Nigeria : Bola Tinubu contre Atiku Abubakar, duel de vétérans en vue de la présidentielle de 2023
L’ancien gouverneur de Lagos, Bola Ahmed Tinubu, portera les couleurs du parti au pouvoir à la présidentielle de février 2023. Il affrontera un autre cacique de la politique nigériane, Atiku Abubakar, du Parti démocratique populaire (PDP).
Avec déjà cinq tentatives au compteur, on pourrait croire qu’Atiku Abubakar a une longueur d’avance. En février 2023, l’éternel opposant, qui fut tout de même vice-président du Nigeria entre 1999 et 2007, s’élancera pour la sixième fois à l’assaut d’Aso Rock, le palais présidentiel d’Abuja. Face à lui, Bola Ahmed Tinubu, vainqueur de la primaire du Congrès des progressistes (APC) au début de juin, ferait presque figure de novice : cette campagne sera pour lui une première. Considéré comme le godfather (« parrain ») ou le « boss » de Lagos, la capitale économique, dont il fut sénateur puis gouverneur (1999-2007), il ambitionne de succéder à Muhammadu Buhari, lui aussi issu des rangs de l’APC. Au terme de deux mandats, le président en exercice a en effet décidé de ne pas se représenter, se conformant à la Constitution.
L’alternance ?
Dos à dos pour la première fois, Abubakar et Tinubu vont rejouer le match qui, depuis l’avènement de la démocratie, oppose les deux formations habituées à se disputer la tête de l’État.
Arrivé au pouvoir en 1999, au lendemain de la mort du dictateur Sani Abacha, le Parti démocratique populaire (PDP) cherche à reconquérir la magistrature suprême de laquelle Muhammadu Buhari l’avait évincé en 2015. S’il y parvenait, Atiku Abubakar pourrait ainsi incarner la deuxième alternance démocratique du pays.
JE N’AI VU ÉCRIT NULLE PART QU’UN FAISEUR DE ROIS NE POUVAIT PAS ÊTRE ROI
Mais cette figure de l’opposition fait face à un homme d’influence. Réputé pour son entregent et décrit comme un faiseur de rois par ses soutiens comme par ses détracteurs, Bola Tinubu ne manque jamais une occasion de souligner le rôle qu’il a joué dans la carrière et les nominations politiques de certains de ses compagnons.
Il rappelle par exemple à l’envi ce que lui doit l’actuel vice-président, Yemi Osinbajo, qui s’est pourtant présenté contre lui lors de la primaire de l’APC. Tinubu se vante aussi d’avoir porté au pouvoir Muhammadu Buhari en s’associant, en 2013, à la création du Congrès des progressistes. « Je n’ai vu écrit nulle part qu’un faiseur de rois ne pouvait pas être roi », a-t-il d’ailleurs glissé devant la presse en janvier dernier.
Aujourd’hui, Tinubu sort de son fief de Lagos pour ferrailler sur le terrain d’Atiku Abubakar. Lors du scrutin présidentiel de 2019, celui-ci avait en effet emporté l’adhésion d’une importante partie des États du Sud dans son duel contre Muhammadu Buhari, populaire, lui, dans le Nord musulman. Ce dernier avait néanmoins gagné l’élection avec plus de 55% des voix.
« Machines à cash »
Comme son adversaire, Atiku Abubakar sait pouvoir compter sur une manne financière pour faire campagne. Tous deux à la tête d’une fortune colossale, véritables « machines à cash », ils tirent leurs revenus de secteurs tels que l’hôtellerie, l’aviation, l’immobilier. Bola Tinubu est également présent dans les médias. Atiku Abubakar, lui, évolue dans le secteur pétrolier.
La provenance de leur fortune alimente tous les soupçons. Tinubu a plusieurs fois été accusé de corruption et de blanchiment d’argent. Il a toutefois toujours été innocenté. Le nom d’Atiku Abubakar a, lui, été cité par l’Agence gouvernementale de lutte contre la corruption en 2007, ainsi que dans les Panama Papers, en 2016.
Au-delà de leurs moyens financiers, l’origine des candidats pourrait devenir un argument de campagne. Au Nigeria, une règle tacite prévoit en effet une alternance de présidents entre ceux originaires du Nord et ceux originaires du Sud, afin de maintenir l’unité du pays le plus peuplé d’Afrique. Muhammadu Buhari étant un « nordiste », ce principe pourrait jouer en faveur de Bola Tinubu, natif du Sud-Ouest, alors qu’Atiku Abubakar lui, est issu de l’État d’Adamawa, dans le Nord-Est.
« La tradition voudrait qu’un candidat du Sud succède à Buhari. En choisissant Abubakar comme candidat, le PDP a pris un risque, mais les deux hommes jouissent d’une très forte influence dans le pays. Rien n’est donc joué », explique Teniola Tayo, chercheuse à l’Institut d’étude et de sécurité (ISS), au Nigeria. « L’origine des candidats ne fera pas tout. Si Tinubu est très fort dans le Sud, il n’en jouit pas moins d’importants soutiens dans le Nord. Et l’inverse est tout aussi vrai pour Abubakar », ajoute cette spécialiste de la politique nigériane.
Pour le choix de leur colistier, les deux hommes devront aussi tenir compte du facteur religieux. Par tradition, des candidats musulmans désignent des vice-présidents chrétiens. Abubakar aura donc le choix entre plusieurs profils de chrétiens du Sud (région majoritairement chrétienne). La tâche devrait se révéler moins aisée pour Tinubu, qui aura plus de peine à trouver un numéro deux chrétien issu du Nord, à majorité musulmane.
La jeunesse comme arbitre
Quels que soient les profils vers lesquels se tourneront les candidats, la campagne qui les opposera s’annonce musclée. Abubakar, qui promet un gouvernement plus décentralisé et la privatisation des raffineries de pétrole en difficulté, critique déjà le bilan contesté de Buhari. « Le gouvernement APC a divisé le Nigeria, tant sur le plan régional que sur le plan religieux », a-t-il affirmé en mai à Abuja, lors de son élection à la primaire du PDP, promettant « des changements radicaux ». En réponse, son rival attaque le bilan des seize années de pouvoir du PDP.
À l’issue du scrutin, le vainqueur se trouvera devant des défis immenses, aussi bien sur le plan économique qu’en matière de sécurité, à l’heure où le Nigeria est confronté à une montée des violences sur plusieurs fronts : insurrection jihadiste dans le Nord-Est depuis plus de dix ans, banditisme, tentations séparatistes dans le Sud.
Respectivement âgés de 75 et 70 ans, Abubakar et Tinubu devront surtout convaincre la jeunesse, fortement touchée par le chômage. Dans ce pays où 60% de la population a moins de 25 ans, une partie de l’électorat pourrait préférer un outsider à la vieille garde politique qu’ils incarnent.