutin proportionnel, la prise en compte des Maliens de l’extérieur ou encore le plafonnement et le contrôle des dépenses de campagne. Mais la plus importante réside en la mise en place d’une « Autorité indépendante de gestion des élections (AIGE). »

Cet organe, dont la création est au cœur du débat sur les élections depuis la présidence d’Amadou Toumani Touré [2002-2012], devrait être chargé d’organiser les élections et de proclamer les résultats provisoires. Un rôle-clé qui concentre les attentions… et les crispations.

Interrogations…

Au sein de la classe politique, réunie notamment dans le Cadre des regroupements et partis politiques, des voix s’élèvent pour dénoncer un projet qui n’est pas consensuel.  Le Cadre remet en cause l’indépendance de la commission en charge de choisir les membres de l’organe délibérant de l’Autorité indépendante : « Cette commission sera composée de sept membres dont quatre seraient désignés par le Premier ministre et trois par le président du CNT. Si Choguel Maïga est toujours Premier ministre, ses représentants auront donc la majorité absolue. Les partis politiques s’interrogent en outre sur la mise en place du vote électronique, un choix jugé « hasardeux » pour Amadou Aya, « dans un pays en crise, où il n’y a pas de réseau partout ».

… et réticences

Du côté de la Mission d’observation électorale au Mali, c’est la répartition des tâches qui interroge. Elle souhaite que la Cour constitutionnelle soit dépossédée de la proclamation des résultats définitifs, alors que cela fut l’un des éléments déclencheurs du coup d’État du 18 août 2020.  « Il faut régler ce problème définitivement, afin qu’elle n’apparaisse plus comme juge et partie », estime Ibrahima Sangho. Plus généralement, beaucoup s’inquiètent du manque de dialogue en amont d’une loi aussi capitale.

Au Conseil national de transition (CNT), les auditions sur le projet ont pris fin le vendredi 27 mai, selon la commission loi. Son président, Souleymane De, annonce que la prochaine étape consistera à « aller à la rencontre des Maliens sur le terrain pour des auditions citoyennes qui permettront de  proposer un texte fédérateur». « L’enjeu c’est d’avoir une loi pour éviter à notre pays de tomber dans ses anciens travers. On est en train de prendre en compte ces inquiétudes tant sur le plan scientifique que politique. » Nul ne sait pour l’instant combien de temps prendra ce processus.