Guinée : entre Alpha Condé et Mamadi Doumbouya, la bataille sans fin

Un an après le putsch du 5 septembre 2021, l’ancien président guinéen renversé et le chef de la junte continuent leur bras de fer à distance.

Par  - à Conakry
Mis à jour le 19 septembre 2022 à 17:58
 
 
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L’ancien président guinéen Alpha Condé (à g.) et le colonel Mamadi Doumbouya (à dr.), chef de la junte en Guinée. © MONTAGE JA : VINCENT FOURNIER pour JA ; JOHN WESSELS/AFP

LE MATCH DE LA SEMAINE – Après lui avoir ravi le fauteuil présidentiel, Mamadi Doumbouya imposerait-il à Alpha Condé le silence ? L’ancien président est pourtant « libre » depuis le 22 avril, selon un communiqué de la junte signé par le chef d’état-major général des armées, le colonel Sadiba Koulibaly. Mais il s’agit d’une liberté de papier. Si l’annonce, du bout des lèvres, avait permis à l’ex-chef de l’État guinéen de recevoir ses proches pendant deux jours, elle visait surtout à éviter les sanctions de la Communauté des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) – qui se réunissait le 25 avril – en convainquant les chefs d’État de la sous-région de la volonté d’apaisement des militaires.

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Depuis qu’il l’a renversé, Mamadi Doumbouya tient Alpha Condé à l’œil, comme s’il craignait encore la capacité de nuisance de l’ancien président. Si ce dernier avait déclaré à ses visiteurs, deux jours après l’annonce de sa libération, n’avoir « ni l’intention ni les moyens de mener quoi que ce soit contre le CNRD [Comité national du rassemblement pour le développement] », il garde toujours la tête de son parti. Entre le fondateur du Rassemblement du peuple de Guinée (RPG Arc-en-ciel) et la politique, c’est une histoire d’amour qui ne finira qu’à la tombe.

Une « surmédiatisation » qui dérange

À la fin d’août, au moment où le CNRD s’apprête à célébrer le premier anniversaire de sa prise du pouvoir, l’ancien président jouait (passivement ?) au trouble-fête lorsque les Guinéens apprennent de ses nouvelles à travers les colonnes de Jeune Afrique. Le directeur de la rédaction, François Soudan, décrit un Alpha Condé « serein », « suffisamment valide pour une heure de marche quotidienne sur la plage, l’ex-président passe ses journées à lire, à peaufiner son bilan et à s’entretenir au téléphone avec des amis dont le cercle, inévitablement, s’est restreint ». Mieux, Alpha Condé se tient « informé de tout, et de tout ce qui touche à la Guinée en particulier, avec une avidité qui ne se dément pas ».

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Cette « surmédiatisation », ce manque de réserve de l’ancien président, dérange le locataire du palais Mohammed V, qui exige le retour à Conakry d’Alpha Condé. Une répétition de l’histoire. Au mois d’avril, Mamadi Doumbouya avait réclamé aux Émirats arabes unis le retour, dare-dare, de l’ex-chef de l’État. Privé de ses téléphones et placé sous étroite surveillance à Abou Dhabi, où il avait été préalablement évacué en début d’année, l’ancien dirigeant avait malgré tout réussi à interférer dans la gestion de son parti, en proie à une guéguerre de succession.

Il avait également prédit l’actuel divorce entre Mamadi Doumbouya et la classe politique, ainsi que les difficultés financières et économiques de la Guinée en raison de la crise mondiale. Depuis le 1er juin, le pays a enchaîné des manifestations sanglantes contre la hausse des prix du carburant et la gestion unilatérale d’une transition que beaucoup craignent de voir s’éterniser.

Négociations diplomatiques

Alpha Condé s’est envolé le 21 mai pour Istanbul, sans passeport ni garde du corps. Une précaution pour garantir un séjour médical discret et un retour en Guinée. Sauf qu’Ankara, à la différence d’Abou Dhabi, n’a pas l’air de vouloir se plier aux injonctions de Conakry. Le 7 septembre, un groupe de militaires guinéens a fait une descente musclée au port autonome de Conakry, en partie sous concession d’Alport, la filiale guinéenne du groupe turc Albayrak.

Un ultimatum de 72 heures est alors donné à la société afin qu’elle organise le retour en Guinée d’Alpha Condé pour le voyage duquel elle s’était impliquée, sans quoi, elle devra cesser ses activités. Ces menaces seront partiellement mises à exécution le 12 septembre : le directeur général d’Alport Conakry, Mustafa Levent Adali, et trois de ses secrétaires ont été contraints de quitter leur bureau.

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Des discrètes négociations diplomatiques sont menées entre le ministre guinéen des Affaires étrangères, Morissanda Kouyaté, et l’ambassadeur turc à Conakry, Volkan Türk Vural. Les deux échangent des coups de fil et des notes verbales en vue de clore l’incident. Le chef de la diplomatie guinéenne s’est également entretenu le 14 septembre avec son homologue turc, nous apprend-on. Les colonels Balla Samoura, Sadiba Koulibaly et Amara Camara, respectivement haut commandant de la gendarmerie nationale, chef d’état-major général des armées et ministre secrétaire général à la présidence ont également mené des négociations de leur côté. Finalement, la société Alport a repris ses activités au port de Conakry. Un sursis à l’exécution des injonctions pour le retour de l’ancien président semble donc acquis.

Impossible devoir de réserve ?

Cette obligation au silence ne se limite pas au président déchu. Le lendemain de la prise du pouvoir, la junte a intimé aux anciens dignitaires de s’abstenir de communiquer. Deux semaines après, l’ancien conseiller d’Alpha Condé, Tibou Kamara, sera arrêté dans la nuit pour avoir transgressé la mesure, justifiera un communiqué du CNRD. Puis, au mois de novembre qui a suivi, Mamadi Doumbouya a réitéré ce devoir de réserve aux responsables du RPG Arc-en-ciel convoqués au palais Mohammed V après le lancement d’un mouvement en faveur de la libération de l’ancien président.

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Peu disert, le président de la transition tient au silence. L’aura-t-il dans ce monde ouvert ? Après avoir signé, au mois de juillet dans Jeune Afriqueune tribune dépeignant un Mamadi Doumbouya avide de pouvoir au point d’abuser de la confiance d’Alpha Condé, Adrien Poussou, l’ancien ministre centrafricain revient à la charge. Il publie Guinée : Les véritables raisons d’un coup d’État inique. Comment le président Alpha Condé est-il devenu un homme à abattre ? (Edilibres). Un livre qui, comme on pourrait le deviner, risquer de heurter Doumbouya, parce ce qu’il essaie de réhabiliter Condé.