Missionnaires d'Afrique
R.D.Congo
Bernard Ugeux M.Afr
Causes culturelles de la porosité dans la diffusion d'Ebola
Il existe une résistance culturelle aux règles de prévention du virus Ebola.
Sans vouloir généraliser cette réflexion à l'ensemble des sociétés africaines qui sont très diverses, il est utile de prendre en compte certaines traditions culturelles en matière de santé si l'on veut comprendre la rapidité de la diffusion du virus malgré la bonne volonté des agents de santé.
Dans la plupart des comportements traditionnels que l'on rencontre en Afrique sub-saharienne, on retrouve plusieurs attitudes qui peuvent entraîner des risques. Il s'agit de la compréhension des causes de la maladie, de l'accompagnement des malades et des rites funéraires.
Lorsqu'une personne donne de sérieux signes d'asthénie ou de morbidité, surtout quand le pronostic semble fatal, le premier réflexe de ses proches est de s'interroger sur la personne responsable de cette agression. Cette question n'exclut pas qu'ils s'adressent plus tard à un dispensaire ou un hôpital, mais ce qui provoque l'angoisse, c'est le " fantasme de dévoration " par un être maléfique, mauvais esprit, sorcier, ennemi qui use de certains pouvoirs (y compris le poison). C'est pourquoi, parallèlement à des soins hospitaliers ou à des rites chrétiens ou musulmans de guérison, la plupart des patients (et surtout leur famille) s'adressent à un guérisseur ou un devin afin de neutraliser l'influence maléfique ou de la retourner contre l'agresseur. C'est la condition sine qua non pour qu'un éventuel traitement médical soit efficace. Ce n'est pas parce que le diagnostic est clair : c'est un palu ou Ebola, que la question est réglée. Il faut d'abord savoir pourquoi c'est telle personne qui a été agressée, et par qui. Ce processus peut sérieusement retarder le moment ou la famille décide d'aller consulter dans un dispensaire ou un hôpital. Par conséquent, les patients qui aboutissent dans un centre de santé arrivent souvent dans un état grave et le taux de mortalité y est élevé. D'où la mauvaise réputation des hôpitaux modernes (de biomédecine) auprès des patients proches de la vision traditionnelle, ce qui renforce le retard à s'y adresser, souvent en dernier recours. Ce cercle vicieux peut être mortifère.
Quand au rapport de la famille ou du voisinage vis-à-vis d'un malade, il rend problématique la prévention par l'isolement ou toute forme de mise en quarantaine. Dans la vision traditionnelle de la vie réussie dans de nombreuses cultures africaines, la bonne santé n'est pas d'abord un état biologique. Ce qui fait la force d'une personne ou d'une famille, ce qui la renforce dans l'épreuve, ce sont les bonnes relations. Sans avoir besoin d'étudier les effets du placebo, les sociétés traditionnelles ont bien compris que ce qui optimise un traitement, c'est le moral du patient, son sentiment d'être entouré et protégé par les proches. Cela rejoint ce qui vient d'être dit à propos des étiologies de la maladie. Ceci explique pourquoi la plupart des hôpitaux africains sont entourés d'auvents afin de permettre aux membres des familles de se relayer auprès du ou de la malade. On ne laisse jamais un malade seul. En outre, on lui apporte souvent de la nourriture préparée par la famille, ce qui en garantit l'efficacité pour sa reconstitution. Par conséquent, isoler un membre de la famille qui souffre, c'est déjà le tuer par la privation de la relation affective et morale à laquelle il a droit et sur laquelle il compte de façon vitale. Le risque est grand que s'il meurt, l'entourage soit ensuite accusé de l'avoir abandonné au moment de l'épreuve, avec tous les conflits et les divisions qui s'ensuivront.
Enfin, au moment de la mort, dans de nombreuses ethnies, un membre de la famille, souvent une femme d'un certain âge, soulève le malade pour qu'il rende son dernier souffle porté(e) par des bras. Une fois décédé, les femmes en assurent la toilette mortuaire et entourent le corps jusqu'à le toucher jusqu'au moment de l'enterrement. Respecter les coutumes funéraires est la condition d'une vie bonne dans le village des ancêtres et la garantie que le défunt ne reviendra pas réclamer son dû en intervenant de façon intempestive dans la vie des vivants sur la terre.
Photo: Formation du personnel médical du BDOM à Bukavu (RDC)
C'est aussi une des raisons pour lesquelles on dépose des aliments et de la boisson au pied des statuettes qui évoquent la présence des ancêtres sur la concession. Mourir d'une bonne mort est une préoccupation centrale dans la plupart des sociétés africaines, aussi bien en milieu urbain et éduqué qu'en milieu rural. Alors que je travaillais dans les villages de l'Ituri, au Nord-Est du Congo (RDC), j'avais remarqué qu'il existait des sortes de confréries qui avaient pour but principal de se cotiser pour assurer à leurs membres un enterrement digne et conforme aux exigences de la coutume. Or, une épidémie de choléra s'était déclenchée dans la région et il fallait se procurer d'urgence des antibiotiques. En bon Occidental, j'ai essayé de convaincre que ce qui comptait c'était de guérir le malade plutôt que de bien l'enterrer, et qu'il fallait qu'ils puisent dans leur caisse commune pour acheter des médicaments. Dans la plupart des cas, je n'y suis pas arrivé.
Ceci montre que les résistances à des mesures de prévention, d'isolement ou de quarantaine ne peuvent s'expliquer uniquement par le manque d'information, d'éducation ou d'intelligence des populations. Ces mesures mettent en péril des solidarités vitales qui tissent toute la vie et la mort des communautés où, exister, c'est d'abord " être avec " et appartenir… Ce qui est difficile à comprendre pour nombres d'agents d'ONG venus d'outremer. Cela ne signifie pas qu'il faut abandonner la partie, mais il est important de prendre en compte ces valeurs et d'aider les gens à comprendre la gravité de l'enjeu en acceptant de faire évoluer certaines coutumes par amour même de leurs proches.
Dans ce domaine, les responsables religieux de toutes dénominations devraient être au coude à coude avec le personnel soignant, même si c'est une œuvre de longue haleine alors que le temps joue contre nous. Mais il ne faut pas se décourager, l'enjeu est - au moins - continental.
Bernard UgeuxSon Blog www.lavie.fr