Au Togo, la gestion du fonds de riposte Covid fait polémique

Un rapport de la Cour des comptes étrille la gestion des deniers publics alloués à la lutte contre la pandémie en 2020. De son côté, le gouvernement se défend de toute irrégularité.

Par  - à Lomé
Mis à jour le 8 mars 2023 à 12:22
 

  deputes

 

 

Les membres du gouvernement, dont le ministre du Commerce, Kodjo Adedzé, au micro, face aux députés. © Assemblée Nationale

Commande, sans bon d’achat, de 31 500 tonnes de riz auprès de la société Olam pour 8,6 milliards de francs CFA (13,1 millions d’euros), marché de gré à gré de plus 4 milliards de francs CFA pour l’achat d’engrais à la société Élisée Cotrane, octroi d’indemnités allant jusqu’à 1,1 million de F CFA sans base juridique… Voici quelques unes des « irrégularités » et des « insuffisances » relevées lors de l’audit du Fonds de riposte et de solidarité Covid-19 (FRSC) lancé en 2020 par le gouvernement.

À LIREAu Togo, les nouvelles mesures anti-Covid passent mal

Mis en ligne par la Cour des comptes sur son site le 1er février, le rapport de 86 pages a suscité de nombreux commentaires dans l’opinion publique et a obligé le pouvoir de Faure Essozimna Gnassingbé à réagir.

Critiques de la société civile

Dans un communiqué publié le 9 février, le gouvernement, visiblement agacé par la pression citoyenne, a indiqué avoir « pris acte » du contenu du rapport, tout en soulignant avoir lui-même commandité l’audit du fonds de riposte Covid à la Cour des comptes. « La mission assurée par la Cour des comptes traduit un fonctionnement normal des institutions de l’État de droit ainsi que la volonté de transparence qui anime les autorités togolaises », souligne le gouvernement, qui ajoute avoir souhaité la publication rapide du rapport dans un « esprit de transparence et de pédagogie ».

« L’inéligibilité éventuelle d’une dépense peut découler d’un contexte marqué par une extrême urgence due à l’imprévisibilité de la crise et aux grandes difficultés d’approvisionnement des équipements et matériels médicaux sur le marché mondial. Ceci ne signifie ni que la dépense est fictive, ni que les deniers ont été utilisés de manière illégale, voire détournés. D’ailleurs, la Cour n’a pas établi de rapport de malversations ou de fraudes », conclut le communiqué gouvernemental.

À LIRETogo : comment la pandémie de Covid-19 a réhabilité le rôle de l’État

Cette sortie, loin de rassurer l’opinion, a plutôt alimenté les interrogations et les critiques. Pour Thomas Dodji Koumou, président de la coalition Lidaw, qui regroupe plusieurs organisations de la société civile togolaise, il s’agit d’une « trahison » et d’un « abus de confiance et de fraude fiscale ». « Environ 80 % du fonds mobilisé en 2020 [173 milliards de francs CFA] sont issus de prêts et représentent donc une dette que nous et nos enfants allons devoir rembourser dans les années à venir », s’insurge cet économiste, qui invite la justice à s’auto-saisir et trancher.

« Ni détournement ni vol »

Le 21 février, à l’Assemblée nationale, une dizaine de ministres se sont présentés devant le Parlement pour s’expliquer sur la gestion polémique du fonds de riposte Covid-19. « Le rapport n’a jamais parlé de prévarication, de détournement ou de vol », a souligné Christian Trimua, le ministre des Droits de l’homme. Selon lui, les Togolais doivent « modérer » leur « passion » autour de cette affaire et ne pas « outrepasser la pensée de la Cour » pour « diffamer » ou « porter atteinte à la réputation » de gens sans preuves.

Sa collègue de l’Économie numérique, Cina Lawson, a pour sa part indiqué que le reliquat du programme de solidarité Novissi n’était pas de 779 millions de F CFA, comme indiqué dans le rapport de la Cour des comptes, mais d’environ 200 millions de F CFA à la fin décembre 2020.

Absence de suites judiciaires

Sani Yaya, le ministre des Finances, a dénoncé la « méthode avec laquelle la Cour a conduit l’audit » avant de préciser que la commande des 31 500 tonnes de riz avait été faite suivant le droit anglais parce qu’aucun « opérateur économique togolais ne disposait de moyens financiers conséquents pour l’effectuer en urgence ». « Il aurait fallu que ce rapport public soit présenté de manière plus pédagogique », a-t-il regretté devant les députés.

À LIRECovid-19 : face aux variants, le Togo lance sa campagne de troisième dose de vaccin

Ces différentes explications ministérielles ne convainquent pas Kao Atcholi, président d’Asvitto, une autre organisation de la société civile. « Ce sont de vaines tentatives pour noyer l’audit de la Cour et le priver des suites judiciaires qui devraient normalement lui être réservées. Le chef de l’État doit prendre ses responsabilités constitutionnelles », conclut-il.