Tchad : le bon filon des fruits séchés

Quand ananas, mangues et papayes abondent sur les étals, ils se gâtent rapidement. Haroune Warou a trouvé la solution : il les déshydrate. Et son entreprise tourne à plein régime.

 
Par  - Envoyé spécial à N'Djamena
Mis à jour le 13 août 2022 à 11:10
 
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Haroune Warou (d.), le fondateur de Tchad Bio Séché, à N’Djamena. © Facebook Tchad Bio Séché

 

Sur les étals du marché Taradona, à N’Djamena, par 38 degrés à l’ombre certains fruits commencent à piquer du nez. Dans les supermarchés, même constat : hormis les pommes, poires et autres produits importés d’Afrique du Sud, souvent très chers, les autres, plus abordables, sont déjà en train de pourrir. « Les papayes, les ananas, les bananes et les mangues ne peuvent pas se conserver, confirme Haroune Warou, le patron de Tchad Bio Séché (TBS). Il y en a beaucoup en ce moment, et ils se gâtent très rapidement. »

C’est à partir de ce constat que l’idée de créer son entreprise a germé, en 2020, chez cet hôtelier de formation. « Il y a trop de pertes sur les marchés les mois de pleine production. Dans un pays où sévit la malnutrition, un tel gâchis n’est pas acceptable, explique l’entrepreneur de 27 ans. Alors, pour avoir des fruits toute l’année, j’ai eu l’idée de racheter les invendus avant qu’ils ne se gâtent pour les sécher et les revendre aux périodes creuses », au moment où ces mêmes fruits deviennent rares et que leurs prix s’envolent. Pendant la pleine saison, Haroune Warou dépense en moyenne 30 000 F CFA (environ 45,70 euros) par jour pour trois sacs de 50 kilos de mangues, alors que ses sachets de mangues séchés s’arrachent à 500 F CFA les 100 grammes, toute l’année.

Des fruits toute l’année, à moindre coût

Une tante lui a prêté une villa dans le centre de la capitale. C’est dans son jardin qu’il stocke les fruits, pour les sécher au soleil. Le succès a été immédiat et, pour faire face à la demande croissante, la société a déjà dû acquérir trois séchoirs. Ces grands fours permettent de déshydrater les fruits tout en conservant leurs valeurs nutritionnelles. « C’est moins écologique qu’au soleil, mais plus efficace, explique Haroune Warou. En dix ou douze heures, j’ai de quoi remplir plusieurs sachets. À l’air libre, le séchage peut prendre plusieurs jours. »

Désormais, plusieurs ouvriers épluchent et découpent les fruits dans la cuisine de la villa transformée en labo. La petite entreprise tourne à plein régime. « L’objectif est de proposer des fruits séchés toute l’année à moindre coût, alors il faut que ça aille vite. » Et la demande explose : il n’y a plus de problème de conservation en cas de délestage et, alors que l’inflation touche tout le monde, c’est une solution qui permet de stocker et de faire des économies.

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Quant aux fruits trop abîmés, ils servent de compost, un engrais naturel qui permet à Haroune Warou de faire pousser de jeunes manguiers et papayers dans le jardin. Il espère en planter bientôt un peu plus au sud, à une centaine de kilomètres de la capitale, afin d’étendre progressivement son marché à l’ensemble du pays.

Enfin, pour répondre au problème crucial de l’eau, Saïd Medela, directeur de Water for Tchad – une ONG créée en 2018 à Miami et qui a déjà réalisé une centaine de puits d’eau potable dans le pays -, lui a proposé son aide. « Nous essayons de rendre viable des zones désertiques. On fore jusqu’à 40 ou 70 mètres de profondeur pour obtenir une eau potable, testée et certifiée par nos soins, souligne Saïd Medela. Cette eau sert aux besoins essentiels des populations, mais aussi à des projets agricoles, écologiques et éthiques, comme ceux de Tchad Bio Séché. Et nous soutenons tout ce qui permet de créer de l’emploi dans certaines régions afin de fixer les populations. »

Une clientèle locale exigeante

À N’Djamena, les sachets de mangues séchées, poudre de citron et chips de banane douce estampillés « naturels et délicieux » s’alignent désormais dans les supermarchés et dans toutes les épiceries de l’avenue Charles-de-Gaulle. « C’est un véritable succès, car ce n’est pas cher. Et quand il y a rupture de stock, les clients m’en réclament », confirme le gérant de La Belle époque, Mahmoud Malick Sow.

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Un peu plus loin sur l’avenue, la société Khadar Market a récemment ouvert une boutique de fruits et légumes bio. La patronne, Fatimé Souckar Terab – régulièrement consultée par le président Mahamat Déby Itno en personne -, a longtemps vécu en Éthiopie. Elle y a travaillé dans le secteur aérien, avant de redescendre sur terre, à N’Djamena, pour créer son « entreprise bio ». Elle vend ses propres produits (légumes et fruits frais ou secs) et proposera prochainement ceux de TBS.

« Il y a une vraie demande au Tchad pour des produits de meilleure qualité, plus respectueux de l’environnement, plus sains pour la santé, 100 % tchadiens, et qui soient abordables, reconnaît-elle. Nous avons une clientèle locale de plus en plus exigeante. Avec ma marque, je promeus le travail des femmes dans les campagnes, mais j’essaye aussi de soutenir tous les jeunes qui veulent tirer le pays vers le haut. » Et pour que cette filière fruitière se développe davantage, Haroune Waroun continue de faire goûter ses produits. « C’est amusant car beaucoup de clients me disent qu’ils préfèrent mes mangues séchées aux mangues tout court », sourit-il, sûr de son entreprise.