Le ministre malien des Affaires étrangères est l’un des acteurs de premier plan de cette dernière phase de transition. Et le chef de l’État, Assimi Goïta, espère bien bénéficier du carnet d’adresses de ce diplomate chevronné pour redorer son image sur la scène internationale.
Il était sur le point d’être nommé secrétaire exécutif du G5 Sahel quand son téléphone a sonné. Au bout du fil, une proposition pour le poste de ministre des Affaires étrangères et de la coopération internationale. Pour la seconde fois de sa carrière, Abdoulaye Diop accepte ce poste, malgré le contexte si particulier de crise politique et institutionnelle mettant en cause la légitimité d’Assimi Goïta et de son Premier ministre Choguel Maïga sur la scène internationale.
Dès sa prise de fonction, ce diplomate qui d’ordinaire prend soin d’arrondir les angles pour ne pas contrarier ses interlocuteurs, n’a laissé aucune place aux potentielles polémiques relatives à sa nomination. Et fait savoir qu’il n’avait pas accepté le prestigieux maroquin pour faire de la politique, mais pour répondre à la mission qui lui a été confiée. « La diplomatie ne peut que vendre ce qui se fait dans le pays, a-t-il déclaré le 16 juin, à la sortie de la première session extraordinaire des ministres pilotée par le chef du gouvernement. Nous comptons très humblement nous insérer au sein de cette équipe gouvernementale, adopter ses objectifs et rassurer la communauté internationale ».
VRP
Se positionnant dès sa prise de fonction comme le VRP du président Assimi Goïta, Abdoulaye Diop est allé à la rencontre du corps diplomatique installé à Bamako. Lors de ces entretiens, le nouveau MAE a demandé aux ambassadeurs de faire preuve de plus d’indulgence à l’égard du pays. « Le Mali demande la compréhension de la communauté internationale et une lecture plus réaliste et pragmatique des évènements du 25 mai 2021 ».
Cette démarche le mène assez rapidement au-delà des frontières maliennes. Ainsi, au début du mois de juillet, Diop multiplie des voyages très stratégiques sur le plan diplomatique. À Accra, où il a rencontré le Ghanéen Nana Akufo-Addo, président en exercice de la Cedeao ; à Kigali, où il s’est entretenu avec le Rwandais Paul Kagame, un homme dont il « apprécie les méthodes » et pour lequel il a beaucoup « d’admiration » ; ou encore à Kinshasa, à la rencontre du Congolais Félix Tshisekedi, président en exercice de l‘Union africaine. Tel un missionnaire prêchant la bonne parole, à chacun de ses déplacements, Diop prend soin de rappeler qu’il est venu « porter le message du président Assimi Goïta ».
https://www.jeuneafrique.com/wp-content/themes/ja-3.0.x/assets/img/mondial2018/quote-article.png") left top no-repeat;">NOUS VOULONS QUE NOS PARTENAIRES SOIENT À NOS CÔTÉS DANS CES MOMENTS DIFFICILES
« J’ai été dans ces pays pour porter le message de paix du président de la transition, confie à Jeune Afrique Abdoulaye Diop. Nous devons continuer à parler à nos amis, car on ne peut pas se mettre au ban des tractations politiques. J’ai donc demandé aux chefs d’État que j’ai rencontrés de prêter une oreille attentive à notre situation. Le président de la transition s’est engagé à tenir les échéances, ce temps est compté et nous voulons que nos partenaires ne reviennent pas une fois la crise passée mais qu’ils soient à nos côtés dans ces moments difficiles. »
Redorer le blason de la transition
« La deuxième phase de la transition a besoin de redorer son blason pour aller vers une normalisation. Pour cela, elle doit asseoir une certaine légitimité aux yeux de la communauté internationale et avoir le soutien indéfectible des pays africains, analyse Boubacar Salif Traoré directeur d’Afriglob, un cabinet de conseil en sécurité et développement. Tout cela passe in fine par la reconnaissance d’Assimi Goïta comme chef d’État à part entière par la communauté internationale. C’est en cela que le choix de Diop est intéressant et important. Il a une longue carrière diplomatique derrière lui, et s’est doté d’un important réseau sur lequel Goïta veut s’appuyer. »
Ce rôle essentiel le mène sur tous les fronts. Lorsqu’une délégation de la mission du Conseil paix et sécurité de l’Union africaine, conduite par le Nigérien Victor Adekunle Adeleke, rencontre le président Goïta à Bamako, Abdoulaye Diop, qui était jusqu’en mars 2021 le directeur de cabinet du président de la Commission de l’UA Moussa Faki Mahamat, est aux premières loges.
