Voix d'Afrique N°104.



En février dernier, deux films (Les Rayures du zèbre (5 février 2014) et Le Crocodile du Botswanga (19 février 2014) abordaient le même sujet, sujet déjà traité dans Comme un lion (9 janvier 2013) : Marchandages, gros contrats, corruption, relations Nord/Sud, sélec-tionneurs peu scrupuleux… les thèmes abordés par ces films n’offrent pas une image du football très reluisante mais celle d’un sport gangréné par l’argent et les rapports de forces. Certes, on ne s’éloigne pas vraiment de la réalité. On s’intéresse au marchandage et à la traite des joueurs originaires du continent africain.


Yaya aux prises avec son rêve belge !

Fragilisé dans sa vie personnelle, José (Benoît Poelvoorde), un agent de footballeurs, recrute ses jeunes poulains en Afrique, un continent dont il maîtrise parfaitement les codes et où il retrouve un semblant d’équilibre grâce à son aura d’Européen. Parmi les candidats à l’exil, il pense avoir trouvé un champion quand il déniche Yaya, qui dit avoir 19 ans, ex-voyou et surdoué du ballon rond. Mais le jeune prodige fait une crise de paludisme le jour de son test dans un grand club. Pour José, c’est donc loin d’être la poule aux œufs d’or. Entretemps, accompagné par son ami Koen, José tombe sous le charme de l’Afrique et surtout de la jolie Gigi. Quand celle-ci lui annonce qu’elle est enceinte, il ne la croit pas et la rejette. Une lâcheté qu’il va vite regretter. Il va tenter de la reconquérir...

Malgré tout, il embarque Yaya en Belgique, convaincu de son potentiel et persuadé que le garçon va l’aider à se sortir de la mauvaise passe financière où il se trouve. Le môme, pas si gamin que ça, finit par atterrir chez les Zèbres de Charleroi, authentique club au maillot rayé noir et blanc et dont la mascotte est, ironique-ment, l’animal d’Afrique. Mais rien ne se passera comme prévu...

Le réalisateur

Quand deux Benoît belges, l’un derrière, l’autre devant la caméra, font du cinéma, cela donne Les convoyeurs attendent et Cowboy. Troisième comédie du tandem Mariage-Poelvoorde, Les Rayures du zèbre commence comme une grosse farce footballistique sur l’Afrique, ce « continent corrompu »...

Le réalisateur Benoît Mariage ainsi que les producteurs Boris Van Gils et Michaël Goldberg avaient très apprécié un documentaire télévisé sur les joueurs de football ivoiriens sélectionnés par un club flamand. Il ajoute cependant que le football n’est pas le sujet majeur de son film : « C’était un prétexte pour parler des relations Nord/Sud. Sur les difficultés de se comprendre et de s’aimer entre Blancs et Noirs. Surtout quand ces deux mondes sont tellement opposés. Le sens de la morale n’est pas le même dans une société d’abondance que dans une société de pénurie ». J’aime parler de choses graves avec légèreté. Je voudrais que ce film soit perçu comme une fable » À la manière d’un bon dribbleur, l’auteur esquive tous les clichés, colonialistes autant que tiers-mondistes. Cela donne lieu à quelques scènes désopilantes, dans le bureau d’un ministre, devant le camion d’une association humanitaire, au restaurant d’un grand hôtel. L’argent est présent partout, mais la cupidité n’est pas qu’à sens unique.

Critiques

Qu’on s’intéresse au foot ou pas, il faut voir « les Rayures du zèbre », le film magnifique du réalisateur belge Benoît Mariage. Car cette tragicomédie tendre, drôle et cruelle, explore les rapports ambivalents entre l’Occident et l’Afrique avec une rare subtilité. Sur fond de mirage foot-ballistique, il est aussi question de sexe, de politique, d’amour, de paternité, de générosité, frelatée ou pas.

