La locomotive Bolloré est lancée. Le spécialiste français de la logistique et du transport achèvera en juillet le premier tronçon de sa "Blueline", son chantier pharaonique de chemin de fer ouest-africain traversant cinq pays (Côte d’Ivoire, Burkina Faso, Niger, Bénin,  Togo). Piloté par Vincent Bolloré, et deux de ses proches : Ange Mancini et Michel Roussin, le projet coûtera 2,5 milliards d’euros sur dix ans.

Ce premier tronçon long de 143 kilomètres qui relie les villes nigériennes Niamey-Dosso, aura quant à lui coûté 140 millions d’euros au groupe français qui a prévu d’achever cette immense boucle ferroviaire de 3.000 kilomètres en 2024. Et dès le mois d’août, le groupe Bolloré va commencer la réhabilitation de la ligne (438 kilomètres) reliant les villes béninoises de Cotonou et Parakou – la moitié des 3.000 kilomètres sont à réhabiliter et l’autre à construire entièrement.

La blue line entre Niamey et Dosso

"C’est un projet gigantesque mais qui s’appuie sur l’histoire, indique l’ancien patron du RAID, Ange Mancini, aujourd’hui conseiller de Vincent Bolloré. Le chemin de fer de l’ouest-africain existe depuis 1903 mais il s’est arrêté à Parakou en 1936. Nous voulons donc venir à bout de ce beau projet en traversant tout l’hinterland de l’Afrique de l’ouest ". Historiquement, les réseaux ferroviaires de la région se sont en effet arrêtés dans les années 30 à Ouagadougou depuis Abidjan et à Parakou depuis Cotonou, laissant une grande partie de la boucle vierge de réseau dont principalement le Niger.

Le tracé du projet ferroviaire

 

Le groupe français qui investit chaque année en Afrique entre 300 et 400 millions d’euros veut avant tout, avec ce projet, renforcer sa position sur la logistique, dans une région où les ressources minières sont nombreuses et où la concurrence asiatique est redoutable. "Tout cela est cohérent avec nos activités de logistique portuaire (le groupe gère 16 concessions portuaires, dont deux fluviales, principalement en Afrique de l'Ouest, NDLR), précise l’ancien ministre de la Coopération Michel Roussin, également conseiller du PDG du groupe. Cette région est riche en minerai, en coton, en hydrocarbures et le transport de marchandises et de minerai, qui est celui qui rapporte le plus d’argent, est donc intéressant". Selon le groupe, le transport de marchandises et de minerais devrait représenter 90% du chiffre d’affaires de la "Blueline". Le transport de voyageurs ne concernera ainsi qu’une part réduite de l’activité de la ligne de chemin de fer, alors que la population de la région devrait dépasser les 300 millions en 2020.

"Ce sont les États qui sont demandeurs"

Le groupe Bolloré qui a la mainmise sur l’ensemble de la boucle suscite toutefois certaines critiques. La presse nigérienne s’est par exemple récemment émue de la rapidité avec laquelle le groupe français avait obtenu du gouvernement du Niger une concession de la ligne de chemin de fer. "Les travaux de la 'Blueline' sont intégralement financés par les fonds propres du groupe, répond Michel Roussin. Et s’agissant des concessions, nous passons des contrats avec les États et les investisseurs privés. Par exemple, pour le Bénin et le Niger nous avons créé une société (Bénirail) qui est détenue à 40% par le groupe Bolloré, à 40% par des acteurs privés des deux pays et à 10% par chacun des deux États".

Au Niger, où le chantier a été confié au groupe Bolloré sans études préalables ni appels d’offres, les premiers travaux ont même débuté sans contrat juridique. "Comme le groupe investit sur ses fonds propres, cela accélère les procédures, qui parfois peuvent prendre des années, juge Michel Roussin. Ce sont les États qui sont demandeurs. Il est donc de l’intérêt du groupe comme des pays d’être immédiatement dans l’action".

Ce projet n'est effectivement pas pour déplaire aux dirigeants des cinq États liés au projet. À un an de leurs scrutins présidentiels respectifs, les chefs d’État du Niger et du Bénin peuvent ainsi se reposer sur des premières constructions visibles pour louer leurs programmes de développement. Le président ivoirien Alassane Ouattara, qui se représentera à l'élection présidentielle d'octobre, a aussi rencontré les dirigeants du groupe Bolloré récemment pour les inciter à accélérer les travaux liés à "Blueline" dans son pays.

