Ouattara, Bédié, Gbagbo : leurs plans secrets pour la présidentielle de 2025

Les élections régionales et municipales se tiendront à la fin de l’année en Côte d’Ivoire. Un test grandeur nature pour les principaux partis politiques et leurs leaders, qui ont déjà tous la prochaine présidentielle en tête.

Mis à jour le 19 janvier 2023 à 13:08
 
 
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Henri Konan Bédié, Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo. © Montage JA ; AFP ; Twitter

 

 

« L’année 2023 sera marquée par la tenue, aux mois d’octobre et de novembre, des élections locales, c’est-à-dire régionales et municipales, les dernières ayant eu lieu en octobre 2018 et le mandat des conseillers régionaux et municipaux étant de cinq ans. » Le 5 janvier, devant le corps diplomatique accrédité en Côte d’Ivoire rassemblé pour la cérémonie des vœux organisée à la présidence, le chef de l’État, Alassane Ouattara (ADO), a résumé en peu de mots le principal enjeu politique des douze mois à venir. Auquel on peut ajouter celui des sénatoriales, qui devraient se dérouler début 2024.

Année charnière donc, tant pour le parti au pouvoir que pour l’opposition, et dernier grand test électoral avant la présidentielle de 2025, à laquelle tout le monde pense déjà. De l’issue de ces scrutins réputés mineurs dépendra beaucoup plus qu’on ne peut l’imaginer.

Ouattara tient les rênes du RHDP…

Du côté du président et de sa formation, le Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), l’heure est à la grande offensive. Objectif : prendre de l’avance sur la concurrence et occuper le terrain le plus longtemps possible. Tous les barons du parti sont déjà mobilisés pour remporter les 201 communes ou les 31 régions du pays. Le Premier ministre, Patrick Achi, tentera de se faire réélire à la tête du conseil régional de la Mé (Sud-Ouest). Dans son sillage, plusieurs autres ministres seront candidats : Fidèle Sarrasoro (ministre directeur de cabinet d’ADO) brigue la région du Poro (Nord), Anne Désirée Ouloto (ministre de la Fonction publique) le Cavally (Ouest), Kobenan Kouassi Adjoumani (Agriculture) le Gontougo (Nord-Est), Mamadou Touré (Promotion de la jeunesse) le Haut-Sassandra (Centre-Ouest), Bruno Koné (Logement) la Bagoué (Nord), Amédée Kouakou (Équipement) le Lôh-Djiboua (Centre)…

Pour les municipales, idem. Adama Bictogo, le président de l’Assemblée nationale, se lance à l’assaut de la commune abidjanaise, réputée pro-Gbagbo, de Yopougon – pas franchement une sinécure. Kandia Camara, la ministre des Affaires étrangères, entend être reconduite à Abobo, glanée auparavant par feu Hamed Bakayoko. Amadou Koné (Transports) vise Bouaké, Souleymane Diarrassouba (Commerce) se lance sur les terres du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) à Yamoussoukro, et Laurent Bogui Tchagba (Eaux et Forêts) à Marcory. Sans oublier l’homme d’affaires proche du couple présidentiel, Fabrice Sawegnon au Plateau, et le conseiller du chef de l’État Lacina Ouattara à Korhogo, ou encore son directeur du protocole Éric Taba à Cocody.

NE LAISSER QUE DES MIETTES À L’OPPOSITION

Depuis de longs mois maintenant, Alassane Ouattara s’attelle à mettre en place un parti fort, stable et incontestable qui ne laisserait que des miettes à son opposition. « Le président a repris personnellement et très directement les rênes du RHDP, a consacré l’essentiel de son énergie à constituer méticuleusement ce puzzle, pièce par pièce, explique un de ses visiteurs du soir. Cela a commencé par la tête, le directoire, puis les candidatures sur les listes aux locales et régionales. Il a tout supervisé, a mis la main à la pâte pour arbitrer, expliquer, calmer les déçus. »

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Cette implication est à la fois voulue et subie. Car autour de lui, il n’y a plus les pivots d’antan. Ses deux plus proches collaborateurs sur le plan politique, au Rassemblement des républicains (RDR) hier, puis au RHDP aujourd’hui, Amadou Gon Coulibaly et Hamed Bakayoko, ne sont plus de ce monde et ont laissé un vide immense. Et si Gilbert Koné Kafana, ministre d’État et numéro deux du RHDP, a pris du galon, si ADO a nommé un vice-président pour remplacer Daniel Kablan Duncan, en la personne de l’ancien gouverneur de la Beceao, Tiémoko Meyliet Koné, et si, enfin, Patrick Achi donne entière satisfaction à la tête du gouvernement, rien ne sera plus comme avant. On ne remplace pas le « Lion de Korhogo » et « Hambak » facilement…

