Sénégal : Macky Sall, Abdoulaye Wade et les autres… La « grande famille libérale » peut-elle se reformer ?

Avec le récent ralliement de Pape Diop à sa majorité, Macky Sall continue son lent travail de rabibochage avec ses anciens partenaires libéraux. Seuls l’ancien président et son fils, Karim Wade, résistent encore.

Par  - à Dakar
Mis à jour le 25 août 2022 à 11:50
 
 
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Abdoulaye Wade et Macky Sall au Palais présidentiel à Dakar, le 12 octobre 2019. Abdoulaye Wade et Macky Sall Palais présidentiel, Dakar 12 octobre 2019 © Présidence du Sénégal

 

 

Pour sa première – et unique – apparition publique depuis son retour au Sénégal, le 30 juillet dernier, Abdoulaye Wade a choisi de rester silencieux. L’ancien président a voté dans son bureau de vote du Point E, le lendemain de son arrivée à Dakar. Accompagné de certains alliés et membres de son parti, le patriarche a accompli son devoir sans répondre aux sollicitations de la presse.

Ces dernières semaines, il semblait vouloir se faire oublier. « Il va rester au Sénégal encore un certain temps, prédisait toutefois l’un de ses proches. Ce serait trop bête de partir maintenant, alors que les choses deviennent intéressantes. » De fait, dès le 21 août, « Gorgui » a vite refait parler de lui, sans même avoir à sortir de son domicile. Il a mandaté plusieurs de ses proches pour rencontrer le khalife général des Mourides dans la ville sainte de Touba. Venus recueillir les bénédictions du descendant de Cheikh Ahmadou Bamba, les émissaires étaient également venus porter un message : l’annonce de la déclaration de candidature de Karim Wade.

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Après Khalifa Sall, Bougane Guèye Dany, Malick Gackou et Ousmane Sonko, le responsable du Parti démocratique sénégalais (PDS) est donc officiellement candidat à la présidentielle de 2024. Toujours inéligible et bien loin du Sénégal, le fils d’Abdoulaye Wade maintient sans surprise son souhait de se représenter au prochain scrutin. De quoi conforter sans doute les nombreux anciens cadres de son parti qui, lassés de sa mainmise sur leur formation, en ont tous progressivement claqué la porte. Le jour même de la visite de la délégation à Touba, c’était au tour de l’ex-député Toussaint Manga d’annoncer son départ, après avoir exprimé son « éternelle reconnaissance à Abdoulaye Wade ». Encore un.

Déposer les armes

Son nom vient s’ajouter à liste de ces responsables qui ont abandonné le navire libéral – une liste trop longue désormais pour pouvoir tous les citer. Pas la peine de chercher bien loin pour les trouver : la grande majorité d’entre eux a depuis rejoint la majorité de Macky Sall. Dernière recrue en date : le président du parti Convergence démocratique Bokk Gis Gis, Pape Diop.

L’ancien président du Sénat, qui a navigué pendant près de quarante ans au sein du PDS avant de le quitter en 2012, a rejoint la mouvance présidentielle à un moment plus qu’opportun pour Macky Sall : quelques heures avant la publication des résultats définitifs des élections législatives du 31 juillet. « Je ne rejoins pas la majorité, nuance toutefois le député, je soutiens le groupe constitué par la coalition Benno bokk yakaar à l’Assemblée, afin d’éviter le blocage du pays. »

JE SUIS DISPOSÉ À RECEVOIR TOUT LE MONDE POUR RECOLLER LES MORCEAUX

Ce « soutien » a une conséquence de taille, car il permet au chef de l’État de sauver d’un cheveu sa majorité à l’Assemblée nationale, en obtenant le seuil minimal de 83 sièges. Avec Pape Diop, c’est un nouveau cadre historique du PDS qui rejoint Macky Sall. Un choix évident, selon l’un de ses anciens compagnons : « C’est plus logique de rejoindre sa famille, que de rejoindre ceux qui n’y appartiennent pas. » De l’autre côté de la barrière, il ne reste plus grand monde.

Lors de la seule interview qu’il a accordée depuis son retour, au média Dakaractu, Abdoulaye Wade avait pourtant tendu la main aux déçus : « Vous qui étiez frustrés et qui avez rejoint d’autres partis ou coalitions, je vous invite à déposer les armes et à revenir. Je tiens à vous féliciter de votre engagement, mais je n’ai plus rien à vous apprendre de la politique. Je suis disposé à recevoir tout le monde pour recoller les morceaux. »

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Difficile d’y voir autre chose qu’un vœu pieux. Dans les rangs de ceux qui ont quitté Wade, personne ne pense encore sérieusement à se rabibocher avec son ancien parti. « Ils ont bien joué lors des dernières législatives, concède un ex-PDS. Mais sans Yewwi Askan Wi, la coalition Wallu Sénégal [à laquelle appartient le PDS, ndlr] aurait eu des scores catastrophiques. » « À un moment donné, ça sera chacun pour soi, on verra bien ce qu’ils pèsent quand ils iront seuls », glisse un autre.

