Mali : quel avenir pour la Minusma ?

Après les Britanniques, les Ivoiriens ont annoncé leur retrait de la mission des Nations unies au Mali. Les conditions du maintien des autres Casques bleus est désormais en question, alors que Bamako est en conflit ouvert avec une partie de la communauté internationale.

Mis à jour le 22 novembre 2022 à 15:04

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Lors d’une mission de l’ONU au Mali au village d’Ogossagou, le 2 septembre 2022. © Minusma/Harandane Dicko

Il y a ceux qui se retirent, comme Londres et Abidjan l’ont annoncé, ceux qui y réfléchissent, comme les Allemands, qui pourraient faire cette annonce ce mardi 22 novembre, ceux encore qui ont au moins un temps suspendu leurs opérations. Neuf ans après le déploiement des 13 000 Casques bleus, les effectifs de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (Minusma) seraient-ils en train de fondre comme neige au soleil ?

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« Il est important de noter que la situation au Mali n’est pas différente de celle des autres opérations de maintien de la paix de l’ONU : des pays les rejoignent, d’autres les quittent aussi parfois. Aucun pays ne reste indéfiniment en tant que contributeur », a fait savoir le porte-parole du secrétaire général de l’ONU Farhan Haq, semblant minimiser l’aspect politique des annonces récentes.

Un millier de Casques bleus en moins

Si les départs et arrivées de contingents sont effectivement chose courante, les annonces rapprochées de retrait et les inquiétudes soulevées par certains pays contributeurs marquent un virage dans la conduite de la mission onusienne. Avec le départ anticipé des contingents britannique et ivoirien, la Minusma, qui déployait en septembre 11 791 militaires, se voit amputée respectivement de 249 et 856 Casques bleus, sans compter les effectifs civils et policiers. Des pertes qui s’ajoutent à celles du contingent suédois, qui a également décidé de se retirer un an plus tôt que prévu.

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Des effectifs pour lesquels aucun remplacement n’a pour l’instant été annoncé, bien que Farhan Haq assure que « la Mission évalue l’impact des retraits prévus sur nos opérations, et [que l’ONU] est déjà en discussion avec un certain nombre de pays afin de combler les éventuelles lacunes ». Comme celles engendrées par le départ des Britanniques. Arrivé en décembre 2020, le contingent opérait au sein du « Long Range Desert Group », effectuant des missions de reconnaissance longue portée avec une capacité de trois semaines d’autonomie environ sur le terrain et offrait à la Minusma un accès dans des zones plus isolées.

Les Ivoiriens, eux, opèrent au sein de trois compagnies d’infanterie et de sécurisation des bases, réparties entre Mopti, dans le centre du pays et Tombouctou, au nord. Dans le contexte actuel, difficile de ne pas imputer la décision d’Abidjan à la dégradation de ses relations diplomatiques avec Bamako, alors que 46 soldats ivoiriens, déployés dans le cadre de la Minusma selon la Côte d’Ivoire, sont détenus au Mali depuis plus de quatre mois, accusés par les autorités d’avoir voulu déstabiliser le pays.

« Effet domino »

Avant la Côte d’Ivoire et le Royaume-Uni, l’Égypte, troisième pays contributeur avec un peu plus d’un millier de Casques bleus déployés selon les données disponibles sur le site des Nations-Unies, avait décidé de suspendre les activités de ses contingents. Au total, entre Le Caire, Londres et Abidjan, ce sont plus d’une vingtaine d’unités militaires, sur 114 au total, qui ont suspendu leurs opérations ou prévoient de le faire à court terme. D’autres pourraient suivre. Le gouvernement allemand a entamé des réflexions en ce sens et pourrait annoncer le retrait anticipé de ses 575 soldats ce mardi 22 novembre.

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Autant de départs qui représentent une perte de capacités pour la mission onusienne. Si les Britanniques ne fournissent pas d’appui logistique aux autres contingents, ce n’est pas le cas des Égyptiens et des Allemands. Les premiers fournissent principalement un travail d’escorte et de sécurisation des convois quand les seconds gèrent notamment l’hôpital militaire à Gao. Leur potentiel départ fait craindre un « effet domino » auprès des contingents européens qui bénéficient des services de santé et de la prise en charge des blessés par les Allemands. À moins qu’un autre pays ne décide de prendre le relais. « Mais qui voudrait déployer de nouvelles troupes dans les circonstances actuelles ? » interroge un chercheur.

Tension avec les autorités hôtes

Le spécialiste pointe « l’absence totale de coopération du gouvernement hôte ». Tant sur le plan politique, avec l’expulsion du porte-parole de la Minusma en juillet dernier, que sur le terrain, avec la mise en place d’une zone d’exclusion aérienne et l’interdiction d’accès à certains terrains pour les enquêteurs de la division des droits de l’homme.

Dès le mois d’août, quinze pays contributeurs, principalement des États occidentaux, faisaient part de leur inquiétude quant à la poursuite de la mission dans le contexte actuel. Parmi les signataires, l’Allemagne, qui réfléchit actuellement à son avenir au sein de la force onusienne. Les drones de reconnaissance fournis par Berlin, et qui assurent la sécurité des patrouilles et l’identification des menaces, seraient pour l’instant empêchés de décoller du fait de restrictions aériennes, selon nos sources. De quoi interroger sur la pertinence de continuer à déployer des soldats et de l’équipement sur un territoire où la marge de manœuvre s’est drastiquement réduite.

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D’autres pays contributeurs, comme le Togo (715 Casques bleus), le Tchad (1 420), le Bénin (249) ou le Burkina Faso (630), pourraient être influencés par leur propre situation sécuritaire, à l’heure où la menace jihadiste s’étend dans l’ensemble du Sahel et vers les pays du golfe de Guinée. Si la participation à une mission de la paix de l’ONU peut s’avérer rémunératrice pour certaines armées aux moyens financiers limités, les gouvernements sahéliens et ouest-africains pourraient être contraints d’arbitrer entre leurs besoins nationaux et la manne financière que représente leur participation à la Minusma.

En juin prochain, le Conseil de sécurité de l’ONU devra décider s’il souhaite ou non renouveler le mandat de sa mission au Mali. Il pourrait aussi se résoudre à en redéfinir les contours, en limitant la Minusma aux affaires civiles et politiques et en supprimant son volet militaire, déjà largement entravé.