Au sein du parti, tout le monde sait qu’il a intérêt à répondre aux attentes du chef de l’État, que ce dernier observe méticuleusement les performances des uns et des autres et que cela influera sur l’échéance présidentielle de 2025, qu’il décide de rempiler ou de désigner un successeur – ou plutôt une équipe amenée à prendre sa suite, tant l’ampleur de la tâche semble insurmontable pour un seul homme. Malheur à celui ou celle qui ne gagnera pas son élection.

… et Bédié celles du PDCI

Du côté de l’opposition, la situation est moins claire. Dans les rangs du PDCI d’Henri Konan Bédié (HKB), d’abord. Après l’ubuesque annulation du congrès extraordinaire qui devait se dérouler le 14 décembre, une semaine seulement avant l’événement, et les communiqués contradictoires annonçant ou infirmant son report dans la même journée, c’est peu dire que le flou artistique règne. Ce congrès, dont personne ne sait précisément quand il se tiendra, devait surtout servir à mettre les textes du parti en conformité avec ses règlements et à asseoir la légitimité du “Sphinx de Daoukro”.

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Depuis la présidentielle de 2020 boycottée par l’ensemble de l’opposition, le parti dirigé par Henri Konan Bédié est en proie à des luttes intestines, entre rivalités de personnes – notamment Maurice Kakou Guikaoué et Niamien N’Goran, tous deux très proches de HKB – et désaccords sur la stratégie à adopter en vue des prochaines échéances électorales : les locales de 2023 et surtout, la présidentielle de 2025.

IL S’AGIT DE RÉINVENTER LE PARTI

« Tout cela est le signe d’une fin de cycle, explique un de ses cadres influents. Bédié a repris en main le parti qui a longtemps été géré au quotidien par d’autres. Mais il ne peut aller plus loin. Contrairement à ce que certains pensent, il se préoccupe de l’avenir. Sans doute compte-t-il présenter un autre candidat que lui en 2025 tout en restant le patron du PDCI. Ce peut être Jean-Louis Billon, Tidjane Thiam, Niamien N’Goran ou un autre : peu importe, car notre principal défi n’est pas là. Nous devons retrouver nos racines, c’est-à-dire enfin nous préoccuper du bien-être des Ivoiriens, proposer des idées nouvelles, parvenir à nous déployer dans tout le pays ce qui n’est plus le cas. Bref, il ne s’agit pas de faire renaître notre parti, mais de le réinventer ! » Une gageure, tant le débat se cristallise aujourd’hui sur les personnes, et non sur le fond. Quant à la question de la succession de Bédié, elle n’est toujours pas d’actualité.

Gbagbo discret

Chez Laurent Gbagbo, l’heure n’est guère plus à la sérénité. Un peu plus d’un an après le lancement du Parti des peuples africains – Côte d’Ivoire (PPA-CI), le souffle porteur du renouveau et de l’ambition de l’époque est quelque peu retombé. Depuis son retour à Abidjan le 17 juin 2021 – quelques mois après son acquittement définitif par la Cour pénale internationale (CPI) où il était jugé pour crimes contre l’humanité –, et alors que de très nombreux militants en transe l’avaient accueilli à l’aéroport, Laurent Gbagbo a fait beaucoup moins de sorties publiques qu’escompté. On ne l’entend guère, on le voit encore moins. Y compris, d’ailleurs, pour certains cadres qui ont œuvré à son retour, dont beaucoup se plaignent de la difficulté à trouver leur place, que ce soit dans le parti ou auprès de l’ancien président qu’ils disent corseté par sa seconde épouse, Nady Bamba, et son entourage.

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Le positionnement idéologique, lui, n’est plus très clair. Le champ de compétences des différentes structures mises en place non plus : Assoa Adou, un vieux de la vieille de l’entourage du « camarade Laurent », a été nommé président du mystérieux Conseil stratégique et politique (CSP), épaulé par Sébastien Dano Djédjé et le porte-parole du parti, Justin Koné Katinan. Il semble marcher sur les plates-bandes de la direction exécutive confiée à Hubert Oulaye, qui serait elle-même parfois en conflit avec le secrétariat général, attribué à Damana Pickass.

