Mali: dans le nord-est à Talataye, l’urgence est à l’évacuation des déplacés

 

Plusieurs milliers d’habitants de Talataye cherchent à rejoindre les grandes villes du nord du Mali. Ces déplacés ont fui les combats qui ont opposé, mardi 6 septembre, les jihadistes de l’EIGS, la branche sahélienne du groupe État islamique, et leurs rivaux du Jnim, liés à al-Qaïda. Les ressortissants de Talataye et les groupes armés locaux s’organisent pour venir en aide aux déplacés.

Talataye est aujourd’hui ravagée et complètement vidée de sa population. Les jihadistes de l’EIGS ont laissé derrière eux des bâtiments pillés, brûlés, et les cadavres de 42 civils. Ceux qui n’avaient pas eu le temps de fuir...

Selon de nombreuses sources locales – élus et ressortissants de Talataye, groupes armés, sources sécuritaires et humanitaires –, plusieurs milliers d’habitants de Talataye qui avaient fui les combats, le plus souvent à pied, attendent toujours qu’on leur vienne en aide. Ils végètent dans des campements de fortune, dispersés dans un rayon de 20 à 30 kilomètres autour de la ville.

« Les premiers jours, ils n’avaient rien à manger. Mais grâce aux cotisations et à la mobilisation de ressortissants et de personnes de bonne volonté, ils ont pu recevoir des vivres. Mais l’urgence, c’est de les sortir de là »explique un élu de Talataye.  

« Tout le monde veut se mettre à l’abri » 

Talataye et les campements environnants comptent habituellement environ 10 000 habitants, selon cet élu local. Dix jours après les combats, plusieurs milliers d’entre eux cherchent encore à rejoindre les villes de Gao, à environ 150 kilomètres à l’ouest, ou de Kidal, plus de 200 km au nord. Dans une moindre mesure, certains prennent la direction de la ville de Ménaka ou encore de l’Algérie.

D’autres localités de la zone qui n’ont encore subi aucune attaque se mettent également à se vider de leurs habitants : « Ils ont peur et suivent la même dynamique, tout le monde veut se mettre à l’abri », explique un cadre du MSA (Mouvement pour le salut de l’Azawad), groupe armé local membre de la Plateforme pro-Bamako, signataire de l’accord de paix de 2015.

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Depuis dix jours, c’est principalement ce groupe armé qui organise le transport des déplacés. Le MSA, très implanté dans ce secteur et dans toute la région de Ménaka, avait pris part aux combats contre l’EIGS à Talataye pour tenter de protéger les populations.

Quelques éléments locaux de la CMA (Coordination des mouvements de l’Azawad, ex-rebelles indépendantistes) sont également mobilisés, de leur propre initiative, selon un porte-parole de la CMA qui précise qu’aucune action à l’échelle du mouvement n’a été décidée.  

« Nous sommes seuls » 

« Nous avons déjà organisé deux convois vers Gao », raconte un cadre du MSA. « Nous transportons aussi des déplacés plus au nord de la ville, sur la route de Kidal, dans des zones où ils peuvent faire paître leurs animaux. Mais tout ça est difficile à organiser, et nous sommes seuls », déplore cette source qui mentionne également le risque que les combattants de l’EIGS ne reviennent s’en prendre aux populations toujours en attente. « Il faut vite les mettre en sécurité », conclut-il. 

La Minusma, déjà mobilisée à Ménaka pour la protection de la ville et l’accueil des déplacés qui ont afflué ces derniers mois, a dépêché à Gao des enquêteurs sur les droits de l’homme. Ils ont déjà commencé à recueillir les témoignages des victimes, selon une information communiquée de source civile locale. Sollicitée par RFI sur le dispositif envisagé pour les déplacés de Talataye, la Minusma n’a pas donné suite.

