Bogandé, chef lieu de la province de la Gnagna, dans l'est du Burkina, il est à peine 16 heures le 21 mai quand soudain un vent violent envahit la ville, soulevant sable et poussière et plongeant les rues dans une quasi obscurité, à en faire perdre la tête aux chèvres vagabondes.
Dans les villages de cette province, les habitants font le lien entre ces phénomènes climatiques et l dégradation de leurs conditions de vie ; ils racontent comment ces vents rouges, de plus en plus fréquents, sont dévastateurs, ensablent leurs cultures, détruisent les habitations, propagent des maladies dans leurs troupeaux.
Sur la grande plaine de la Gnagna, en cette fin mai, la terre est sèche, craquelée. Les seules taches vertes proviennent des quelques rares arbres, des acacias seyal. Dans les villages, la plupart des puits sont taris. On est en pleine période de « soudure », où les réserves de la récolte précédente s'épuisent alors que la nouvelle n'est pas encore exploitable. Et la pluie n'arrive toujours pas
Baisse de la pluviométrie :
En 2014, il n'est pas tombé plus de 538 mm de pluie. En trente ans, la moyenne annuelle de la pluviométrrie a baissé de 200 millimètres. « La zone de climat sahélien s'étend de plus en plus vers le sud. Bogandé, marqué jusqu'ici par un climat soudano-sahélien, est aujourd'hui à la limite, » observe Claire Gaillardou, responsable du département des risques et des désastres de la mission Action contre la faim au Burkina Faso. Depuis 1975, la température s'y est accrue de 0,8 degré. C'est l'équivalent de quarante ans de l'augmentation de la température terrestre depuis 1880.
Tnidano Tissa, 78 ans, se souvient à quoi ressemblait son village de Nigandou dans sa jeunesse : « Il y avait de grands caïlcédrats, des nérés, des figuiers, des karités. Autant d'arbres dont on récoltait les fruits. En saison des pluies, le terrain était protégé par les hautes herbes. Tout au long de l'année il y avait un peu de couvert végétal. On voyait des antilopes, des gros varans, des hyènes... », raconte-t-il, faisant sourire les plus jeunes qui l'entourent et qui n'ont jamais vu de telles bêtes.
Aujourd'hui le couvert végétal a disparu et les arbres se font rares. Soumis à un stress hydrique croisant, les sols s'érodent avec des vents de plus en plus violents « il n'y a même plus d'arbres pour les ralentir », se désole Lankoandé Diagnogou, voisin de Tnidano Tissa, de quarante ans son cadet.
Dégradation des sols :
A quarante cinq kilomètres de là, à Tindandou, Diawari Barbibilé, 63 ans, se désespère lui aussi : « la disparition du couvert végétal a accéléré la dégradation des sols et la saison des pluies est très brève. ». Plus tardives surtout, entrecoupées de longs épisodes de sécheresse, les pluies deviennent, dans toutte la région, de plus en plus erratiques, et de plus en plus intenses. Ce qui ravine les sols et enlève le peu d'humus qu'ils contiennent. « Et cela peut entraîner des inondations car l'eau s'infiltre mal sur les terres trop sèches. Le taux de ruissellement peut s'élever jusqu'à 40% certaines années. », souligne Claire Gaillardou, dont l'ONG tente d'aider les communautés à s'adapter à ces phénomènes climatiques de plus en plus extrêmes. Une aide qui passe notamment par l'apprentissage de techniques agricoles permettant de retenir l'eau et de diminuer les effets de l'érosion.
Cette année, Diawari Barbibilé a pu préparer ses trois parcelles d'un hectare en y creusant des demi-lunes, ces petites cuvettes en forme de demi-cercle qui, disposées en quinconce, selon les courbes de niveau, permettent de piéger le maximum d'eau et de créer des conditions favorables aux semis. Une technique qui lui permettra d'améliorer sa récolte, espère-t-il.
Il y a dix ans encore, Diawari Barbibilé remplissait « cinq charrettes » de céréales. « Nous arrivions très bien à vivre de mes cultures, et je parvenais à vendre le surplus de mes productions. Ces dernières années, le sol s'est tellement dégradé que je ne vends plus, et c'est tout juste si j'ai assez pour nourrir ma famille avec les deux charrettes que je récolte.
Le reste de mes cultures n'est bon qu'à donner au bétail », raconte avec dépit cet homme qui aidé de son fils de 34 ans, a aujourd'hui seize bouches à nourrir. La pluie finit avant même que le mil ne mûrisse complètement. « S 'il n'y a pas de pluie, tout ce que tu fais, c'est zéro ! ».
Avec les caprices pluviométriques, Diawari Barbibilé a déjà été obligé d'abandonner le sorgho classique, qui prend plus de temps pour mûrir. Il préfère aujourd'hui semer du sorgho blanc et du petit mil, dont le cycle de culture est plus court.
Dettes :
Au Burkina Faso, en période de soudure, plus de 330.000 personnes sont en insécurité alimentaire. Dans la province de la Gnagna, où en moyenne un ménage compte sept personnes, la situation est beaucoup plus dramatique que dans le reste du pays.
Ces ménages couvrent, avec leur propre production, moins de la moitié de leurs besoins alimentaires annuels : en quatre à six mois, les réserves sont épuisées. Les pires années, ils sont contraints de vendre tout ou partie de leur bétail, quand ils en ont, ou de s'endetter.
« Quand on fait face à une difficulté pour se nourrir, nous devons nous tourner vers un de nos voisins au village qui a les moyens de nous prêter de la nourriture. » témoigne André, Dori, 38 ans, père de 4 enfants, qui lui non plus, à Kongaye,, n'arrive pas à subvenir aux besoins de sa famille. « Ce sont des prêts en nature, avec un intérêt de 100 % : pour un sac de céréales, je dois en rembourser deux à mon prêteur usurier. Je suis très endetté, car mes cultures n'arrivent pas à leur terme du fait du climat », se désole-t-il lui aussi, découragé de ne pas arriver à rembourser ses dettes depuis plusieurs années.
Une situation dont André Dori espère sortir en améliorant ses conditions de production. Avec de vraies récoltes, assure-t-il, il nourrirait sa famille et pourrait acquérir un petit cheptel.
Article écrit par Laetitia Van Eeckhout. « Le Monde » dimanche 31 mai – lundi 1er juin 2015