Réunion de famille

Depuis son départ du PDS en 2012, Pape Diop imaginait un mouvement inverse : sceller les « retrouvailles » de la famille libérale. L’idée n’était pas partagée par ses anciens alliés. « À l’époque, je prêchais dans le désert, se souvient-il. Karim Wade était déjà en prison, et l’idée m’a valu les remontrances de certains. Mais je n’ai jamais cessé de dire, depuis lors, que Macky Sall a toujours été des nôtres et qu’il n’y a pas de raison pour qu’on ne puisse pas s’entendre avec lui. »

Ces retrouvailles avaient été théorisées par Abdoulaye Wade lui-même au lendemain de sa défaite à la présidentielle de 2012. Échangeant avec ses proches, « Gorgui » imagine des scénarios et dessine des schémas, plaçant Macky Sall à sa gauche, Idrissa Seck à sa droite, et se positionnant lui-même au centre. « Il prévoyait son plan et œuvrait à l’éligibilité de Karim, raconte l’un de ses proches d’alors. Mais quand il a vu que son fils ne sortait pas de prison, c’est là que les choses ont commencé à se gâter avec Macky. »

DANS UN CAMP COMME DANS L’AUTRE, ON ASSURE QUE LES DEUX HOMMES SE PARLENT ET SONT EN CONTACT

Il y a quelques mois encore, le mot d’ordre au PDS n’avait depuis pas bougé : « la ligne rouge, c’est l’alliance avec la majorité », assurait l’un des cadres du parti. Lorsque le neveu du chef, Doudou Wade, avait annoncé que Macky Sall « posait les jalons » d’un rapprochement, il avait d’ailleurs été immédiatement repris. Depuis leurs retrouvailles en septembre 2019, du chemin a-t-il été parcouru ?

Dans un camp comme dans l’autre, on assure que les deux hommes se parlent et sont en contact. En plus d’avoir financé une partie des travaux de rénovation du domicile dakarois d’Abdoulaye Wade, Macky Sall a choisi de donner le nom de son prédécesseur au stade flambant neuf qu’il a fait construire dans la ville nouvelle de Diamniadio. Au cours de la campagne électorale, Pape Diop assurait, lui, à Jeune Afrique qu’il n’y avait pas eu de « négociations » entre le PDS et le pouvoir – uniquement des rencontres entre « personnes de bonne volonté ».

Pourtant, « l’histoire du PDS est marquée par des départs – bien souvent des numéro deux qui partent d’eux-mêmes ou sont poussés vers la sortie », comme le rappelle l’avocat El Hadj Amadou Sall. Resté « très proche » du président Wade, dont il fut le porte-parole et le ministre conseiller, ce dernier a lui aussi pris ses distances avec le parti, début 2019.

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Comme Oumar Sarr (ex-numéro deux du parti) et Babacar Gaye, il a décidé de rompre avec ses compagnons libéraux. Une décision directement liée à ce qu’ils assimilent à une confiscation du parti – leur parti – par Karim Wade. Les trois hommes créent leur propre formation, le Parti des libéraux et démocrates And Suqali (PLD/AS) avant de rejoindre Macky Sall quelques mois plus tard. Oumar Sarr sera à cette occasion nommé ministre des Mines.

« De 2012 à 2019, c’est nous qui avons dirigé le parti, avons tout fait pour qu’il maintienne sa force de frappe. Pendant ce temps-là, Karim était le grand absent », lâche Amadou Sall, qui ne cache pas sa déception au souvenir du rendez-vous manqué de l’exilé qatari avec les militants en 2019.  « Tout l’appareil du parti a réussi à vendre ‘l’idée Karim’. Les Sénégalais ont été acheteurs, mais il n’a pas été à la hauteur. »

La matrice

Avant ce départ, les luttes de pouvoir intestines avaient déjà provoqué le départ d’Idrissa Seck (« Il voulait se positionner en dauphin, mais c’était trop tôt : Wade n’était pas prêt à lâcher le pouvoir », analyse Amadou Sall), puis, bien sûr, de Macky Sall lui-même. « J’en ai fait un dauphin, et il s’attaque à mon fils ? » lâche à l’époque le chef de l’État, Abdoulaye Wade, furieux de voir que Macky Sall, alors président de l’Assemblée nationale, a autorisé l’audition de Karim Wade devant la commission des Finances. L’impudence sera en tout cas payante. Après avoir quitté le parti, créé sa propre formation et remporté la présidentielle en 2012, Macky Sall ramènera progressivement dans son giron une bonne partie de ses anciens frères libéraux.

« Est-il possible de revenir ensemble ? Autour de qui et pour faire quoi ? » s’interroge pourtant Amadou Sall. Au sein de la tentaculaire coalition Benno Bokk Yakaar (majorité), les libéraux ne restent qu’un sous-groupe aux blessures « violentes » et « mal cicatrisées ». Leur relation avec leur ancien parti, la « matrice » dans laquelle ils ont « laissé un peu d’[eux]-même », est plus émotionnelle qu’autre chose. Le PDS, pour eux, correspond désormais au passé. « Les contacts sont maintenus, assure Pape Diop, mais les points de vue des uns et des autres restent très différents. En l’état actuel des choses, je vois mal comment on pourrait y arriver. »

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Pendant ce temps-là, Abdoulaye Wade et ce qu’il reste de son parti demeurent braqués sur « l’option Karim » et continuent de réclamer le retour de leur candidat fantôme. « À ce jour, la réconciliation entre l’APR et le PDS me semble impossible, glisse un responsable de la majorité. Et donc reconstruire la famille libérale semble également impossible. » « Gorgui », connu pour son intelligence politique acérée, a -t-il (encore) un rôle à jouer dans le jeu politique ? Et lequel ? « C’est un géant. Se défaire de lui n’était pas une mince affaire, observe Amadou Sall notre interlocuteur. Mais Macky Sall a réussi. »