Lors de cette rencontre, le tandem Goïta-Diop a pris soin de rassurer l’UA, notamment sur le calendrier que le Mali compte tenir pour organiser les élections à date. Objectif : convaincre l’UA de lever les sanctions imposées au pays. Une première victoire se profile peut-être pour le chef de la diplomatie malienne : au sein de la sphère diplomatique bamakoise, ils sont nombreux à croire à une prochaine levée des sanctions de l’UA.
Diplomate chevronné
Né en 1965 à Brazzaville, Abdoulaye Diop passe les cinq premières années de sa vie au Congo, où ses parents avaient posé leurs valises quelques années plus tôt. De ces années, il garde néanmoins peu de souvenirs. Abdoulaye Diop regagne très jeune le Mali pour faire son éducation auprès de sa grand-mère.
À 20 ans, il obtient une bourse d’étude pour intégrer l’École nationale d’Administration (ENA) d’Alger. Il en ressortira en 1989 avec une maîtrise en diplomatie. Son intérêt pour la matière dominera tout son cursus universitaire. En 1994, il obtient une maitrise en relations internationales à l’Institut international de l’Administration publique (IIAP) à Paris et une autre en Diplomatie et gestion des organisations internationales à l’Université Paris XI.
« De par mon histoire, j’avais une connexion naturelle qui allait au-delà du Mali et s’étendait à l’international. Je suis d’origine malienne, j’ai un nom de famille qui est sénégalais. Et je suis né au Congo, où une partie de ma famille a longtemps vécu. C’est donc tout naturellement que la diplomatie s’est présentée à moi », explique-t-il.
Diop fait ses premiers pas dans la sphère diplomatique à partir de 1990. Il est promu chargé de programme à la direction de la coopération internationale auprès du ministère des Affaires étrangères au Mali. C’est le début d’une longue carrière diplomatique qui le conduira à l’ambassade du Mali à Bruxelles en tant que conseiller en charge des relations avec le groupe des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP). Il deviendra successivement conseiller diplomatique des présidents Alpha Oumar Konaré (2001) et Amadou Toumani Touré (2003).
Bien que proche des ministères et des présidents, Abdoulaye Diop n’a jamais porté les couleurs d’un parti politique. En 2003, ATT le propulse à Washington, où il est nommé ambassadeur du Mali pendant six ans. Durant toute sa carrière, il mettra un point d’honneur « à mettre d’accord les acteurs, peu importent leurs divergences », assure-t-il. Un trait de caractère tiré de sa mère, « qui était une médiatrice née », confie-t-il.
Homme de dossiers et fin connaisseur des rouages de la diplomatie, le président Ibrahim Boubacar Keïta fait appel à lui en 2014 pour conduire l’un des accords les plus importants de ces dernières années au Mali.
https://www.jeuneafrique.com/wp-content/themes/ja-3.0.x/assets/img/mondial2018/quote-article.png") left top no-repeat;">LE PRÉSIDENT IBK ET MOI CHERCHIONS UN HOMME RIGOUREUX QUI POUVAIT CONDUIRE LES NÉGOCIATIONS RELATIVES AU PROCESSUS DE L’ACCORD DE PAIX
« C’est sous le gouvernement que j’ai dirigé qu’il a été nommé pour la première fois ministre des Affaires étrangères. À l’époque, le président IBK et moi cherchions un homme rigoureux qui pouvait conduire les négociations relatives au processus de l’accord de paix, se souvient l’ancien Premier ministre Moussa Mara. Par son professionnalisme et sa faculté à trouver des compromis, nous avions jugé qu’il était celui qui pouvait conduire ce rapport de force au niveau international. » En occupant le ministère des Affaires étrangères, Abdoulaye Diop devient l’artisan de l’accord de paix et le négociateur en chef du gouvernement.
