Législatives au Sénégal : entre Macky Sall et Ousmane Sonko, la bataille se joue aussi au sein de la diaspora

Depuis 2017, les Sénégalais de l’extérieur sont représentés par quinze députés à l’Assemblée nationale. Mais si la coalition au pouvoir a remporté l’essentiel de ces sièges, l’issue des législatives du 31 juillet s’annonce plus incertaine.

 
Mis à jour le 15 juin 2022 à 13:05
 

 

Parmi les 165 sièges à pourvoir à l’Assemblée nationale (ici en octobre 2012), quinze sont dévolus depuis 2017 aux 500 000 Sénégalais de l’extérieur. © DENIS ALLARD_POOL/SIPA.

 

Malgré un glaucome qui réduit son champ de vision, Amadou Talla Daff, le représentant en France de l’Alliance pour la République (APR), le parti présidentiel, est sur tous les fronts. À la fin de mai, lorsque nous l’avons rencontré à Mantes-la-Jolie (ouest de Paris) dans son bureau du centre médico-social Frédéric-Chopin, qu’il dirige, ce conseiller municipal opposé au maire de droite Raphaël Cognet venait de recevoir un militant sénégalais. « Dès que je termine avec vous, je me rendrai encore à Trappes pour une réunion. Jeudi, je serai à Torcy, et samedi, dans l’après-midi, à Asnières-sur-Seine. C’est un peu la course. Je suis malade, mais je ne lèverai le pied qu’au jour du scrutin », égrène-t-il.

À moins de deux mois des législatives du 31 juillet au Sénégal, Amadou Talla Daff ne veut ménager aucun effort pour assurer une victoire éclatante à Benno Bokk Yakaar (BBY), la coalition au pouvoir, à l’issue de ces élections qui feront office de tour de chauffe avant la présidentielle de 2024. Face à une opposition qui menace de lui imposer une cohabitation, « nous devons donner au président Macky Sall les moyens de gouverner et de continuer sa politique de développement. Cela passe donc par une majorité absolue à l’Assemblée nationale », lance le coordonnateur de l’APR en France.

Parmi les 165 sièges à pourvoir au parlement, quinze sont dévolus depuis 2017 aux 500 000 Sénégalais de l’extérieur. Ils sont répartis sur quatre zones géographiques, lesquelles correspondent également à des circonscriptions électorales. Sept sièges sont en jeu en Afrique et six en Europe. Les deux derniers sont partagés entre l’Amérique, l’Océanie, l’Asie et le Moyen-Orient. « Et nous voulons les rafler tous », s’enthousiasme Farba Ngom, député du parti au pouvoir, pour lequel il a conduit plusieurs missions aux quatre coins du monde en vue de mobiliser les militants.

Un électorat choyé

Lors des dernières législatives, la coalition présidentielle avait réussi à remporter 12 des sièges de la diaspora. Les trois postes disputés en Italie et en Espagne, regroupés dans la circonscription de l’Europe du Sud, avaient échu à la coalition de l’opposition Wattu Sénégal, formée alors autour du Parti démocratique sénégalais (PDS) de l’ancien président Abdoulaye Wade. Cette fois, le jeu est plutôt ouvert. Il faudra convaincre les électeurs indécis. Et du côté du pouvoir, les arguments ne manquent pas. « Depuis 2012, Macky Sall a mis la diaspora au cœur de ses priorités. Aujourd’hui par exemple, le passeport en France et dans les pays comme la Suisse ou l’Allemagne, qui sont sous notre juridiction, peut s’établir en 72 heures. Le délai peut même être réduit à 24 heures, voire à 15 minutes en cas d’extrême urgence », affirme Amadou Diallo, consul général du Sénégal à Paris.

Les cadres de la coalition au pouvoir soulignent aussi les efforts entrepris par le gouvernement pour accompagner les binationaux désireux d’investir à Dakar. Ainsi, le Fonds d’appui à l’investissement des Sénégalais de l’extérieur (Faise), dont le budget a été porté à 3 milliards de F CFA (4,5 millions d’euros) en 2018, permet à la diaspora d’avoir plus facilement accès au crédit. Le Sénégal tente également de négocier avec le gouvernement français un accord sur la portabilité des droits sociaux des travailleurs expatriés au profit de leur famille restée au pays.

Jusque-là perçue uniquement sous un angle purement économique, la diaspora sénégalaise, désormais représentée au sein de l’hémicycle, pèse plus que jamais sur le jeu politique. Macky Sall l’a bien compris. Chose inédite : le pays a dû assister en 2020 ses ressortissants impactés par la pandémie de Covid-19, en leur octroyant une aide d’urgence évaluée 12,5 milliards de F CFA. « Les Sénégalais de l’extérieur ont porté Macky Sall au pouvoir en croyant à son projet et en étant ses principaux porte-paroles auprès des Sénégalais à l’intérieur du pays. Il était donc normal qu’ils soient assistés », insiste Amadou Diallo.

Percée de l’opposition ?

Malgré ces différentes initiatives, la machine présidentielle semble être grippée par un nouveau discours antisystème et anti-impérialiste, porté par la classe politique émergente qu’incarne l’opposant Ousmane Sonko (Pastef), arrivé troisième à la présidentielle de 2019. La grande alliance formée par Yewwi Askan Wi (YAW) et Wallu Sénégal, les deux principales coalitions de l’opposition, pourrait créer la surprise. « Lors des locales, nous avons réussi à gagner les grandes villes du pays. Cette tendance sera maintenue aux législatives. Nous pensons pouvoir gagner au moins 53 % des sièges sur le plan national et au sein de la diaspora », soutient Alioune Sall, le représentant en France du Pastef. « Cette dynamique risque d’être pénalisée par l’invalidation de notre liste nationale par le Conseil constitutionnel. Mais nous allons tenir bon et atteindre nos objectifs », nuance-t-il. En effet, le 31 mai dernier, le Conseil constitutionnel a invalidé une partie des candidatures de Yewwi Askan Wi : si les listes départementales ont été validées, la liste nationale, elle, s’est vue amputée de l’ensemble des candidats titulaires. Reste donc, désormais, les suppléants.

« Il y a une vraie percée de l’opposition au sein de la diaspora. Ousmane Sonko est très audible, et son influence croît malgré ses déboires judiciaires. C’est la franchise de son discours qui séduit, plutôt que le côté antisystème. Dans le même temps, la coalition au pouvoir se déchire à cause des investitures contestées », analyse, sous le couvert de l’anonymat, un diplomate en poste à Paris. Une réalité que ne conteste pas non plus Amadou Talla Daff, de l’APR. « Nous pensons avoir nos chances, mais nous aurons du mal à remporter les deux sièges en jeu à Paris. L’alliance YAW/PDS reste redoutable : elle s’appuiera beaucoup sur les disciples de la confrérie mouride, qui sont nombreux en France, en Italie et en Espagne et qui restent fidèles à Abdoulaye Wade », explique le conseiller municipal de Mantes-la-Jolie.

Conscient de ce fait, Macky Sall s’active lui-même pour ressouder les rangs de la majorité présidentielle. En visite du 8 au 11 juin en France, où 65 000 électeurs sont appelés aux urnes, il a rencontré plusieurs militants en marge du Forum annuel de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) pour leur signifier de rester concentrés sur la victoire finale. Au soir du 31 juillet, aucun siège ne devra manquer à sa majorité.