Présidentielle au Sénégal : une élection sans « patrons » ?

Macky Sall hors du jeu, tout comme Moustapha Niasse, le scrutin de 2024 verra s’affronter de nombreux candidats n’ayant jamais concouru à une élection présidentielle.

Mis à jour le 5 juillet 2023 à 19:43
 
 
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Moustapha Niasse et Macky Sall (ici entourés d’Innocence Ntap Ndiaye et Aly Ngouille Ndiaye, le 28 mai 2019, au palais présidentiel de Dakar) ne seront pas candidats en 2024. © SEYLLOU/AFP

Jamais, en vingt-cinq ans, le Sénégal n’avait connu pareille situation à huit mois d’une présidentielle. Hormis Idrissa Seck (Rewmi), aucun candidat – déclaré ou hypothétique – à l’élection du 25 février 2024 ne cumule en effet les caractéristiques suivantes : être éligible avant même la refonte annoncée du code électoral, avoir été investi par son parti et avoir déjà été candidat à la magistrature suprême.

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Parmi les six autres membres du club très fermé des « Big Seven » (ces partis susceptibles de voir leur candidat se hisser au-delà de 10 % des suffrages au premier tour), le flou ou l’inexpérience à un tel niveau continue de régner. Quoi qu’il advienne, on peut donc anticiper d’ores et déjà que le scrutin entérinera l’extinction des dinosaures politiques sénégalais.

Senghor, membre unique

Au fil des décennies, ce club s’était progressivement étoffé. Depuis l’indépendance et jusqu’à la présidentielle de 1973, ledit club ne comptait en effet qu’un membre unique : le président-poète Léopold Sédar Senghor, élu puis réélu face à lui-même avec 100 % des suffrages exprimés pour cause de parti unique.

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En 1978, Abdoulaye Wade passe une tête dans le saint des saints et récolte, pour sa première participation, 17,80 % des voix face à Senghor. Cinq ans plus tard, ce dernier ayant quitté le pouvoir en cours de mandat, c’est Abdou Diouf, son dauphin désigné, qui s’impose dès le premier tour face à Abdoulaye Wade (14,79 %) et à quatre autres candidats dont le score demeure purement anecdotique.

« Petit nouveau »

L’ère des « Big Two » durera jusqu’en 2000. Cette année-là, qui marque aussi la première alternance au Sénégal, un « petit nouveau » alors âgé de 60 ans s’invite dans le club, qui passe alors à trois membres. Démissionnaire du Parti socialiste (PS), Moustapha Niasse, qui a fondé l’Alliance des forces de progrès (AFP) un an plus tôt, obtient en effet 16,77 % des suffrages pour sa première participation.

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En 2007, le nombre de membres ne varie pas, même si Idrissa Seck (14,92 %) intègre provisoirement le club dont Moustapha Niasse, lui, est provisoirement écarté (5,93 %). Au PS, Ousmane Tanor Dieng a entre-temps remplacé Abdou Diouf en tant que candidat.

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La présidentielle de février-mars 2012 marque la deuxième alternance au sommet de l’État puisqu’elle voit Macky Sall renverser Abdoulaye Wade au second tour. Le 26 février 2012, au soir du premier tour, les « Big Three » deviennent « Big Four ». Derrière Abdoulaye Wade (Parti démocratique sénégalais – PDS), Macky Sall (Alliance pour la République – APR), Moustapha Niasse (AFP) et Ousmane Tanor Dieng (PS) ont en effet obtenu eux aussi plus de 10 %. Idrissa Seck, quant à lui, devra patienter sept années avant d’être à nouveau admis à la table des grands.

Retour en arrière

En 2019, l’élection présidentielle semble marquer un retour en arrière puisqu’elle ne réunit que cinq candidats. L’entrée en vigueur récente de la loi sur les parrainages et les retombées des démêlés judiciaires de Karim Wade et Khalifa Sall sont passées par là, aboutissant à invalider près de trente candidatures.

Notre club sélect doit donc désormais se contenter de trois membres dans la mesure où, outre Macky Sall, réélu dès le premier tour avec 58,26 % des suffrages, seuls Idrissa Seck et Ousmane Sonko parviennent à franchir la barre symbolique des 10%.

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À huit mois de la présidentielle du 25 février 2024, il est encore trop tôt pour deviner qui composera le club des « 10 % et plus ». Une chose, néanmoins, semble acquise dès à présent : parmi les candidats susceptibles d’en devenir membres, les « bizuts » seront majoritaires – même si leur nombre reste inconnu.

Vétéran

À tout seigneur, tout honneur. Le vétéran Idrissa Seck est sur la rampe de lancement, avec des atouts non négligeables. Certes, lors des trois dernières présidentielles, son score a fait du yoyo. Mais, en moyenne cumulée, ses prestations passées (2007, 2012 et 2019) s’élèvent à 14,43 %. Un score tout à fait honorable mais probablement insuffisant pour espérer accéder au second tour, même si d’autres candidats pressentis devaient faire défection.

