Sénégal : 2024 avec ou sans Macky Sall ? L’APR se divise
Maintenant que la page des législatives est tournée, le parti présidentiel se prépare pour le scrutin de février 2024. Mais la question du troisième mandat fait débat jusque dans ses rangs.
Macky Sall a déjà dit par le passé et à plusieurs reprises qu’il ne briguerait pas de troisième mandat. © DR.
Il a été le premier à acheter sa carte. Ce samedi 12 octobre, alors que battent les tambours et que les militants entonnent des chants à la gloire du chef – « Avec Macky jusqu’à la mort ! »–, Macky Sall a renouvelé son adhésion au parti qu’il a créé et qui l’a porté à la tête de l’État il y a dix ans. Une réunion « symbolique » aux allures de cérémonie – ou de coup d’envoi… À quinze mois du prochain scrutin présidentiel, prévu en février 2024, l’Alliance pour la République (APR) se « remobilise » pour conserver le pouvoir.
Mais qui portera les couleurs du parti ? Depuis sa réélection en 2019, le président laisse le flou planer sur sa candidature à un troisième mandat, qu’il avait promis dans le passé et à plusieurs reprises de ne pas briguer. Ce samedi, il s’est encore une fois bien gardé de se prononcer sur le sujet. D’autres l’ont fait à sa place.
« Le moment est venu de ne plus attendre que le président Macky Sall dise que je suis candidat. L’APR a décidé, à travers ma voix […], de présenter le président Macky Sall, candidat de l’APR-Yaakaar et de la mouvance présidentielle. On ne s’en cache pas », plastronnait dans la presse, la veille de l’évènement, Mbaye Ndiaye. Le directeur des structures du parti, ministre d’État sans portefeuille, est l’un des premiers à avoir invité le président sénégalais à briser le silence et à se déclarer sa candidature pour 2024.
Silence présidentiel
Huit jours plus tard, une déclaration de Moustapha Kane, un cadre influent de la formation politique, faisait réagir les observateurs. Sur sa page Facebook, le président du conseil d’administration de l’Agence sénégalaise de promotion des exportations (Asepex) prenait publiquement le contre-pied de son camarade. Moustapha Kane compte parmi les plus anciens fidèles de Macky Sall, dont il a été le chef de cabinet lors de son passage à la tête de l’Assemblée nationale entre 2007 et 2008.
« Tous ceux qui incitent le président à faire un troisième mandat défendent juste leur propre intérêt. Le président n’a dit à personne qu’il veut faire un troisième mandat. Le Sénégal a besoin de paix et de stabilité », dit-il dans une vidéo de cinq minutes en wolof, attirant l’attention sur les dissensions internes que provoquent cette question sensible. « Si nous aimons [Macky Sall] comme on le prétend, nous devons l’aider à préserver son héritage très important, poursuit-il. Ce qu’il a fait dans ce pays, aucun autre président ne l’a fait. »
Jusqu’ici, les membres de l’APR affichaient un front uni autour de Macky Sall. La plupart refusaient de voir dans la colère de l’ex-Première ministre, Aminata Touré, qui a claqué la porte du parti en septembre dernier pour protester contre le choix de porter Amadou Mame Diop au perchoir de l’Assemblée, le signe avant-coureur de divisions plus profondes.
« Au sein de l’APR, le seul chef à bord, c’est le président. Il donne les orientations, et il n’est pas possible de les discuter », assure Cheikh Sow, cadre de la Société d’aménagement et de promotion des côtes et zones touristiques du Sénégal (Sapco) et membre du parti. Mais face au silence présidentiel, les langues se délient et, à mesure que le scrutin approche, différentes tendances se forment. Certains, comme Moustapha Kane, ne font plus mystère de leur volonté de voir le président laisser sa place. D’autres pensent déjà à la succession. « Ils se disent, “après Macky, c’est nous” », glisse un proche du chef de l’État. D’autres encore préfèrent voir comment le vent tourne avant de se prononcer. « Eux seront les premiers à quitter le navire quand il commencera à tanguer », prédit notre interlocuteur. Et puis il y a les « inconditionnels », ceux pour qui c’est « Macky ou rien ».
