Missionnaires d'Afrique

Maurice Oudet
Burkina Faso


Dieu nous a faits
gardiens de la terre

 

Depuis que je participe à la Commission Justice et Paix du Burkina, puis de la Province de l’Afrique de l’Ouest, j’entends souvent des confrères dire que l’Intégrité de la Création est le parent pauvre de notre action. Certains vont jusqu’à dire que nous, les Missionnaires d’Afrique, ne faisons rien pour protéger la création. Pourtant, mon expérience est tout autre.

Après mon ordination, j’ai reçu ma première nomination, en 1972, pour la Haute Volta (aujourd’hui le Burkina Faso). Plus précisément, pour l’inter-séminaire de Kossoghen, à Ouagadougou (séminaire qui réunissait tous les séminaristes du pays, de la classe de seconde à la classe de Terminale). C’est là que j’ai fait la connaissance de notre confrère, le Père Marin Terrible (1925-1994). Aujourd’hui, je voudrais commencer cet article en lui rendant hommage. À cet effet, je reprends quelques passages de sa notice nécrologique.

“Ordonné en 1950, dès 1951, il est nommé professeur à Nasso, le séminaire du diocèse de Bobo-Dioulasso, au Burkina Faso. Dès cette époque, le P. Terrible s’intéressait à la flore du pays, à l’hydrologie, à l’hygiène et à la protection de la nature. Il a publié ses recherches, très appréciées de l’institut Fondamental d’Afrique Noire (IFAN de Dakar).”


Cordon pierreux pour empêcher l’érosion.

“En 1971, il organise la première ‘Quinzaine de l’arbre’ à Ouagadougou, pour conscientiser le public burkinabé sur la question du déboisement.”

En 1975, il retourne à Bobo-Dioulasso. Il entreprend d’appliquer son savoir scientifique au développement de l’écologie africaine et de l’agriculture traditionnelle. Dès 1976, il dresse une carte de la dégradation de la végétation et des sols au Burkina Faso.

De 1980 à 1989, il est supérieur de la communauté de l’évêché, une communauté plutôt hétéroclite?; il prenait son rôle au sérieux mais n’était pas à l’aise dans son rôle d’animateur.

L’œuvre à laquelle il a consacré le reste de sa vie a été le service diocésain de l’Assistance écologique. Pour travailler à un développement qui respecte la nature, pour sensibiliser les masses rurales au problème de la dégradation des sols et de la végétation, il organise des sessions, publie des documents, un almanach annuel qui donne aux paysans, mois par mois, des indications pratiques sur les travaux à faire.


Jour de Pâques : Maurice avec deux Frères missionnaires “Ad Gentes” originaires du Nigeria.

En matière de reboisement, il s’efforce de revaloriser les espèces locales d’arbres bien adaptées au climat : “Il s’agit d’inciter les paysans à planter et à exploiter les espèces locales, écrivait-il, tout en protégeant la brousse des pillards des villes.” Il a été l’un des premiers à faire la promotion de l’acacia albida au Burkina Faso, une légumineuse qui fertilise le sol.

Il y aurait encore beaucoup à dire sur notre confrère Marin Terrible, pionnier de l’écologie au Burkina Faso. Personnellement, c’est le Père Marin Terrible qui, le premier, a attiré mon attention sur le verset 15 du chapitre 2 de la Genèse : “Le Seigneur Dieu prit l’homme et l’établit dans le jardin d’Eden pour le cultiver et le garder.” Or, quand, en 1986, j’ai été nommé curé de la paroisse de Kiembara, j’ai pris les dix rapports annuels de la paroisse de Kiembara, et j’ai appris que 9 années sur 10, la paroisse de Kiembara avait eu recours à l’aide alimentaire. Ça été pour moi un choc! J’ai grandis à Paris. Quand j’étais enfant, chaque nuit, des camions remplis de fruits et de légumes stationnaient sous ma fenêtre. Et voici que, vivant aux milieux des paysans, la nourriture vient de loin par les ports, puis par les grandes villes du pays. Nous avons fait un conseil paroissial de 3 jours sur cette question. Nous avons alors décidé d’unir nos forces à travers un projet intitulé : “Ensemble, chassons l’ignorance et la famine.” Pour “chasser l’ignorance”, nous avons organisé un voyage d’étude avec une douzaine de paysans.


L’acacia albida, une légumineuse qui fertilise le sol.

En effet, nous avions appris qu’à l’ouest de notre paroisse, des paysans avaient déjà commencé à lutter contre la sécheresse et la dégradation des sols. Nous avons été à leur rencontre. Et nous avons découvert trois techniques simples. Le zaï (technique traditionnelle, aujourd’hui améliorée (plus d’information à l’adresse : http://www.abcburkina.net/fr/ le-burkina-faso/de-a-a-z/447-zai), la fabrication d’engrais organique (avec ses fosses fumières) et les cordons pierreux (des diguettes antiérosives qui suivent les courbes de niveau). En une année, ceux qui ont appliqué ces techniques simples ont vu leurs rendements, qui variaient chaque année entre 300 kg de sorgho à 600 kg, passer à 1 400 kg. Trois fois plus.

En quelques années, des terres fatiguées ont fini par donner 2 tonnes à l’hectare.
Si dans les années 1970, le Père Marin Terrible vantait les mérites de l’acacia albida au Burkina, en 2011, au Malawi, c’est un évêque, Mgr Thomas Msusa, qui invite, au cours de ses eucharisties, les fidèles à planter des arbres fertilisants.

Après l’offertoire, des spécialistes, mais aussi de simples paysans sont invités à vanter les mérites d’une autre légumineuse : le gliricidia. Ils racontent leurs expériences. Ils sont venus avec des semences de cet arbre. “Si vous voulez que je vous enseigne la technique, venez chez moi !”... À la fin de la messe, la foule se presse : “Où pouvons-nous trouver des semences ?” Avant de reprendre la route, Monseigneur confie au journaliste : “Demain, la conférence épiscopale du Malawi se réunit pour préparer un message au président Bingu Wa Mutharika pour qu’il soutienne encore plus le programme d’agroforesterie qu’il a lancé en 2007. C’est urgent !”


Maurice, toujours à l’affut d’articles ou de livres sur l’autosuffisance alimentaire.

Ce témoignage, et une centaine d’autres, se trouve dans le livre de Marie-Dominique Robin : “Les Moissons du Futur - Comment l’agroécologie peut nourrir le monde” (éditions Arte – existe aussi en DVD sur Arte Boutique). Si vous n’avez pas lu ce livre, ni vu le film, je vous invite à le faire sans tarder. Ce sera un bon prolongement à ce numéro spécial du Petit Écho, et une bonne préparation à la lecture de l’encyclique du pape François sur l’écologie?!

Un dernier mot?: “Au moment où nombreux sont ceux qui lancent un appel pressant “Sauvons la planète”, nous qui sommes présents dans presque toute l’Afrique, peut-être pourrions-nous unir nos forces, travailler en réseau pour “sauver les terres d’Afrique”, partageant nos informations, donnant des pistes d’actions possibles, lançant à notre tour cet appel pressant : “Sauvons les terres d’Afrique”.

Maurice Oudet

Tiré du Petit Echo N° 1062 2015/6