Mali : Haïdara, Dicko… Les leaders religieux peuvent-ils bousculer la transition de Goïta ?

Après l’imam Dicko, c’est au tour du président du Haut conseil islamique du Mali (HCIM) d’alerter sur la situation du pays. Une mise en garde pour les autorités de Bamako ?

Mis à jour le 20 décembre 2022 à 14:31
 
 

 relimali

 

 

Le chef religieux malien Cherif Ousmane Madani Haidara (à gauche) s’entretient avec Mahmoud Dicko, à Bamako, le 2 mai 2015. © HABIBOU KOUYATE/AFP

 

 

« Tant sur le plan sécuritaire que sur le plan alimentaire, ça ne va pas ». Le ton est ferme et le propos ne souffre d’aucune ambiguïté. Dans une vidéo tournée jeudi 15 décembre, l’influent prédicateur malikite, Chérif Ousmane Madani Haïdara, président du Haut conseil islamique du Mali (HCIM) depuis 2019, évoque une « crise sans précédent » et exhorte les Maliens à « dire la vérité aux autorités lorsqu’elles sont sur le mauvais chemin ».

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Dire « la vérité »

Tout aussi influent que discret, le religieux est ainsi sorti de sa réserve, « sous la pression de certains membres du HCIM », croit savoir le proche d’un autre religieux malien, qui a requis l’anonymat. « Il y a une forme de frustration au sein de l’institution, dont certains membres souhaiteraient être davantage entendus des autorités, ajoute-t-il. Ils ont le sentiment de perdre en influence et ont demandé à faire passer un message au régime. »

Une pression que dément Aboubacar Doucouré, président de la plateforme des jeunes musulmans et patriotes du Mali et membre du HCIM. « Dans son message, Chérif Ousmane Madani Haïdara, bien qu’il soit président du Haut Conseil islamique, n’évoque pas une seule fois le nom de l’institution. Et je peux vous dire qu’en tant que membre actif du bureau exécutif, je n’ai pas été associé à la préparation de cette déclaration, qui engage Chérif Haïdara et pas le HCIM ».

« La déclaration de Chérif Ousmane Madani Haïdara n’a rien de nouveau, je ne crois pas qu’il faille y voir une forme d’hostilité particulière à l’égard de la transition », nuance le chercheur Boubacar Haïdara, auteur d’une thèse sur les formes d’articulation de l’islam et de la politique au Mali. Bien sûr, son message traduit une situation qui lui pose problème, mais rien ne laisse présager dans sa déclaration qu’il pourrait s’engager dans la voix de la contestation contre le gouvernement. Ce serait une première. Haïdara répète simplement ce qu’il a dit sous tous les régimes : « Nous accompagnons tous les pouvoirs, nous ne contestons pas, mais cela ne veut pas dire que nous ne disons pas la vérité aux gouvernants ».

Faiseurs et tombeurs de présidents

Hostilité revendiquée ou non à l’égard de la junte, le prédicateur n’a pas manqué, à peine un mois plus tôt, de faire la démonstration de sa force de frappe. Le 4 novembre, une impressionnante foule de fidèles s’était massée à l’appel du religieux sur le boulevard de l’Indépendance de Bamako afin de dire « non au blasphème ».

Convoquée pour des motifs religieux, la mobilisation a finalement fait émerger des protestations contre la cherté de la vie. Haïdara lui-même avait profité de l’occasion afin de critiquer le fait que « les religieux ne soient pas suffisamment pris en compte par la transition ». À peine quelques jours plus tard, le prédicateur était reçu au palais présidentiel de Koulouba par le président de la transition, Assimi Goïta.

Faiseurs ou tombeurs de présidents, les figures religieuses sont partie intégrante du paysage politique du Mali. « Qu’il s’agisse de politique ou de tout autre sujet de société, il faut impliquer les religieux. Les politiques savent bien qu’ils ne peuvent pas diriger seuls, sans leur soutien et leur capacité de mobilisation », revendique un proche de l’imam Mahmoud Dicko, qui fut l’autorité morale du M5-RFP. À partir de juin 2020, le mouvement contestataire dont les manifestations monstres ont précipité la chute d’Ibrahim Boubacar Keïta devait en grande partie son affluence à l’appel du prédicateur wahhabite.

« Depuis le début de la transition, l’imam Dicko a perdu une partie de ses soutiens. Ou du moins les partage-t-il en partie avec les militaires au pouvoir. Résultat : Dicko, en homme politico-religieux affuté, s’est volontairement effacé de la scène politique. Mais à mesure que la popularité des colonels s’érodera, Mahmoud Dicko va se positionner sur les sujets de mécontentement afin de les exploiter », analyse Boubacar Haïdara.

« Arrogance » de la transition

En mai 2022, l’imam Dicko donnait de nouveau de la voix, vilipendant « l’arrogance » des militaires qui dirigent le pays et « l’orgueil » de la communauté internationale. Il estimait alors que, « pris en otage » entre les deux, le peuple malien était en train de « mourir à petit feu ». « Les Maliens réalisent les promesses non tenues de la transition. La situation intérieure du Mali n’est pas bonne, sans parler des conflits ouverts avec la Cedeao et, surtout, avec la Côte d’Ivoire », détaille un proche du religieux.

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Une allusion à l’affaire des 46 soldats ivoiriens détenus au Mali depuis le 10 juillet, dans laquelle les autorités religieuses de Bamako ont tenté une médiation. Au mois d’août, alors qu’une délégation de religieux ivoiriens se rendait à Bamako, le HCIM avait intercédé auprès du Premier ministre malien par intérim, le colonel Abdoulaye Maïga, en faveur de la libération des militaire ivoiriens. Depuis, seules les trois femmes du contingent ont été libérées et la situation s’enlise.

Bien que Chérif Haïdara et Mahmoud Dicko défendent des visions de la société et des doctrines différentes, les deux religieux pourraient bien « synchroniser leurs forces » si la situation de s’améliore pas, affirme un proche du second.

Une entente de circonstance, qui devrait également associer des représentants politiques et des membres de la société civile afin de s’entendre sur des propositions « de sortie de crise », a affirmé Haïdara dans sa prise de parole. De quoi faire fléchir la junte malienne dont le discours officiel, tout en reconnaissant les difficultés sociales, assure avoir repris l’ascendant sur le plan militaire ? Les autorités « devront écouter les propositions des leaders religieux », a en tout cas assuré Chérif Ousmane Madani Haïdara.