« Ni plan A ni plan B, que le plan Macky »
« Le problème du parti est qu’il n’y a pas eu de construction de succession. Au sein de l’APR, il n’y a ni plan A ni plan B. Il n’y a que le plan Macky, poursuit notre source. Dans le parti, la majorité est favorable à une nouvelle candidature, parce que personne d’autre n’apparaît en mesure de battre l’opposition aujourd’hui. Mais si le seuil de contradictions atteint un niveau trop élevé, le parti pourrait bien imploser. »
Voir Macky Sall renoncer à tenter de briguer un troisième mandat reviendrait à ouvrir la boîte de Pandore au sein de la tentaculaire coalition présidentielle Benno Bokk Yakaar (BBY). « Le président reste le capitaine du navire. Et ce qui nous arrangerait, c’est qu’il se représente. S’il choisit un dauphin, nous aurons mille candidatures », ajoute Thierno Ahmadou Sy, ancien journaliste de l’audiovisuel public sénégalais encarté au sein du parti présidentiel. Et les ambitions et les rivalités ont déjà coûté cher à la majorité lors des élections locales et législatives de cette année.
« JE SUIS LOYAL AU PRÉSIDENT MACKY SALL, POURVU QUE CETTE LOYAUTÉ SOIT RÉCIPROQUE ! »
Car c’est bien au soir des législatives du 31 juillet que les divisions au sein de l’APR sont en réalité apparues. Ce jour-là, Abdoulaye Diouf Sarr, l’ancien ministre de la Santé, laisse éclater sa frustration au siège du parti situé dans la commune de Mermoz, au fur et à mesure que les tendances de vote montrent un recul de la majorité présidentielle et une percée historique de l’opposition, qui avait fait de la question du troisième mandat son cheval de bataille pendant la campagne.
« Il faut que Macky Sall comprenne que ce n’est pas nous le problème. C’est de lui que les Sénégalais ne veulent plus », s’emporte alors le responsable apériste, selon le récit qu’en feront plusieurs sources présentes lors de cette rencontre. Des propos qu’il dément avoir tenus, regrettant la « spéculation » autour de ces déclarations. « J’ai juste fait remarquer que si notre parti était uni, si les responsables avaient été solidaires, les choses auraient été différentes. Ces résultats sont ceux de la division, surtout au niveau de Dakar », précise l’actuel vice-président de l’Assemblée.
Le 17 octobre, la conférence de presse qu’Abdoulaye Diouf Sarr organise pour lancer un mouvement politique « porté par des amis » prend l’allure d’un règlement de compte. « Je suis loyal au président Macky Sall, pourvu que cette loyauté soit réciproque ! Quand j’ai été injustement débarqué de mon poste de ministre, je l’ai vécu sereinement. Quand on a mis les saboteurs de ma campagne lors des locales dans le nouveau gouvernement, je n’ai rien dit. Ceux qui insultent sont promus aux postes stratégiques. Et ceux qui agissent avec discipline et courtoisie sont mis à l’écart. Quand le moment sera venu de voler de mes propres ailes, je [le ferai]. » Le nom d’Amadou Ba n’est pas prononcé, mais il fait peu de doute que le Premier ministre est directement visé.
Dilemme
Désormais rentré dans le rang, Abdoulaye Diouf Sarr refuse de revenir sur cette brouille. « Si Macky Sall est candidat, il aura le plein soutien du parti », répète-t-il. Un soutien unanime ? « La question de la constitutionnalité de sa candidature ne se pose pas, insiste un proche collaborateur du président. La question est d’ordre moral : il a dit qu’il ne le ferait pas. » Des déclarations qui sont sans cesse rappelées au chef de l’État par la société civile et par l’opposition, déjà mobilisées contre le troisième mandat.
En 2011, le pays s’était soulevé contre celui d’Abdoulaye Wade, qui avait échoué à se faire réélire dans les urnes. Qu’en sera-t-il aujourd’hui, alors que l’opposition détient quasiment la moitié des sièges à l’Assemblée nationale ? Le 27 octobre, un collectif de plusieurs organisations de la société civile, dont Y’en a marre, l’Afrikajom Center d’Alioune Tine ou la Rencontre africaine pour la défense des droits de l’Homme (Raddho), avait mis le pouvoir en garde. « Macky Sall doit respecter sa parole et annoncer au plus tard le 31 décembre qu’il ne sera pas candidat », insiste Alioune Tine.
« Ce n’est pas “après moi, le déluge”, mais partir maintenant serait comme rester au milieu du gué, rétorque un conseiller présidentiel. C’est un réel dilemme. Et la question du troisième mandat a finalement créé une césure au sein du parti. »