Architecte de l’Accord de paix
Six ans après, l’accord divise profondément les Maliens. Certains réclament sa relecture quand d’autres veulent son application stricte. Abdoulaye Diop, qui juge que cet accord pose « un cadre qui nous permet d’aller vers la paix durable dans la zone », reconnaît tout de même quelques failles.
« Il y a eu beaucoup de retard dans sa mise en exécution, regrette-t-il. Cette faute n’incombe pas à une seule personne mais à tous les acteurs qui l’ont soutenu et signé. Le gouvernement malien a sa part de responsabilité notamment concernant la mise en place de l’armée reconstituée connue sous l’acronyme DDR (désarmement, démobilisation et réinsertion). Ce point central de l’accord de paix devait intervenir 60 jours après sa signature, mais nous avons été loin du compte », déplore-t-il.
https://www.jeuneafrique.com/wp-content/themes/ja-3.0.x/assets/img/mondial2018/quote-article.png") left top no-repeat;">S’IL Y A RELECTURE DE L’ACCORD DE PAIX, IL FAUT LA FAIRE EN INCLUANT TOUTES LES PARTIES PRENANTES »
Alors que l’accord de paix a fait l’objet d’intenses débats entre les membres du Conseil national de transition (CNT) – l’organe législatif -, le chef de la diplomatie malienne assure ne pas s’opposer aux personnes qui prennent quelques distances avec celui-ci. « En revanche, il ne faut pas déconnecter l’accord de son contexte d’alors et des rapports de forces qui existaient au moment de sa signature. La remise en cause d’un simple volet ne peut pas remettre en cause tout l’accord », dénonce-t-il.
« La donne a fondamentalement changé sur le terrain. En 2015, cet accord permettait de faire face aux groupes armés. Aujourd’hui, il s’agit davantage d’une problématique liée aux groupes terroristes et aux conflits inter-communautaires. S’il y a relecture de l’accord de paix, il faut la faire de manière intelligente, en incluant toutes les parties prenantes. Les Maliens doivent sentir que cet accord leur appartient. »
Ligne brouillée entre Paris et Bamako
Alors que le président français Emmanuel Macron détaillait, le 9 juillet dernier, la suite que prendra l’opération Barkhane au Sahel, Abdoulaye Diop, qui a toujours manifesté sa « gratitude » envers le début des opérations françaises au Mali, déplore le manque de dialogue de Paris.
https://www.jeuneafrique.com/wp-content/themes/ja-3.0.x/assets/img/mondial2018/quote-article.png") left top no-repeat;">NOUS AVONS REGRETTÉ AVOIR APPRIS LE RETRAIT DE BARKHANE LORS DE CONFÉRENCES DE PRESSE »
« Le retrait de Barkhane est une décision souveraine de la France et qui s’inscrit au regard de la politique en France. Nous pouvons la comprendre. Mais alors que l’État malien est directement concerné par cette opération, nous avons regretté avoir appris ces décisions lors de conférences de presse, déplore-t-il. Il est impératif que le retrait de Barkhane se fasse dans le cadre d’un dialogue entre Paris et Bamako. Cette discussion doit se tenir entre nos homologues politiques, militaires, puisqu’un traité de défense nous lie avec la France. »
Selon Abdoulaye Diop, « des dispositifs solides » doivent être définis pour minimiser l’impact de cette baisse d’effectifs dans la sous-région. « Il ne faut pas oublier que cette guerre est régionale, prévient-il. Par effet de ricochet, un pays qui va mal va contaminer ses alliés. »