Législatives au Sénégal : un tournant historique ?

La situation est inédite au Sénégal où, au lendemain des résultats provisoires des élections législatives, la mouvance présidentielle accuse un net recul, sans pour autant avoir dit son dernier mot…

 
Mis à jour le 5 août 2022 à 19:43

vote

Le président du Sénégal, Macky Sall, votant aux éléctions législatives, le 31 juillet 2022. © Présidence Sénégal

Il est encore trop tôt pour tirer des conclusions définitives, mais les informations disponibles suffisent pour l’écrire : les élections législatives du 31 juillet 2022 marqueront, quoi qu’il arrive, l’histoire politique du pays.

Certes, à ce stade nul n’a gagné ni perdu. C’est la première caractéristique, largement atypique, de ce scrutin. Alors que nous écrivons ces lignes, le vendredi 5 juillet à 15h30 GMT, impossible encore de départager les deux camps en présence.

Coalition contre coalition

D’un côté, la coalition présidentielle, Benno Bokk Yakaar, vaste regroupement de partis dont les principaux sont l’Alliance pour la République (APR, le parti présidentiel), le Parti socialiste (mouvement historique ayant donné au Sénégal deux présidents sur quatre depuis l’indépendance : Léopold Sédar Senghor puis Abdou Diouf), l’Alliance des forces de progrès (le parti de Moustapha Niasse, le président de l’Assemblée nationale depuis 2012), et Rewmi (celui d’Idrissa Seck, le président du Conseil économique, social et environnemental depuis la fin de 2019).

À LIRESénégal : Barthélémy Dias et Ousmane Sonko, duo de choc

De l’autre, une « inter-coalition » réunissant les principales forces de l’opposition. La première – Yewwi Askan Wi – agrège d’anciens cadres du Parti socialiste qui en avaient été limogés sans ménagement à la fin de 2016, au premier rang desquels l’ancien maire de Dakar, Khalifa Sall, et celui qui l’a remplacé à la fin de janvier 2022, Barthélémy Dias. À ses côtés, le parti qui était jusque-là la principale force de l’opposition : le Parti démocratique sénégalais (PDS), fondé en 1974 par Abdoulaye Wade, le doyen de la classe politique sénégalaise.

Camouflet pour Macky Sall

D’après les premiers chiffres, communiqués ce jeudi 4 août par la Commission nationale de recensement des votes (CNRV), qui devront encore être confirmés une fois que les recours devant le Conseil constitutionnel auront été épuisés par les camps en lice, les premiers résultats de ce scrutin de la plus haute importance sont un camouflet pour le camp au pouvoir.

Certes, ce dernier n’a pas perdu, à proprement parler. Mais avec une estimation provisoire de 82 à 83 sièges sur 165, il n’a pas de quoi fanfaronner.

JAMAIS, DEPUIS L’INDÉPENDANCE, LA MOUVANCE POLITIQUE AU POUVOIR NE S’ÉTAIT RETROUVÉE AVEC UN SCORE AUSSI ÉTRIQUÉ

D’abord, parce qu’il n’obtient pas – dans l’immédiat –  la majorité absolue, laquelle s’établit à 83 députés. Si ce score était confirmé, cela marquerait une première depuis l’indépendance. Jamais, en effet, la mouvance politique au pouvoir n’avait devancé l’opposition d’un seul siège… au mieux.

Encore faudrait-il, pour le camp présidentiel, que ce fameux 83e siège, de nature à lui assurer une majorité absolue à l’Assemblée nationale, bascule en sa faveur. Or, à ce stade, rien ne permet de l’assurer.

Faiseurs de rois

Car le rapport de force entre Benno Bokk Yakaar (coalition présidentielle) d’un côté et l’inter-coalition composée de YAW et Wallu Sénégal (opposition) de l’autre est tellement ténu que nul, à ce stade, ne saurait y intercaler une feuille de papier à cigarette.

Tandis que les premiers totalisent 82 sièges, les seconds en revendiquent actuellement 80. Entre ces deux mouvances, trois partis ou coalitions politiques de moindre importance se retrouvent érigés en faiseurs de rois : AAR (l’Alternative pour une assemblée de rupture, un mouvement emmené par l’ancien ministre de Macky Sall Thierno Alassane Sall et par l’ancien député Thierno Bocoum, ex-lieutenant d’Idrissa Seck), qui affiche un siège, les Serviteurs du journaliste Pape Djibril Fall, et enfin Bokk Gis Gis, le parti dirigé par l’ancien maire de Dakar et ancien président du Sénat, Pape Diop, issu des rangs du PDS avant de s’en aller fonder son propre mouvement.

À LIRELocales au Sénégal : Pape Diop repart en campagne

En l’état, le mouvement de Pape Diop, Bokk Gis Gis, a été sans discontinuer depuis 2012 un compagnon de route fidèle de l’opposition face à Macky Sall ; de même, Thierno Bocoum et Thierno Alassane Sall (même si ce dernier a été ministre) se rangent parmi les opposants indéfectibles ; quant au leader des Serviteurs, Pape Djibril Fall, au vu de ses prises de position durant la campagne électorale, chacun s’accorde à le ranger dans le clan des opposants.

L’opposition bénéficierait donc d’une très légère avance sur le clan présidentiel, à supposer que la première ne se laisse pas envoûter par les sirènes du second, qui, c’est probable, fera tout pour charmer les chefs de parti devenus décisifs malgré leur maigre score.

« Complément vitaminique »

« Les populations ont privilégié la sanction contre le régime actuel en participant à un référendum de fait sur la question du troisième mandat. Le profil des députés n’a pas été déterminant, et encore moins le programme proposé. Certains députés élus n’ont d’ailleurs jamais été présentés au peuple. La question du troisième mandat a été le sujet majeur de la campagne », analyse Thierno Bocoum, d’AAR.

À LIRELégislatives au Sénégal : l’opposition réussit une percée historique

Quant à Aminata Touré, la tête de liste de la majorité présidentielle, elle estime que « malgré une conjoncture internationale extrêmement difficile, deux années de Covid et l’inflation galopante, qui ont durement affecté les Sénégalais, BBY a fait plus que résister ». Selon l’ancienne Première ministre de Macky Sall, le rassemblement partisan réuni depuis douze ans autour de l’actuel chef de l’État resterait donc « la plus grande coalition du pays ».

Et si la majorité absolue devait lui faire défaut, BBY, selon elle, s’en accommoderait : « Il nous manque un seul député pour avoir la majorité absolue. Nous négocierons avec les républicains des listes indépendantes. Somme toute, la négociation est une bonne chose en démocratie, un peu comme un complément vitaminique. »