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Khalifa Sall, maire de Dakar de 2009 à 2018, est le candidat déclaré du mouvement Taxawu Sénégal, qu’il a fondé. La refonte du code électoral dont le récent dialogue national a accouché devrait cette fois lui permettre de concourir malgré sa condamnation passée – contrairement à la présidentielle de 2019 – et le recueil des parrainages (rénové à la faveur du même dialogue national) ne devrait pas constituer un obstacle pour lui.

L’homme dispose d’une longue expérience en politique, ayant été très jeune député puis ministre. Toutefois, malgré ses 67 ans, il n’a encore jamais été candidat à une élection présidentielle. Les sondages politiques étant interdits au Sénégal, on ne dispose donc d’aucun référentiel de nature à évaluer son poids politique lors d’un scrutin national uninominal à deux tours. Tout au plus sait-on qu’il demeure populaire à Dakar et dans sa banlieue, mais il ne sera pas le seul dans ce cas.

Avenir incertain

Dans le camp de l’opposition, l’avenir des autres candidats pressentis est encore incertain. Du côté du PDS, Karim Wade n’a plus à craindre l’épée de Damoclès relative à sa condamnation, en 2015, pour enrichissement illicite. Il est à nouveau éligible depuis 2020, et la réforme du code électorale viendra conforter ce statut.

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Reste à savoir quand il reviendra au Sénégal pour y revêtir son habit de présidentiable. Maintes fois annoncé par le passé, son retour au pays n’a pas eu lieu depuis sa libération et son départ nocturnes pour le Qatar, en juin 2016. S’il a été ministre de 2009 à 2012 et qu’il est le candidat déclaré d’un des principaux partis du pays, Karim Wade demeure un novice en ce qu’il n’a jamais exercé le moindre mandat électif.

Imbroglio

Ousmane Sonko, quant à lui, est dans une situation nébuleuse. Sa condamnation pour corruption de la jeunesse est en effet de nature à l’empêcher de concourir en février 2024 puisqu’il a écopé d’une peine de deux années de prison ferme dont on ignore encore quand elle sera mise à exécution.

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Par ailleurs, l’imbroglio constitué par les dispositions du code de procédure pénale sur la contumace (il n’avait pas comparu à son procès) prévoient l’éventualité d’un nouveau procès dont la tenue reviendrait alors à « anéantir » le jugement rendu le 1er juin. En 2019, pour sa première participation à la présidentielle, l’opposant était arrivé en troisième position avec 15,67 % des suffrages. Depuis, sa popularité n’a cessé de croître dans le pays. S’il est évident qu’il pourrait créer la surprise en cas de candidature, rien ne permet encore d’être sûr qu’il sera en mesure d’y prétendre.

Une page blanche pour la majorité

Du côté de la majorité présidentielle, pour l’heure, la page reste à écrire. L’annonce faite par Macky Sall ce 3 juillet laisse en effet percer de nombreuses interrogations quant à la stratégie qu’adopteront – ensemble ou séparément -– les trois piliers de la coalition présidentielle Benno Bokk Yakaar (BBY).

Une chose paraît sûre à ce stade : à l’APR, aussi bien qu’au PS et à l’AFP, l’ère des dinosaures est révolue. Candidature unique ou pas, le CV des prétendants possibles est en effet vierge en matière d’élection présidentielle.

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C’est notamment le cas à l’APR, où ni Amadou Ba ni Abdoulaye Daouda Diallo, les deux favoris à la succession de Macky Sall, n’ont jamais concouru – pas plus d’ailleurs que leurs camarades de parti. Au PS, Aminata Mbengue Ndiaye, qui avait remplacé Ousmane Tanor Dieng en tant que secrétaire nationale après le décès de ce dernier, en 2019, n’a jamais été en lice, elle non plus, pour un tel challenge.

L’AFP en attente d’un successeur

Quant à l’AFP, le doyen Moustapha Niasse (83 ans) ayant tiré sa révérence après une longue carrière politique, encore faudrait-il que ses héritiers se décident à désigner son successeur à la tête du parti qu’il avait fondé. Quel qu’il soit, homme ou femme, lui ou elle aussi sera vierge de toute candidature passée.

Si l’on tient compte de l’hypothèse selon laquelle Ousmane Sonko pourrait être dans l’incapacité de se présenter et de celle qui pourrait voir une candidature unique au nom des trois principaux partis de Benno Bokk Yakaar, les « Big Seven »  verraient donc, in fine, leur nombre réduit à quatre : trois opposants face à un représentant unique de l’actuelle mouvance présidentielle.

Parmi eux, seul Idrissa Seck aurait déjà pris ses marques lors d’une telle élection. Ce qui ne signifie pas pour autant qu’il sera le mieux placé pour l’emporter.