Mali : que s’est-il passé dans le cercle de Bankass, où plus de 130 civils ont été tués ?

Si les massacres perpétrés ce week-end dans le centre du Mali n’ont pas encore été revendiqués, Bamako pointe la responsabilité de la katiba Macina, groupe jihadiste affilié à Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI).

Mis à jour le 22 juin 2022 à 14:28
 

 

Le massacre du 18 et 19 juin a eu lieu dans la région de Bandiagara, en pays dogon (photo d’illustration) © FRANCESCO TOMASINELLI/AGF / Photononstop via AFP

 

Ce samedi 18 juin, une centaine de motos a fondu sur les villages de Diallassagou, Diamweli, Dessagou, dans le cercle de Bankass, au centre du pays. Selon une source sécuritaire, les premiers signalements auraient été donnés en début de soirée. Il était environ 16 heures, selon des sources locales, lorsque des hommes armés (deux par véhicule) ont ouvert le feu sur les villageois. Les massacres se sont poursuivis jusque dans la nuit.

« Selon certains témoignages, une quarantaine d’hommes ont d’abord été emmenés dans la brousse, y compris le chef du village, afin d’y être exécutés. À partir de là, le nombre de morts n’aurait fait qu’augmenter, confie notre source. Mais ce que l’on sait des événements reste flou. Les assaillants ont aussi brûlé boutiques, maisons, et véhicules et volé du bétail. »

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Après cette première salve d’attaques, les assaillants ont poursuivi leur chemin vers la commune de Ségué, située à une vingtaine de kilomètres au nord-ouest de Diallassagou. Selon les témoignages qui nous parviennent, aux abords de la cette localité, ils se seraient trouvés face à des chasseurs dozos, combattants de milices d’autodéfense locales, et des affrontements auraient alors éclaté.

Au moins 132 morts

Encore imprécis, le récit des massacres s’accompagne d’un bilan, toujours provisoire, qui ne cesse d’augmenter. Les chiffres publiés par le gouvernement malien font état de 132 victimes civiles. Mais des sources locales estiment qu’il pourrait y en avoir près de 200.

La Minusma, qui a facilité la venue sur place d’une mission des autorités à partir du lundi 20 juin, n’a procédé à l’évacuation que d’une poignée de blessés vers la ville de Sévaré, ce qui laisse supposer que l’essentiel des victimes sont décédées. La force onusienne a annoncé l’ouverture d’une enquête de sa division des droits humains.

Si les villages touchés sont, à l’image du centre du Mali, peuplés essentiellement de Peuls et de Dogons, des listes de noms circulant sur les réseaux sociaux indiquent qu’une majorité de victimes (tous des hommes) appartiendraient à la seconde ethnie. « Mais des Peuls ont forcément été tués aussi dans le lot », indique notre source sécuritaire.

La katiba Macina pointée du doigt

Alors qu’elles ont déclaré, ce lundi 20 juin, un deuil national de trois jours, les autorités maliennes pointent la responsabilité de Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), filière sahélienne d’Al-Qaïda au Magreb islamique (AQMI). Bamako accuse plus particulièrement la katiba Macina, groupe mené par le prédicateur peul Amadou Koufa, très actif dans le centre du pays et historiquement en conflit avec les milices auto-proclamées d’autodéfense composées de Dogons.

Si l’attaque n’a pas été revendiquée, un audio, attribué au GSIM, est apparu sur les réseaux sociaux. « Il mentionne l’attaque. L’homme qui parle évoque une opération ayant ciblé “des miliciens alliés” », précise une source sécuritaire. Le terme renvoie à des hommes ayant collaboré avec les forces armées maliennes mais surtout avec les milices locales, au premier rang desquels la milice de chasseurs dozos Dan Na Ambassagou, suspectée d’être responsable du massacre perpétré contre le village peul d’Ogossagou en 2019, qui a fait plus de 160 morts. Une manière pour les assaillants de nier avoir tué de simples civils.

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Représailles à l’opération Fama ?

Depuis 2015, date de la création de la katiba Macina, le centre du Mali est le théâtre d’attaques jihadistes, d’exactions imputées aux milices d’autodéfense ainsi que d’importants affrontements intercommunautaires. Si l’État est très largement absent de la zone, plusieurs opérations militaires y ont été menées ces derniers mois. Des interventions souvent suivies d’accusations d’exactions visant les Forces armées maliennes (Fama) et les paramilitaires russes du groupe Wagner, qui les accompagnent dans le centre. Les massacres de ce week-end pourraient avoir été menés en représailles à ces opérations de l’armée malienne.

Après les massacres imputés à l’État islamique au Grand Sahara (EIGS) dans la région de Ménaka (nord-est du pays), les attaques des groupes terroristes dans le centre, et les accusations d’exactions visant l’armée malienne et ses supplétifs russes, ce nouvel épisode sanglant vient en tout cas alourdir le bilan déjà très lourd des pertes civiles depuis le début de l’année. Au total, Acled (The Armed Conflict Location & Event Data Project) dénombre déjà 2 856 morts en 2022, qu’ils soient civils, membres des forces de sécurité ou de groupes armés. Parmi eux, l’ONG dénombre 1585 civils tués depuis le mois de janvier contre 533 sur toute l’année 2021 et 961 en 2020. L’année 2022 s’annonce ainsi comme la plus sanglante qu’ait connu le pays depuis le début de la crise en 2012.