L’inconnue 2025

Pas simple, d’autant que la concurrence directe, à force de scissions, joue son va-tout. Simone Gbagbo a lancé son propre parti, le Mouvement des générations capables (MGC) ; Pascal Affi Nguessan, qui a récupéré depuis longtemps déjà le Front populaire ivoirien (FPI), creuse son sillon de son côté ; et Charles Blé Goudé, de retour lui aussi en Côte d’Ivoire, a rompu avec son ancien mentor et compagnon de prison aux Pays-Bas. Gbagbo, dont on dit la santé fragile, n’est-il plus que l’ombre du leader charismatique et du tribun hors pair qu’il fut jadis ? Pour l’instant, difficile de dire le contraire. Il n’en demeure pas moins un animal politique rare qu’il convient de ne pas « enterrer ». Tout comme Bédié d’ailleurs, dont les silences sont loin de signifier perte d’influence ou absence de stratégie.

LES SÉQUELLES DE 2020 INQUIÈTENT ADO

Ouattara, Bédié, Gbagbo… La Côte d’Ivoire se résume-t-elle encore et toujours à ces trois-là ? Pour l’instant, oui. Et le premier cité, en position de force, demeure le maître du jeu, et du temps. Il a aujourd’hui toutes les cartes en main pour 2025. Que fera-t-il lors de cette échéance ? Personne ne le sait, et l’intéressé lui-même n’a sans doute pas encore pris sa décision. « Il n’a à l’évidence pas encore fait son choix, ni de se représenter coûte que coûte ni de passer la main, confirme un de ses très proches. Même si c’était le cas, il ne s’en ouvrirait d’ailleurs à personne, histoire de garder tout le monde “focus”. Mais il est très préoccupé. Par le contexte régional d’abord, mais aussi par la stabilité de la Côte d’Ivoire. Les séquelles de 2020 – le retour de l’ivoirité et le fait que les Dioulas ont tendance à se braquer – l’inquiètent au plus haut point. »

Le choix de Ouattara

De fait, ADO s’est évertué ces derniers mois à pacifier le pays, politiquement comme socialement : le retour de Gbagbo et son amnistie, celui de Blé Goudé, la réforme de la Commission électorale indépendante, la hausse des salaires des fonctionnaires et du salaire minimum garanti, le recrutement de 25 000 nouveaux agents publics en 2023, la maîtrise de l’inflation malgré le coût énorme pour le budget de l’État qui augmentera tout de même de près de 20 % cette année… Fort heureusement, malgré une conjoncture mondiale particulièrement délicate, la Côte d’Ivoire devrait maintenir un rythme de croissance enviable, autour de 7 % en moyenne sur la période 2023-2025. De quoi le rassurer ?

« Ne vous y trompez pas, poursuit notre source, Alassane Ouattara voulait réellement partir en 2020 et il est tout à fait capable de le faire en 2025. Ce sont les circonstances qui dicteront son choix. S’il pense que, par devoir, il doit rempiler, il n’hésitera pas une seconde. Il se fiche désormais de son image, largement écornée en 2020 alors qu’il ne le méritait pas, ce qu’il a très mal vécu. Mais s’il trouve une solution convenable pour s’en aller, il le fera aussi, sans hésitation. C’est d’ailleurs pour cela qu’il veut un RHDP fort et stable, afin que le choix d’un éventuel candidat puisse se faire sans heurts. La différence, aujourd’hui, c’est que Gon Coulibaly et, dans une moindre mesure, Bakayoko, ne sont plus là. Ceux sur qui il s’appuie le plus pour gérer l’État – Patrick Achi, Tiémoko Meyliet Koné, Fidèle Sarrasoro, Abdou Cissé ou son frère Ibrahim – ne sont pas des monstres sacrés du parti. Personne ne s’impose politiquement comme les deux anciens Premiers ministres. Quant à ceux qui s’imaginent pouvoir prendre sa suite, ils devront prouver qu’ils en ont l’étoffe, le convaincre et le rassurer, ce qui ne sera pas une mince affaire tant l’homme construit ses relations et accorde sa confiance sur la durée. » Il faut un début à tout. Et cela commence par gagner les élections d’octobre et novembre prochains.