Voix d'Afrique N°102.

 



Sortir le minerai du trou !


"Le visage hagard, les habits rougis et presqu’en lambeaux, Issa, 15 ans, marche péniblement vers le petit hangar qui sert de restaurant dans le site d’orpaillage de Bompèla, dans le nord du Burkina Faso, à une centaine de kilomètres de Ouagadougou. »

L’or est devenu l’une des principales ressources du Burkina Faso. Et comme partout dans le monde, il suscite toutes les convoitises. Certains chercheurs d’or n‘hésitent pas à prendre des enfants pour atteindre l’objet de leurs désirs. Ils seraient 700 000, âgés de 5 à 18 ans, à travailler sur les sites d’extraction informels. Ils affluent de tout le pays pour s’installer dans ces sites, le plus souvent dans la plus grande promiscuité, en dehors de toutes infrastructures sanitaires et sans accès aux services publics de base. Le travail des enfants dans l’orpaillage n’est pas une nouveauté, mais il prend des proportions dangereuses. Beaucoup mettent leur avenir en danger dans ces “espaces de non droit”. Et même les enfants scolarisés se laissent attirer par le mirage de l’or.


L’or au Burkina

Les orpailleurs étaient là bien avant les sociétés minières, et nul ne sait tout ce qu’ils ont apporté, malgré leur inorganisation, à l’économie du pays et à l’amélioration de la qualité de vie de beaucoup de Burkinabè. De nombreuses familles sont sorties de la pauvreté à cause d’une pépite.

Mais depuis quelques années, ils ont fait encore mieux : le Burkina Faso est devenu, après l’Afrique du Sud, le Ghana et le Mali, le quatrième producteur d’or du continent. « La production a évolué de 5,4 tonnes en 2008, à 12,5 tonnes en 2009, 23,1 tonnes en 2010 et 32,6 tonnes en 2011, 25,6 tonnes en 2012. » Aujourd’hui, l’or devance le coton. Il est le premier produit d’exportation du pays.

C’est là le résultat de la multiplication des sites d’orpaillage. Il y en a plus de 200 à côté des huit mines d’or officielles. En ces temps de crise, l’or est la valeur refuge par excellence. Entre 2000 et 2013, le prix de l’or sur le marché de Londres est passé de 300 dollars à plus de 1 250 dollars l’once.

Le premier ministre burkinabé, Luc Adolphe Tiao, pouvait dire avec grande joie le 30 janvier 2013 : « Les mines constituent aujourd’hui un véritable pilier de notre développement ». Cependant le pilier repose sur un désastre écologique et social : terres agricoles saccagées, communautés villageoises déstabilisées par une cohabitation difficile avec les sites d’orpaillage, une jeunesse et surtout de nombreux enfants déboussolés par la fièvre de l’or. Certes, ils recherchent une source de revenus alternative à l’agriculture, actuellement en crise suite à la sécheresse. Mais ils y subissent des conditions de travail et de vie des plus difficiles.

Comment
faire l’orpaillage ?

Les sites d’orpaillage se ressemblent tous : « Paysage désertique. Pas un arbre, ni un buisson, pas la moindre goutte d’eau, même pas un fond de marigot ou un puits qui aurait jadis fonctionné… endroit hostile. Et pourtant, ils sont là. Ces hommes et ces femmes, par centaines, installés dans des abris de fortune en natte pour se protéger des ardeurs du soleil. Ils sont là, seuls, entre amis ou en famille, à la quête de l’or. Et ils creusent. »

Première étape : l’extraction des pierres dans le trou de mine qui peut aller jusqu’à 50 mètres de profondeur
Le trou est à peine assez large pour laisser passer un homme. Des petites encoches permettent de descendre à la verticale jusqu’aux galeries horizontales. Le tout creusé avec des outils de fortune... Pour l’aération, un ingénieux système permet d’envoyer de l’air frais au fond de la galerie : une toile en plastique capte les courants d’airs pour les réorienter vers le fond du trou. Les hommes restent parfois plus de 10 heures dans le trou sans remonter. Ils prennent du café et des excitants pour rester éveillés. Ils se relaient jour et nuit.


Pour entrer dans les galeries, il faut une torche !

Seconde étape : le concassage des pierres
Une fois remontées à la surface, les pierres sont concassées pour extraire les pépites, dans les meilleurs cas, et les paillettes d’or. C’est le travail de gamins de tous âges qui, à longueur de journées et pour 1 000 F CFA (1,5 euro ) de gains, respirent des particules de silice qui attaquent leurs poumons, que le concassage soit mécanique ou manuel... Il s’agit d’obtenir une poudre qu’on va pouvoir laver et tamiser.

