Est-ce le début de la fin de l’ex-tout-puissant parti unique ? C’est la question que se posent la majorité des militants du FLN. Fait inédit : le désaccord entre la direction et ses adversaires sera tranché devant les tribunaux.
« Pour la première fois depuis la création du parti en 1954, un cadre est placé en détention à cause d’une crise interne », regrette un sénateur qui a pris depuis ses distances avec le FLN. « Le recours à la justice n’est pas la solution. Il fallait régler le problème en interne », tance de son côté un député, peiné de voir la grille du siège cadenassée.
« À cet endroit se sont déroulés les pires moments de la vie de cette formation politique », poursuit le parlementaire en se remémorant les coups échangés entre les adeptes du statu quo et les « redresseurs », que l’on retrouve parmi les membres du Comité central, les députés et les présidents d’Assemblées populaires communales (APC).
Le 9 septembre, les frondeurs ont tenté de destituer le secrétaire général du parti, Abou El Fadl Baadji, mais ils se sont heurtés à une farouche résistance du clan opposé. La situation a dégénéré au point de nécessiter l’intervention des forces de l’ordre.
BAADJI EST ACCUSÉ D’« USURPATION D’IDENTITÉ ET DE FERMETURE DU SIÈGE DU FLN EN FAISANT APPEL AUX BALTAGUIAS [HOMMES DE MAIN, NDLR] »
La plainte déposée par Abou El Fadl Baadji au tribunal de Bir Mourad Rais a abouti, le 6 octobre, au placement en détention préventive du chef de file des frondeurs, l’ancien parlementaire et mouhafedh (coordinateur régional) de Blida, Issad Mohamed. Soixante-dix membres du Comité central – parmi lesquels le sénateur Fouad Sebouta – ont été convoqués par la justice le même jour.
Dix d’entre eux sont sous le coup d’un contrôle judiciaire. Le juge d’instruction s’attelle à auditionner progressivement le reste des cadres du front sur la base des chefs d’inculpation suivants : « regroupement illicite, humiliation du drapeau national et incursion dans le siège du parti ».
« Cet épisode est un précédent au FLN. Aucun secrétaire général n’a jamais osé recourir à un tel procédé. Baadji veut liquider tous ses opposants à travers la justice. Il veut détruire le parti », confie à JA l’avocat Mustafa Kehliche, membre du Comité central.
Les mis en cause ont aussitôt introduit un appel auprès de la même instance judiciaire, soutenant qu’Abou El Fadl Baadji n’est plus habilité à les poursuivre en justice après que la majorité des membres du Comité central lui ont retiré leur confiance le 9 septembre.
Baadji est à son tour accusé d’ « usurpation d’identité et de fermeture du siège du FLN en faisant appel aux baltaguias [hommes de main, NDLR] ». La justice n’a pas encore donné suite à cette plainte.
Le secrétaire général du FLN est-il sur un siège éjectable ? Pas sûr, tant son clan manœuvre en coulisses pour contourner le Comité central et se charger directement de la préparation du scrutin local prévu fin novembre prochain.
Dans cette perspective, la direction du parti s’attelle à réunir progressivement, ces jours-ci, les superviseurs des listes électorales au niveau local.
BAADJI A APPELÉ À LA RESCOUSSE DE SIMPLES MILITANTS POUR REMPLIR LA SALLE DE RÉUNION
« Nous ne devons pas céder à la pression de ceux qui ont l’habitude d’acheter des sièges. Ils n’ont d’ailleurs pas réussi à rassembler assez de signatures pour destituer l’actuelle direction du parti », soutient un proche d’Abou El Fadl Baadji.
Selon lui, moins d’une cinquantaine de membres du Comité central mènent une campagne hostile. Certains devaient être traduit devant le conseil de discipline le 6 septembre, « mais ne se sont pas présentés ».
En réalité, « beaucoup de superviseurs manquaient à l’appel. Baadji a appelé à la rescousse de simples militants pour remplir la salle de réunion », réplique la partie adverse, qui œuvre à constituer une direction provisoire pour préparer le prochain congrès et l’élection d’un nouveau secrétaire général.
« Nous avons déposé un dossier dans ce sens au ministère de l’Intérieur juste après la réunion du Comité central, mais nous n’avons toujours pas reçu de réponse » précise Mustapha Kehliche.
C’EST UNE DÉFAITE ANNONCÉE AVANT MÊME LA TENUE DU SCRUTIN. DU JAMAIS VU AU FLN
Les protestataires accusent Baadji de « gestion autoritaire », d’avoir « dévié de la ligne originelle du parti » et d’être responsable du « faible score enregistré aux dernières législatives ». L’ancien parti unique avait obtenu une majorité relative à la chambre basse du Parlement avec 98 élus.
Il a perdu ainsi 57 sièges par rapport au précédent scrutin législatif et contrôle moins d’un quart de la nouvelle Assemblée nationale.
Pour les prochaines élections locales fin novembre, « le parti ne sera pas présent dans plusieurs wilayas, dont Constantine, Tipaza, Annaba… À Djelfa, le FLN sera représenté dans 21 communes seulement sur 36. C’est une défaite annoncée avant même la tenue du scrutin et la proclamation officielle des résultats. Du jamais vu au FLN », dénonce Mustapha Kehliche.
Les contestataires soutiennent que la crise au sein du FLN est accentuée par le « maintien de force d’un secrétaire général illégitime ». Car, expliquent nos sources, Abou El Fadl Baadji a été propulsé à la tête du FLN pour six mois, dans la perspective de convoquer, à l’issue de cette période transitoire, le congrès et de plébisciter un nouveau secrétaire général après l’emprisonnement de Mohamed Djemaï, en septembre 2019, pour « destruction de documents officiels ».
Quid de l’avenir du FLN ? « Personne ne peut le dire. Toutes les instances directoires sont bloquées », souffle le sénateur en froid avec le vieux parti et très inquiet de la tournure des événements.
IL FAUT SE DÉBARRASSER DE CETTE IMAGE D’UN FLN BÉQUILLE DU POUVOIR »
Dans le sillage de la fronde au sein Comité central, quatre membres du bureau politique viennent aussi de démissionner : Mohamed Aliou, Nacer Farah, Mohamed Amar et Ahmed Benai, également sénateur.
En guise de protestation contre le maintien de l’actuelle direction, trois députés de la wilaya de Mila ont gelé leur adhésion et leur activité au sein du parti.
Au milieu de cette bataille que se livrent les deux camps, de jeunes cadres se posent en alternative, récusant la légitimité historique mise en avant par les caciques du vieux parti dont nombre d’entre eux croupissent en prison.
« Il faut se débarrasser de cette image d’un FLN béquille du pouvoir. Aujourd’hui, deux anciens secrétaires généraux, Mohamed Djemaï et Djamel Ould Abbès sont derrière les barreaux, ainsi qu’une pléthore d’anciens ministres, cadres du parti. Le temps est venu de tracer une nouvelle trajectoire », tonnent-ils sur un ton déterminé.
Ils peinent malgré tout à se faire entendre au sein de leur propre formation politique.