Mauritania Airlines prête à reprendre de l’altitude (après avoir frôlé le crash)

Très endettée, la compagnie devrait prochainement retrouver des marges de manœuvre grâce à une augmentation de capital. Un répit qui permettra de revoir son positionnement et de repenser la gestion de sa flotte.

Par  - envoyé spécial à Nouakchott
Mis à jour le 18 juillet 2022 à 10:01
 

 

Avion de la compagnie Mauritania Airlines sur le tarmac de l’aéroport d’Abidjan, en juin 2022. © Julien Clémençot pour JA

 

Sans la décision de Nouakchott, en septembre dernier, de participer à une augmentation de capital de Mauritania Airlines, la compagnie aurait vu ses six appareils définitivement cloués sur le tarmac. Fondée en 2009 sur instruction du président Mohamed Ould Abdelaziz, elle a toujours été déficitaire. L’an dernier, elle avait consommé 85 % de son capital et plus un fournisseur ne voulait lui faire crédit. D’ailleurs, dans la capitale mauritanienne, la plupart des hommes d’affaires pensent toujours que la compagnie ne pourra pas échapper à la faillite.

Son directeur général, Mohamed Ould Biyah, sait que redresser les comptes ne sera pas une mince affaire. Durant les cinq mois qui ont suivi sa nomination, en mars 2021, il a usé de toute sa force de conviction pour redonner confiance à ses interlocuteurs.

Un très bon démarrage 2022

Le paradoxe de Mauritania Airlines est que malgré une stratégie commerciale défaillante, elle s’est faite une place parmi les compagnies ouest-africaines. Rencontré sur un vol entre Abidjan et Nouakchott, via Dakar, un homme d’affaires confirme : « J’ai réservé mon vol entre Dakar et Abidjan à la dernière minute et je n’ai pas hésité. Mauritania Airlines était bien moins cher que Sénégal Airlines et le service à bord est tout à fait correct. Cela m’a permis de faire l’aller en business class et le retour en classe économique. »

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Après avoir perdu 60 % de son trafic durant la pandémie, la compagnie réalise un très bon redémarrage, dépassant au premier trimestre 2022 les chiffres de 2019, exercice au cours duquel elle avait transporté près de 200 000 passagers.

Depuis le nouvel aéroport de Nouakchott, ses avions desservent Dakar, Bamako, Las Palmas, Abidjan, Cotonou, Casablanca ainsi que des destinations plus lointaines comme Tunis, Libreville ou Brazzaville. Les lignes comportent souvent plusieurs escales pour faire le plein. La compagnie assure aussi quelques dessertes domestiques vers Nouadhibou, Zouerate et Nema, mais celles-ci sont structurellement déficitaires. « L’un des problèmes de Mauritania Airlines est  qu’elle a fonctionné comme une administration. Jamais êrsonne ne s’est interrogé sur la rentabilité de notre entreprise, contrairement à ce qui se fait dans toutes les compagnies du monde », explique son directeur général.

Outil de souveraineté

Si le pavillon national connaît autant de difficultés financières, c’est aussi parce que sa flotte dont il est totalement propriétaire lui coûte très cher. « Il y a une conjonction de facteurs défavorables, indique un connaisseur. Premièrement, la compagnie a fait l’acquisition d’avions trop récents. Quatre ont moins de 5 ans, quand un appareil peut voler durant quarante ans. Deuxièmement, l’acquisition de certains, comme le Boeing 800 MAX [54 millions de dollars] a coûté trop cher. Troisièmement, en s’équipant à la fois de Boeing et d’Embraer, en plus avec des modèles différents (Boeing 700, 800, 800 MAX, Embraer 145 et 175), Mauritania Airlines doit gérer un large stock de pièces détachées, ce qui rend la maintenance plus onéreuse. »

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Pour Mohamed Ould Biyah, posséder ses propres avions est à la fois une contrainte, mais aussi un outil de souveraineté : « Pendant la pandémie de Covid-19, cela a permis à l’État de rapatrier de manière autonome tous nos ressortissants coincés au Congo, en Angola, au Maroc ou encore en Algérie. »

Argent frais

Pour redonner de l’air à la compagnie, l’État, qui a financé l’achat des appareils, transformera les deux tiers de sa créance (4 milliards d’ouguiyas, soir près de 108 millions d’euros) en capital, tandis que les ports de Nouakchott et Nouadhibou, ainsi que la société minière nationale (Snim) apporteront de l’argent frais qui permettra aussi de solder les dettes à l’égard de l’Agence de l’aviation civile, de l’aéroport de Nouakchott et du prestataire Afroport qui y assure le handling (manutention aéroportuaire).

L’opération pourra se concrétiser dès que le renouvellement du conseil d’administration de l’entreprise sera validé en Conseil des ministres. La direction de la compagnie espère une décision dans les semaines qui viennent.

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L’autre volet concerne l’amélioration des compétences internes principalement sur les plans commerciaux et de la gestion. En outre, selon nos informations le directeur général étudie la possibilité d’un accord concernant la maintenance avec un compagnie plus importante comme Turkish Airlines, Ethiopian Airlines, Emirates ou Qatar Airways.

Avec cet argent frais, le patron de la compagnie veut enfin prendre le temps d’étudier le positionnement de Mauritania Airlines sur son marché et de passer sa flotte en revue. Certains avions pourraient être cédés et de nouveaux appareils loués. Des lignes vers l’Angola, l’Algérie ou les pays du Golfe, où vivent d’importantes communautés mauritaniennes, pourraient aussi être ajoutées. « Il est temps que la compagnie mette en place un management de ses revenus, plutôt que d’aligner des dépenses. C’est la condition de sa survie », résume Mohamed Ould Biyah.