Scrutin clé pour Patrice Talon : cinq questions pour comprendre les législatives au Bénin
À trois ans de la prochaine présidentielle et alors que le président a assuré qu’il ne briguerait pas de nouveau mandat, ces élections s’annoncent comme un véritable test. D’autant que l’opposition pourra pleinement y participer.
Jeune Afrique – Bénin © MONTAGE JA : Yanick Folly / AFP ; SLON PICS/FREEPIC
Le décryptage de JA – À l’heure où est sifflée la mi-temps du second et dernier mandat de Patrice Talon, débuté en 2021, ces législatives s’annoncent comme un test pour les principales formations politiques béninoises. Tant la mouvance présidentielle que l’opposition s’apprêtent à opérer une vaste redistribution des cartes à trois ans de la présidentielle de 2026.
Le 8 janvier prochain, 6,6 millions d’électeurs sont appelés aux urnes pour élire la nouvelle Assemblée nationale. Quatre ans après les législatives de 2019, marquées par des violences électorales, des appels au boycott et un très fort taux d’abstention, le premier enjeu de ce scrutin sera la participation.
L’abstention devrait cependant être en net recul : pour la première fois depuis 2015 en effet, le scrutin sera « ouvert », et les Béninois pourront glisser dans l’urne un bulletin frappé du nom de l’un des opposants en lice. Ces derniers ont cependant un obstacle de taille à lever. Pour obtenir des sièges, la liste sur laquelle ils figureront devra impérativement dépasser le seuil de 10 % de voix.
1. Pourquoi les députés n’auront-ils qu’un mandat de trois ans ?
Si les députés sortants s’apprêtent à clore un mandat de quatre années, l’Assemblée nationale issue du scrutin du 8 janvier prochain ne siègera que trois années. Un « Parlement de transition » dû à la réforme du système politique lancée par le président dès son premier mandat. Le but est de parvenir à organiser des élections générales au Bénin en regroupant les scrutins locaux, législatif et présidentiel, à l’image de ce que fait son voisin nigérian en une seule et même année.
Le calendrier fixé prévoit donc que les prochaines élections législatives et communales se tiennent le même jour, en janvier 2026, quelques semaines avant la présidentielle qui doit se dérouler en avril.
Autre nouveauté : le nombre de députés va passer de 83 à 109 et 24 sièges seront exclusivement réservés aux femmes, à raison d’un par circonscription.
Cette refonte du calendrier a été menée par étapes, en parallèle de la réforme du système partisan qui a conduit à la limitation drastique du nombre de formations, avec pour philosophie affichée la simplification et la clarification du jeu politique.
En faisant précéder la présidentielle par des législatives, la réforme conduite par le chef de l’État aura aussi pour conséquence de renforcer le rôle du Parlement vis-à-vis de l’exécutif. Un paradoxe pour Patrice Talon, adepte d’une gouvernance verticale – que l’on a pu qualifier sous d’autres latitudes de « pouvoir jupitérien ».
Les partisans de cette réforme soulignaient que des économies allaient être réalisées grâce à la quasi-concomitance des scrutins et que ce calendrier permettrait de mettre fin à la « campagne électorale permanente » qui mobilisait auparavant le Bénin.
2. S’agit-il des premières élections législatives inclusives de l’ère Patrice Talon ?
Oui. L’Assemblée nationale sortante a été qualifiée de « Parlement monocolore » par ses détracteurs. En cause, les conditions dans lesquelles s’est tenu le scrutin législatif de 2019, qui ont provoqué une grave crise politique.
Le gouvernement avait en effet renforcé de manière drastique les conditions permettant à un parti de se présenter aux élections. D’une part, il fallait justifier de la présence de candidats dans l’intégralité des circonscriptions – un moyen d’éviter les micropartis « régionalistes », voire « ethnicistes », selon les avocats de la réforme. D’autre part, chaque formation devait obtenir des récépissés pour obtenir sa reconnaissance légale, ce qui a créé une âpre bataille politique, administrative et judiciaire.
Tout cela, doublé de l’intransigeance du ministère de l’Intérieur, a conduit à une élection en forme de match amical. Seuls l’Union progressiste et le Bloc républicain, les deux partis appartenant à la mouvance présidentielle, ont été autorisés à présenter des candidats en 2019.
Cette fois, sept formations sont en lice. D’un côté, l’Union progressiste pour le renouveau (UP-R), le Bloc républicain (BR), le Mouvement des élites engagées pour l’émancipation du Bénin (MOELE-Bénin) et l’Union démocratique pour un Bénin nouveau (UDBN), qui se réclament de la mouvance présidentielle. De l’autre, une opposition représentée par les Force cauris pour un Bénin émergent (FCBE), le Mouvement populaire de libération (MPL) et le parti Les Démocrates (LD).
Ce dernier, créé par Thomas Boni Yayi après que l’ancien président avait claqué la porte des FCBE, a bien failli ne pas pouvoir présenter de candidats à nouveau. Le 16 novembre, la Commission électorale nationale autonome (Cena) n’avait en effet pas retenu sa liste, arguant notamment d’un défaut de documents des impôts pour certains des candidats présentés par LD. La Cour constitutionnelle a cependant tranché en sa faveur dès le lendemain, en soulignant que l’erreur était imputable à l’administration fiscale, et non aux candidats.
3. Quel est l’objectif de l’opposition dans ce scrutin ?
Sauf surprise, aucune des listes de l’opposition ne semble en capacité d’arriver en tête au niveau national. Pour les FCBE comme pour Les Démocrates, les deux principaux partis d’opposition en lice – en concurrence frontale tant ils se partagent le même électorat –, l’objectif est donc avant tout d’engranger suffisamment de voix pour obtenir le statut de chef de file de l’opposition.
