Sénégal : entre Macky Sall et Ousmane Sonko, duel au sommet avec la présidentielle en ligne de mire

Les législatives du 31 juillet ont renvoyé dos à dos opposition et pouvoir, représentés respectivement par l’ancien inspecteur des impôts et le chef de l’État. Augurant d’une lutte acharnée d’ici au scrutin prévu dans deux ans.

 

Par  - envoyé spécial à Dakar
Mis à jour le 16 août 2022 à 10:11
 
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Macky Sall et Ousmane Sonko. Photomontage : JA © Clément Tardif pour JA ; Kirill Kukhmar/TASS/Sipa

 

Qui, du pouvoir incarné par Macky Sall ou de l’opposition emmenée par Ousmane Sonko, contrôlera in fine l’Assemblée nationale ? À la sortie des urnes, lors des législatives du 31 juillet, ni la coalition présidentielle Benno Bokk Yakaar (BBY) ni l’alliance formée entre Yewwi Askan Wi (YAW) et Wallu Sénégal – la formation construite autour de l’ancien président Abdoulaye Wade – n’ont réussi à obtenir une majorité absolue (83 sièges).

Certes, BBY a réussi à se maintenir en position de première force politique du pays en obtenant 82 des postes en jeu. Mais la mouvance présidentielle est talonnée par ses deux principales concurrentes, qui en totalisent 80. Une première dans l’histoire politique du Sénégal : jamais l’opposition, dans sa plus grande diversité depuis l’instauration du multipartisme intégral en 1981, n’a engrangé autant de sièges au cours d’une législature.

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« L’inter-coalition entre YAW et Wallu Sénégal est elle-même inédite. Ce sont deux grandes entités politiques qui n’ont rien en commun. Mais elles ont réussi à s’entendre. Cela a eu un impact majeur sur le scrutin », analyse un observateur de la vie politique sénégalaise. « Notre capacité à faire fi de nos différences pour l’intérêt général a donné confiance aux électeurs. Ils ont voté pour signifier à Macky Sall qu’ils ne sont pas prêts à lui accorder un troisième mandat », explique Déthié Fall, mandataire national de YAW.

Troisième mandat

Ressassé à dessein par l’opposition tout au long du processus électoral, c’est bien le discours prêtant au au chef de l’État l’ambition de se maintenir au pouvoir au-delà de 2024 – année de la fin de son second mandat – qui a fait mouche. « Son indécision sur la question du troisième mandat lui a porté préjudice malgré les prouesses économiques effectuées sous sa gouvernance », déplore un proche d’Amadou Bâ, l’ancien ministre des Finances. « Ce n’est pas un échec [pour autant] », estime Pape Mahawa Diouf, porte-parole de la coalition au pouvoir.

Alors que Macky Sall a habilement accompagné ses différents lieutenants en lice – dont la tête de liste nationale, Aminata Touré – en alternant rencontres avec les jeunes et inaugurations d’infrastructures aéroportuaires et urbaines, son principal opposant, Ousmane Sonko, dominait de son côté la campagne électorale bien qu’étant hors course. Renvoyant ainsi au second rang les suppléants de sa coalition qui, paradoxalement, siégeront en septembre à l’Assemblée nationale du fait de l’invalidation de la liste nationale des candidats titulaires. « C’est essentiellement lui qui a porté le discours de l’opposition et drainé une foule monstre partout où nous sommes passés », raconte un membre de la coalition YAW.

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Au coude à coude lors d’un scrutin qui a mobilisé plus de trois millions d’électeurs, les deux personnalités vont maintenant s’affronter au sein de l’hémicycle – prochaine séquence d’un duel à distance en cours depuis la course à la magistrature suprême de 2019 qui se jouera encore une fois dans un mouchoir de poche. La coalition présidentielle ne détient en effet la majorité absolue – nécessaire pour éviter la cohabitation que compte lui imposer l’opposition – que grâce à un seul siège.

Pape Diop, l’allié parfait ?

Depuis le début de son magistère, Macky Sall est passé maître dans l’art des coups politiques en débauchant à tout-va au sein de l’opposition dans le but assumé de la réduire à « sa plus simple expression ». Après Idrissa Seck, l’ancien Premier ministre d’Abdoulaye Wade, et Oumar Sarr, l’ex-numéro deux du Parti démocratique sénégalais (PDS) devenu ministre des Mines – ils ont rejoint le pouvoir en 2020 –, BBY a réussi à convaincre Pape Diop, l’autre compagnon de « Gorgui », de le rallier.

Resté dans l’opposition, l’ancien maire de Dakar a joué un rôle de pivot. Il est l’un des trois députés qui – avec le journaliste Pape Djibril Fall (Les Serviteurs) et l’ancien ministre du Pétrole Thierno Alassane Sall (de la coalition Alternative pour une Assemblée de rupture) – pouvaient faire basculer l’Assemblée nationale dans un camp ou dans l’autre. Le 11 août, lors d’une conférence de presse, l’intéressé a fait savoir sa décision « mûrement réfléchie » de joindre le groupe parlementaire de la coalition au pouvoir. 

« Pape Diop est beaucoup plus proche de notre coalition que de celles de l’opposition, assurait déjà Thierno Amadou Sy, membre de l’Alliance pour la République (APR), le parti au pouvoir, quelques jours avant l’officialisation de ce ralliement. Il a toujours préservé son statut d’homme d’État. »

Le match n’est cependant pas plié du côté de YAW, où l’on affirme pouvoir débaucher des parlementaires dans les rangs de BBY pour « arracher la présidence du Parlement et de l’essentiel des commissions ».

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Cette bataille pour le contrôle du perchoir sera déterminante à moins de deux ans de la présidentielle de 2024. Si elle est remportée par l’opposition, cela sonnera comme un sévère désaveu pour la majorité présidentielle. À l’inverse, il n’est pas sûr qu’un rapport de forces favorable au chef de l’État soit interprété comme un blanc-seing pour « la continuité ». « Le peuple sénégalais s’est exprimé dans les urnes et le message est très clair. [Il a] tourné le dos à Macky Sall et à son régime », twittait, dans la foulée de l’annonce des résultats provisoires, Ousmane Sonko.