Troisième étape : le filtrage des paillettes d’or
Les plus jeunes enfants vont chercher l’eau souvent très loin avec des bidons de 20 litres qu’il faut hisser sur la charrette à âne. La poudre est mélangée à l’eau et on fait couler l’ensemble sur un plan incliné recouvert d’un tissu, une sorte de feutrine, sur lequel les paillettes d’or s’accrochent. Elles sont ensuite minutieusement récupérées et soigneusement rangées. C’est alors qu’on emploie les produits chimiques, mercure ou cyanure, sans la moindre protection (gants, masques, ...) pour le manipulateur ni, bien sûr, pour l’environnement. Le mercure attire l’or et il se forme une boulette constituée de mercure et d’or : c’est l’amalgame. L’eau qui reste est ensuite filtrée dans un chiffon pour en recueillir les dernières particules d’or.
La boulette de mercure et d’or est déposée dans une vieille boîte de conserve où elle est “grillée” au chalumeau et portée à incandescence. Le mercure s’évapore, seul l’or reste. Les microgouttelettes de mercure respirées par l’ouvrier et son entourage sont très dangereuses pour leur santé.


Le concassage des pierres

Dernière étape : la vente
Des marchands d’or sont là sur le site. Ils pèsent les paillettes et les achètent pour les revendre en ville. Le gramme vaut 27 500 F.CFA à la mine, soit 42 euros . Les jeunes ne craignent ni les éboulements, ni l’utilisation de produits toxiques... Ils disent qu’il faut bien mourir un jour, qu’ils doivent tenter leur chance. Un orpailleur déclarait avoir gagné 70    en deux jours de travail, l’équivalent d’un salaire mensuel tout à fait correct. On peut comprendre qu’il soit tenté, bien que ce soit risqué... D’ailleurs, les mineurs restent très vagues sur la quantité d’or qu’ils trouvent…

Les enfants et l’orpaillage

Le filtrage  des paillettes d’or...Dans cette ruée vers l’or, qu’en est-il des enfants ? Comme les adultes, ils sont fascinés par les scintillements des pépites d’or qui sortent des sites d’orpaillage. Ils sont présents sur toute la chaîne d’exploitation de l’or, pour des gains dérisoires vu la durée (souvent plus de 10 heures par jour) et des conditions de travail. Plus agiles, moins conscients des dangers, des adolescents descendent dans les galeries, parfois à 60 ou 80 mètres de profondeur, sans casque ni gants. Sous ces collines perforées, les éboulements ne sont pas rares. Karim admet prendre des “médicaments” pour se donner du courage. Alcool, herbe et amphétamines au quotidien. Le travail dans les galeries est ardu. Il se fait au péril de la vie. Les activités y sont diversifiées. Il y a ceux qui posent les dynamites, un travail réservé aux plus courageux, dit- on. Celles-ci sont placées entre les trous des roches et reliées entre elles par des fils inflammables sur le long de la roche à faire sauter. Entre la mise à feu et la déflagration, le temps estimé est de 5 minutes. C’est le temps dont dispose l’artificier pour se projeter hors du trou et s’en éloigner.

Les filles sont plus vulnérables encore, parce que ces lieux où les hommes et l’argent circulent favorisent l’exploitation sexuelle et la diffusion du VIH. L’opulence de certains orpailleurs attire les prostituées, mais aussi les femmes et les adolescentes des villages voisins. Les jeunes ouvrières des hangars de concassage ou de lavage sont parfois contraintes d’accepter des rapports sexuels pour avoir du travail, ou pour répondre à différentes croyances qui lient le sexe et la recherche de l’or.

Dans la région du Centre-Nord, au cours de cette année scolaire (2011-2012), plus de 3.000 enfants ont abandonné l’école et 15 % d’entre eux sont partis sur des sites d’or, selon les chiffres de l’Association des parents d’élèves. C’étaient presque tous des élèves du CE et CM dont l’âge moyen est de 11ans. Les enfants préfèrent chercher de l’or plutôt que d’aller en classe.


Le passage au mercure pour amalgamer l’or...

Le travail des enfants est l’un des fléaux engendrés par l’orpaillage. Beaucoup disent que la pauvreté de leurs parents les pousse à venir. Aujourd’hui, les enfants sont nombreux à courir vers ce qui semble être un gain facile. Mais sous “gain facile”, on trouve les mots suivants « délinquance juvénile, prostitution, maladies de tout genre et surtout exploitation » commente cette femme au visage pale, les yeux légèrement exorbités.

Les conséquences
de l’orpaillage

Tout métier a ses revers. L’or-paillage charrie tellement de problèmes qu’on en oublie ses effets bénéfiques.
Le problème numéro un est l’insécurité. Même si les orpailleurs ont leurs propres codes et règles de travail, il n’en demeure pas moins que l’insécurité règne sur les sites aurifères et dans les villages environnants. On peut même parler de jungle où seul le plus fort survit. Le Burkina ne peut se permettre de laisser ainsi exister des no man’s land où les lois de l’État sont bafouées.

C’est pourquoi la mise en place d’une police spéciale chargée de ces si-tes est bienvenue. Encore faut-il qu’elle soit à la hauteur des enjeux.

Le deuxième problème est la prostitution. Des filles mineures y exercent de petits métiers, mais elles sont en réalité des racoleuses. Les rapports sont négociés au double, voire au triple des tarifs ordinaires. Ces mineures baptisées “ crudités “ sont très recherchées. Quand le rapport est accompli dès que l’orpailleur sort du trou, il est considéré comme porte-bonheur. C’est pourquoi ces petites sont très prisées...

