Sénégal : Déthié Fall, un candidat de plus pour l’opposition ?

L’ex-bras droit d’Idrissa Seck se rêve un destin présidentiel après avoir conduit avec doigté la principale coalition de l’opposition, Yewwi Askan Wi, aux élections locales de janvier et aux législatives de juillet.  

Mis à jour le 6 septembre 2022 à 12:26
 
 

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Si le tribun Ousmane Sonko (à droite) est le visage de YAW, Déthié Fall (à gauche) en est le stratège. Ici à Dakar, le 8 juin 2022. © SEYLLOU/AFP

 

C’est la nouvelle bataille : dans une semaine seront désignés les membres du bureau de l’Assemblée nationale, ce qui devrait clore définitivement le chapitre des législatives du 31 juillet, tout en clarifiant le rapport de forces entre pouvoir et opposition. Mais, d’un côté comme de l’autre, tous les esprits sont déjà tournés vers 2024. À peine les résultats publiés, Ousmane Sonko a pris tous ses camarades de court en annonçant sa candidature à l’élection présidentielle, ouvrant ainsi le bal des ambitieux au sein de l’opposition. Ont suivi Malick Gakou, Bougane Gueye Dany et Karim Wade, sachant que l’ancien maire de Dakar, Khalifa Sall, avait annoncé ses intentions dès novembre 2021, dans un entretien accordé à Jeune Afrique.  

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Et ce n’est pas fini. Un nouveau candidat pourrait bien venir se joindre aux précédents. Dans la presse, plusieurs appels invitent Déthié Fall, le mandataire national de Yewwi Askan Wi (YAW, l’une des deux coalitions de l’opposition), à se positionner. L’intéressé est-il à l’origine de ce soudain enthousiasme médiatique ? « Beaucoup de personnes se mobilisent pour que je pose ma candidature, répond l’ancien numéro deux d’Idrissa Seck. C’est une question qui est à l’étude. Je ne tarderai pas à rendre ma décision publique. » 

Colosse au visage poupin

En ce début d’après-midi du 30 août, à Dakar, Déthié Fall échange avec nous au téléphone en même temps qu’il se dirige au volant de sa voiture vers le siège du Parti républicain pour le progrès (PRP), la formation qu’il préside et où se tiennent la plupart des conclaves de YAW. Juste avant, il participait à une réunion « sans rapport avec la politique », explique-t-il. Ce colosse de 47 ans au visage poupin est en effet depuis plusieurs années le directeur industriel de la NMA Sanders, l’un des fleurons agro-industriels du Sénégal fondé en 1996 par l’homme d’affaires Ahmet Amar.

Si le tribun Ousmane Sonko est le visage de YAW, Déthié Fall en est le stratège. Son principal fait d’armes : avoir manœuvré en coulisses pour que l’inter-coalition YAW-Wallu Sénégal voie le jour, après plusieurs tentatives infructueuses. « Les cadres de Wallu voulaient que l’on aille aux législatives avec une liste unique. Mais le choc des ambitions des uns et des autres rendait cette éventualité improbable. J’ai donc émis l’idée que chaque coalition garde son identité, son nom et ses listes, tout en mutualisant les forces », raconte-t-il fièrement. L’accord, simple, mais pour le moins original, consistait à faire en sorte que les deux coalitions se partagent les investitures sur la base des résultats obtenus aux locales. La stratégie s’est révélée payante puisque l’opposition est, pour la première fois, parvenue à mettre la majorité en ballotage.

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N’eût été le ralliement à la dernière minute de Pape Diop à Benno Bokk Yakaar (BBY), Déthié Fall aurait sans doute remporté son pari. « Il a forcé le respect et s’est imposé en tant que leader politique, résume Moussa Diaw, enseignant-chercheur à l’Université Gaston-Berger de Saint-Louis. C’est désormais une voix qui compte au sein de l’opposition. » Près de deux ans après s’être émancipé de la tutelle de son ancien mentor, celui qui a lancé son parti en mars 2021 se rêve maintenant un destin national. 

La rencontre avec Idrissa Seck

Pour cet ingénieur formé à l’École polytechnique de Thiès, tout commence en 2000, lorsqu’il rencontre Idrissa Seck pour la première fois. À l’époque président de l’Amicale des élèves-ingénieurs, il sollicite une audience auprès de celui qui est alors le directeur de cabinet d’Abdoulaye Wade. « S’est alors créée une sympathie mutuelle, et nous avons ensuite maintenu le contact », raconte le natif de Saint-Louis.  

Les deux hommes se rapprochent à partir de 2004, lorsque Idrissa Seck, devenu Premier ministre, tombe en disgrâce et est incarcéré pour détournement de fonds publics. « Je me suis rapproché de lui par solidarité dans un premier temps, puis par compassion. Et cela s’est ensuite traduit par un engagement politique à sa sortie de prison lorsqu’il a lancé, en octobre 2006, son parti », explique Déthié Fall.  Au sein de Rewmi, il gravit rapidement les échelons et passe en six ans de simple militant à vice-président. Une ascension sous l’aile de son protecteur qui culmine avec son élection comme député en 2017.  

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Idrissa Seck réussit à se forger une stature de chef de file de l’opposition en arrivant deuxième à la présidentielle de 2019 mais, en novembre 2020, il annonce son ralliement à Macky Sall. Un retournement de veste surprenant pour un homme qui, pendant près de huit ans, a critiqué la gouvernance du chef de l’État et que Déthié Fall ne comprend pas, si bien qu’il prend publiquement position contre la décision de son mentor. Limogé de ses fonctions, il quitte Rewmi après seize années de compagnonnage. « À l’Assemblée nationale, nous avons toujours porté un discours contre Macky Sall. Il était hors de question que je renie mes convictions. J’ai préféré prendre mes responsabilités et [Idrissa Seck] les siennes », conclut-il. 

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Rewmi, désormais allié à la coalition au pouvoir, a perdu depuis de son envergure et a même été défait à deux reprises à Thiès, fief historique d’Idrissa Seck, lors des dernières joutes électorales. De quoi réjouir le mandataire national de YAW ? « Je préfère ne pas en parler, élude-t-il, refusant d’attaquer son ancien parrain. Je travaille aujourd’hui à massifier mon parti pour les prochaines élections. »  

Pas encore de base politique

Mais face à Ousmane Sonko, principal opposant à Macky Sall, à Khalifa Sall ou à Karim Wade, que pourrait bien peser Déthié Fall, qui n’est plus député faute d’avoir pu se représenter à cause de l’invalidation de la liste nationale des titulaires de YAW ? « Ce serait précipité, s’il se portait lui aussi candidat. Il n’a pas encore de véritable base politique et doit déjà se construire une image pour se différencier des autres leaders », prévient l’enseignant-chercheur Moussa Diaw. Déthié Fall, lui, ne l’entend pas de cette oreille et compte bien se soumettre au vote des Sénégalais si « son parti lui en donne l’accord ». Dont acte.