Politiquement incorrect et totalement tendre : « Noirs et Blancs en voient de toutes les couleurs dans ce film qui sait être à la fois grinçant et tendre. « On nous a parfois reproché d’être racistes, mais rien n’est plus faux. Tout le monde en prend pour son matricule dans ce film que nous avons voulu juste et aussi éloigné que possible du politiquement correct ». Des répliques où son personnage assène que l’Afrique ne gagnera jamais la Coupe du monde ou que «rien n’est pire qu’un Blanc qui se prend pour un Noir » ont fait grincer des dents. « Il n’y a pas un gramme de méchanceté dans Les rayures du zèbre, insiste Benoît Poelvoorde. Le monde est devenu fou: aujourd’hui, il faut être d’une prudence incroyable dans tout ce qu’on dit. »

Ce n’est pas du tout un film moralisateur : « Tout le monde y trouve son compte. En Afrique, le football est un eldorado, une sorte de « Star Academy ». Le jeune footballeur va nourrir tout son village. On n’est pas là pour donner des leçons. Certains diront que c’est un film anti-Black, d’autres anti-Blanc… À un moment dans le film, la fille dit : «Tu crois que je reste avec toi pour ta gueule ? Non, c’est pour ton pognon. » Ou encore : « L’éthique c’est bien quand ton assiette est pleine, sinon l’éthi-que, on s’en fout. » Ce sont des phrases assez violentes, on pourrait nous accuser de racisme. Mais on a projeté le film à Abidjan, et à aucun moment, les spectateurs ne se sont sentis offusqués. »


"Tu crois que je reste avec toi pour ta gueule ? Non, c’est
pour ton pognon ! "

« Tout le monde en prend un peu pour son grade : les agents véreux, les footballeurs prêts à tout pour gagner l’Europe, les parents qui espèrent le jackpot financier ou les dirigeants de clubs qui se moquent éperdument des problèmes cardiaques d’un attaquant qui pourrait les sortir de la crise en marquant des buts. »

Force et faiblesse des Rayures du Zèbre : « Benoît Mariage aborde tant de facettes que son propos reste fort superficiel. On espérait une dénonciation plus forte des magouilles qui entourent le sport le plus populaire de la planète. Et les prestations de Benoît Poelvoorde sont parfois tellement drôles (même si, à la longue, son accent lasse) qu’on s’attend à rire plus souvent sur l’ensemble du film alors que le sujet ne s’y prête plus.

Par moments brillante mais hélas trop inégale, cette comédie en forme de montagne russe contient suffisamment de scènes cultes et de répliques incisives pour justifier un déplacement dans les salles de cinéma. Même si les rires ne seront pas aussi massifs qu’espérés et les révélations sur le monde du foot finalement peut-être un peu trop gentilles pour convaincre totalement.

Poelvoorde et ses collègues du football belge dessinent le portrait d’une virilité malsaine de gros bébés bouffis, encore ivres de dominer mais réduits à jouer aux mafieux pathétiques pour des clubs de seconde zone, échouant à rester des hommes à femmes quand ils tombent naïvement amoureux des prostituées d’Abidjan.

La capacité du film à garder le cap malgré tout ce qui menace de le faire sombrer dans la vulgarité d’une part, et surtout dans le naufrage idéologique (il a bon fond, ce raciste !), peut faire des Rayures une “dramédie” acceptable, mais c’est principalement à Poelvoorde qu’il faut en donner le crédit. »

Un film exempt de clichés : « Pour peu qu’on connaisse ou pas la Côte d’Ivoire, le pays présenté dans le film n’est pas vendu sur son folklore, les palmiers sont rares et ne sont pas là pour faire rêver. La justesse du jeu des acteurs et la tendresse qu’on ressent rapidement à l’égard des personnages témoignent de la sincérité de la démarche. L’humour est présent tout au long du film, mais il ne nuit pas à la réalité des situations. Car si le film peut être tendre et drôle, il sait aussi être brutal et cruel. Le foot comme vecteur d’intégration ou de promotion sociale n’est pas démenti, mais son pendant « business » qui flirte avec le néocolonialisme est présenté au spectateur, qui se fera son opinion lui-même. »

« Totalement insaisissable en France » Les éloges pleuvent sur Les Rayures du zèbre mais le long métrage ne dépassera pas le million d’entrées, à la différence du Crocodile du Botswanga. Les chiffres ont été effectivement désastreux en France, 332 entrées à Paris pour la première séance parisienne.

De sources diverses
Voix d’Afrique