Dans leur avidité, les orpailleurs ignorent l’hygiène. Ils travaillent sans matériel de protection. Dans cet environnement toxique, la poussière ronge les poumons. On ne compte plus les bronchites et les tuberculoses. Les orpailleurs sont également sous-alimentés car la nourriture est rare et chère, et de mauvaise qualité.


Désastre après le passage des orpailleurs !

Quatrième problème, les dommages pour l’environnement : déboisement, dégradation des sols, pollution de l’air par la poussière, du sol et de l’eau par les huiles usagées des moteurs et les produits chimiques, perte de la biodiversité, détérioration du paysage… Pour chaque gramme d’or obtenu par amalgamation, environ deux grammes de mercure s’échappent dans le milieu ambiant, polluant directement les sols, les eaux, sans compter l’inhalation de gaz par les utilisateurs et leur voisinage. La vapeur de mercure peut être transportée assez loin par les vents. Elle se dépose sur les sols, les végétaux, les plans d’eau et les aliments non protégés ou même être précipitée sous forme de pluie acide.

Que font
les pouvoirs publics ?

Un officier de police dénonce l’apathie des pouvoirs publics face à la situation de ces enfants : « Il faut punir les adultes qui les y amènent, ce sont eux les premiers responsables. La pauvreté doit-elle nous amener à sacrifier l’avenir et la santé de ces gosses ? » Un inspecteur de l’enseignement primaire a le même ton véhément : « Il faut interdire strictement l’orpaillage artisanal et encourager l’exploitation industrielle. Des familles disloquées, des écoles abandonnées par les élèves, lycéens et collégiens. Où va-t-on ? »

« Malheureusement les pouvoirs publics semblent impuissants. Or sur chacun des sites, une police économique gère les questions de prélèvements du fisc. On peut penser que si l’État peut prélever de l’argent aux orpailleurs, il peut également prendre de l’argent pour protéger les enfants.»

En fait, bien que les autorités connaissent toutes ces conséquen-ces, on a l’impression qu’il existe un certain aveu d’impuissance face à ce fléau. La réalité est que face à une situation de pauvreté souvent très accrue des populations, l’État tend à tolérer ou à s’accommoder d’une telle pratique qui occupe des milliers de personnes.

Quant aux populations autochtones, elles regardent avec impuissance leurs villages se dégrader au contact des “envahisseurs” orpailleurs. Elles tirent certes un bénéfice économique de la découverte de l’or, mais à l’heure du bilan, la désillusion peut être grande pour elles. Il y aura cette nature dévastée par le creusage des trous et l’usage de produits toxiques, ce mode de vie défiguré.

La souffrance des enfants prête pour tous les trafics...

Que faire ?

La première action à mener concerne l’utilisation du mercure : rendre obligatoire le matériel de protection (gants, masques…) pendant les opérations d’amalgamation ; régler la vente, l’achat, le transport du mercure sur tous les sites d’orpaillage en activité. Le matériel de protection devrait être aussi obligatoire pour ceux qui concassent les pierres.

La deuxième doit s’occuper de l’éducation des enfants : « tendre vers l’Éducation pour tous. » Le ministère de l’Action sociale et de la Solidarité nationale n’est pas insensible à ce problème.

Certaines ONG, comme Terre des Hommes (TDH), présentes sur les sites, repèrent les enfants et négocient leur « retrait » avec les parents, le patron. Il faut plusieurs entretiens et des compensations « consistantes » pour parvenir à ses fins : l’ONG paie les frais de scolarité, les fournitures scolaires, apporte un appui à la cantine et aide certaines mères à installer un petit commerce ou un élevage. Pour les 14 -18 ans, envoyés en formation professionnelle, TDH assure la nourriture, le logement et la prise en charge médicale.

Reste que la tâche s’apparente cruellement à celle de Sisyphe et son rocher !
Peut-on en vouloir aux enfants quand l’avenir ne leur offre aucune perspective ? Ces jeunes ne supportent plus de gratter toute une saison une terre ingrate pour quelques graines de céréales. Ils aspirent aussi à un mieux-être que malheureusement le pays ne leur offre pas. Alors, le choix est souvent vite fait : fuir le pays ou chercher de l’or. Dans les deux cas, ils doivent « se chercher ». Voilà pourquoi l’État doit impérativement trouver une perspective pour la jeunesse du pays. Sinon, cette ruée souvent infructueuse et dangereuse vers l’or ne prendra pas fin de sitôt. Mais dans l’immédiat, des solutions doivent être trouvées au drame qui se joue sur les sites d’orpaillage. L’humanisation des lieux d’extraction traditionnelle de l’or est devenue une urgence nationale.

Et nous, pensons à tous ces enfants lorsque nous achetons des appareils électroniques ou des bijoux. Un marché juteux qui cache une réalité très sombre.

D’après des sources diverses
;Voix d’Afrique