Des espaces autonomes en énergie

Outre la "Blueline", le groupe Bolloré qui réalise un quart de son chiffre d’affaires en Afrique, et emploie 25.000 personnes sur le continent, prévoit aussi de faire passer ses "Bluezones" qui bordent la "Blueline" de cinq à sept avant la fin de l’année. Ces espaces multifonctionnels alimentés en électricité grâce aux solutions de stockage d’énergie solaire développées par le groupe français offrent la possibilité aux habitants de la région d’accéder gratuitement à internet ou à l’eau potable. "Les 'Bluezones' créent des lieux de vie autour de la ligne de chemin de fer, et apportent du bien-être aux populations, c’est le sens du développement économique de l’Afrique" appuie Ange Mancini.

Avec ces "Bluezones" qui coûtent un million d’euros l’unité, le groupe Bolloré entend se positionner sur l’important marché des énergies décentralisées. Et surtout prouver que sa technologie résiste à des conditions climatiques difficiles. "L’Afrique est le meilleur stress-test pour nos shelters, tout comme l’autopartage en Ile-de-France l’a été pour tester notre technologie embarquée dans des véhicules (Bluecar) il y a 4 ans" précise le groupe.

Et avec ces deux projets, le continent noir semble devenir encore davantage une priorité pour le groupe hexagonal. "Vincent Bolloré disait il y a 30 ans que l’Afrique était l’avenir, c’était un ovni à l’époque. Maintenant tout le monde pense comme lui" glisse Michel Roussin. 

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draisine 1"Une fois, deux fois. Le moteur tousse et démarre. La draisine (petite locomotive) s’ébroue et c’est bien le seul mouvement perceptible dans ce paysage ferroviaire désolé. Des wagons fatigués, des rails désaffectés, des pièces rouillées jonchent ce terrain vague au centre de Cotonou, au Bénin. Comment deviner qu’ici, à l’époque coloniale et jusqu’aux années 1990, se pressaient voyageurs et marchandises ? Qu’un chef de gare à la casquette et tenue impeccables sifflait le départ d’une demi-douzaine de convois par jour ?

Assis sous un arbre en bout de quai, les cheminots encore en activité se confondent avec leurs collègues à la retraite venus répandre leur nostalgie. Car l’activité est relative. Les passagers, c’est fini depuis dix ans. Pour les marchandises, un train s’en va tous les sept ou dix jours vers le nord. Il revient parfois plus court qu’il n’est parti : des wagons déraillent ou sont vendus au poids à des ferrailleurs. Dans un hangar, des locomotives éventrées fournissent des pièces de rechange pour les quelques-unes qui roulent encore. Et le directeur général, que l’on dirait avoir tiré d’une sieste dans son vaste bureau bleuté, ne sait pas comment payer les salaires de ses 628 employés à la fin du mois. Bref, la comdraisine 2pagnie nationale, OCBN (Organisation commune Bénin Niger), fondée en 1959, est cliniquement morte – avant même d’avoir atteint le Niger car son réseau s’arrête à Parakou, 320 km avant la frontière.

Et pourtant, le destin de cette gare, le destin de ces cheminots désœuvrés, celui du Bénin voire de l’Afrique de l’Ouest est peut-être en train de basculer. Un sauveur s’est présenté. Il s’appelle Vincent Bolloré, il est industriel breton, sa fortune (estimée à 11 milliards d’euros par Challenges) pèse davantage que le PIB annuel du Bénin (estimé à 8,7 milliards de dollars – quelque 7,85 milliards d’euros – par la Banque mondiale). Lui qui gère déjà quinze terminaux portuaires en Afrique se lance à la conquête des terres. Il a commencé à investir 2,5 milliards d’euros pour la « grande boucle » : un chemin de fer de 3 000 kilomètres qui doit relier Cotonou à Lomé, au Togo, ainsi qu’à Niamey, au Niger, avant de s’élancer vers Ouagadougou, au Burkina, et redescendre sur Abidjan, en Côte d’Ivoire. Cinq pays parmi les plus pauvres du monde dont quatre vont connaître des élections présidentielles ces prochains mois et dont deux sont enclavés, l’un en plein Sahel, l’autre mangé aux deux tiers par le Sahara."

 

(Textes et images pris sur le site du journal "Le Monde" du 26 juin pour la pemière partie de l'article, et du 2 août pour la deuxième partie)