Une position avant tout symbolique. Paul Hounkpè, secrétaire exécutif national des FCBE, a été le premier à se voir attribuer ce rôle, au lendemain des élections locales de 2021, auxquelles son parti avait été le seul issu de l’opposition à avoir été autorisé à participer. Mais force est de constater qu’il n’aura eu qu’un poids modéré dans les débats législatifs et qu’il s’est montré relativement discret sur le plan médiatique.
Une marginalisation de fait que le leader des FCBE espère voir prendre fin au lendemain de l’annonce des résultats. Les députés FCBE se donnent pour mission « de réexaminer toutes les lois “crisogènes” votées avec facilité et dans la précipitation au cours de la mandature qui s’achève », a lancé Paul Hounkpè lors du lancement de la campagne de son parti.
Pour Les Démocrates, le pari est équivalent, à une différence majeure : le parti a tout à prouver sur le plan électoral. Éric Houndété, le patron des LD, se trouve dans une position compliquée. Thomas Boni Yayi, fondateur et président d’honneur de la formation, est invisible sur la scène politique intérieure.
L’ancien chef de l’État, vent debout contre Patrice Talon il y a encore quelques mois, semble avoir mis de l’eau dans son vin. Après s’être rapproché de son successeur au fil de rencontres très médiatisées, Thomas Boni Yayi a été nommé médiateur de la Cedeao dans la crise guinéenne. Un rôle qui l’a tenu loin du marigot politique de Cotonou, au sein duquel son positionnement semble de plus en plus difficile à cerner.
Les Démocrates peuvent en tout cas compter sur le soutien d’une partie de l’opposition en exil. « Nous avons le devoir d’exhorter le peuple tout entier à se rendre aux urnes, quelles que soient les inquiétudes et interrogations », écrivent ainsi, dans un texte rendu public en fin de semaine dernière, Léhady Soglo, ancien maire de Cotonou et fils de l’ex-président Nicéphore Soglo, Amissetou Affo Djobo, ancienne députée des FCBE, et Yacoubou Bio Sawè, ancien directeur de cabinet de Boni Yayi, qui s’était porté candidat à la dernière présidentielle aux côtés de Mathieu Kérékou.
4. Les partis de la mouvance sont-ils réellement en concurrence ?
L’Union progressiste – qui s’est adjoint le terme de « renouveau » au cours de la mandature qui s’achève – et le Bloc républicain ont beau avoir fait campagne commune derrière Patrice Talon lors de la dernière présidentielle, l’heure des duels entre barons locaux a sonné. Au-delà d’offrir aux caciques des deux partis l’occasion de préserver leurs fiefs respectifs, le scrutin de ce 8 janvier doit aussi départager les deux mastodontes de la majorité.
L’UP, avec 47 élus au sein de l’Assemblée sortante, part en position de force. Mais le Bloc républicain, qui domine dans une large partie du nord du pays, espère renverser la tendance à la sortie des urnes. Dans la ligne de mire des deux frères ennemis, gagner un poids électoral suffisant pour prétendre aux meilleurs postes au sein du futur gouvernement.
Dans le cas de l’Union progressiste, l’enjeu est plus crucial encore. D’abord parce que le parti, leader de fait, ne peut se permettre de se retrouver en seconde position. Ensuite parce qu’après les importants changements effectués à sa tête ces derniers mois, elle doit prouver que sa stratégie est la bonne dans la perspective de la présidentielle de 2026.
5. Ces élections permettront-elles d’en savoir plus sur le successeur de Patrice Talon en 2026 ?
C’est le non-dit de ce scrutin, et il occupe pourtant tous les esprits. Patrice Talon, qui a fait inscrire dans le marbre de la Constitution la limitation à deux mandats présidentiels « à vie », ne devrait pas se représenter en 2026. « Il s’y est engagé, il n’y a aucune raison qu’il revienne sur sa parole. C’est un homme d’honneur », assène un proche du chef de l’État lorsqu’on se risque à émettre l’hypothèse d’un troisième mandat.
Le président n’a, pour l’heure, pas désigné de dauphin. Pas plus qu’il ne s’étend sur la question de sa succession, de peur de réveiller les rivalités au sein de son propre camp, alors qu’il n’est encore qu’à mi-mandat. Les ambitions, affichées plus ou moins ouvertement, n’en commencent pas moins à se faire jour. Et dans cette perspective, chaque mouvement au sein des organigrammes des partis de la mouvance est scruté avec une attention redoublée. Comme lorsque Joseph Djogbenou a été choisi pour diriger la liste de l’Union progressiste.
Avocat de Patrice Talon quand celui-ci n’avait pas encore accédé à la magistrature suprême, Djogbénou a été nommé à la tête de la Cour constitutionnelle par le chef de l’État. Une décision qui avait, en son temps, provoqué une vive polémique.
Fidèle parmi les fidèle du président, Djogbénou a démissionné de la plus haute juridiction du pays, en juillet dernier, pour se (re)lancer sur la scène politique. Son retour y a été tonitruant : en quelques semaines, il a pris la présidence de l’Union progressiste, où il a succédé à l’incontournable Bruno Amoussou et est devenu une personnalité montante. Le fait que, dans la foulée de sa prise de contrôle de l’UP, Romuald Wadagni, ministre des Finances à qui beaucoup prêtent des ambitions politiques, et Benjamin Hounkpatin, ministre de la Santé, ait été évincés du bureau politique n’est pas anodin. D’aucuns ne manquent d’y voir les premiers signes d’une recomposition de la majorité. Voire l’émergence d’un potentiel successeur de Patrice Talon.