Des soldats de la Minusma, à Gao. AFP/Archivos

Plusieurs centaines de personnes déplacées de Talataye – plus de 2 000, selon une estimation non recoupée – sont en tout cas déjà arrivées à Gao. « Ils se sont installés sur un terrain inoccupé dans la ville », explique une représentante de l’Association des femmes ressortissantes de Talataye à Gao, impliquée dans leur prise en charge.

« Mais c’est très difficile, car ils n’ont souvent même pas pu emporter leurs tentes avec eux. Alors, ils en fabriquent avec ce qu’ils trouvent ou ils se mettent sous les arbres. Surtout, poursuit cette source, ils n’ont pas de point d’eau, c’est très difficile. » Cette ressortissante de Talataye s’inquiète également, en cette période d’hivernage, de plusieurs cas de paludisme non pris en charge.

« Le gouvernement n’a rien fait »

« On a besoin de l’aide du gouvernement malien qui n’a rien fait jusqu’à aujourd’hui, déclare cette source qui précise que des équipes du HCR (Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés) et du CICR (Comité international de la Croix-Rouge) ont commencé à recenser ce mercredi le nombre des déplacés. Elle souhaite qu’une aide concrète puisse rapidement leur être apportée.

« Nous avons effectivement lancé une mission d’évaluation dans la ville de Gao et dans sa périphérie, confirme le siège du CICR à Bamako. Nous évaluons les besoins en eau, en nourriture et en protection, puis nous essaierons de répondre au maximum de nos possibilités. » À l’heure de la publication de cet article, le HCR a confirmé être mobilisé, mais n’a pas été en mesure de fournir de précisons.

Dans les environs de Talataye, et plus généralement dans cette partie nord-est du Mali qui s’étend jusqu’à la zone des trois frontières (Mali-Niger-Burkina), de nouveaux combats sont à prévoir. La branche sahélienne du groupe État islamique entend consolider son ascendant dans la zone, acquis au cours des six derniers mois. Et le Jnim cherche à se renforcer pour faire face à ces assauts répétés.

De son côté, le MSA reste mobilisé pour défendre les populations civiles. Et d’autres groupes armés, notamment au sein de la CMA, n’excluent plus de participer aux prochains combats. Des consultations internes sont en cours à Kidal afin de déterminer l’implication de ces groupes aux prochains affrontements.

Plus de 900 civils massacrés 

Le MSA, depuis plus de six mois en première ligne face à l’EIGS, sollicite le soutien de l’armée nationale pour protéger les populations. L’état-major des armées du Mali a indiqué avoir mené mardi dernier un vol de « reconnaissance offensive » dans la zone, mais aucun homme n’a été déployé sur le terrain, ni au moment des combats, ni depuis lors, pour protéger ou secourir les déplacés.  

Depuis le début de l’offensive de l’EIGS dans le nord-est du Mali, en mars dernier, plus de 900 civils auraient été massacrés : 145 à Tamalat, 213 à Anderamboukane, 310 à Inekar… Des bilans effroyables, recueillis auprès des communautés locales et compilés par le journaliste malien indépendant Walid Ag Menani. Ces chiffres viennent préciser et alourdir les bilans fournis jusqu’ici par différentes sources locales et internationales, qui faisaient déjà état de plusieurs centaines de morts. 

Et depuis ces dernières heures, un message vocal posté sur les réseaux sociaux suscite émotion et crainte. Il a été enregistré par El Hadj Ag Gamou, figure de la communauté touarègue Imghad, général de l’armée malienne et chef de la branche militaire du Gatia, autre groupe armé local signataire de l’accord de paix.

Dans ce message, le général Gamou demande aux civils de la zone de quitter leurs campements et de se rapprocher des grandes villes pour se mettre à l’abri. Des paroles destinées à sauver des vies, mais qui ont surpris dans la bouche d’un général pourtant rôdé aux combats difficiles. Une prise de parole qui en dit long sur le rapport de force actuel sur le terrain.