Un sommet extraordinaire de la Cedeao consacré à la lutte contre le terrorisme dans la sous-région se tient ce samedi 14 septembre dans la capitale burkinabè. Au centre des discussions : l'amélioration de la coordination sécuritaire entre pays membres et l'avenir du G5 Sahel, dont l'efficacité pose de plus en plus question.
Actualités
Avenir du G5 Sahel ?
Sommet de la Cedeao à Ouagadougou :
le G5 Sahel a-t-il encore un avenir ?
Tout un symbole. Alors que le Burkina Faso enregistre semaine après semaine de nouveaux morts (dont 29 pour la seule journée du 8 septembre dans deux attaques dans le nord du pays), les chefs d’État de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) se retrouvent ce samedi à Ouagadougou pour tenter de renforcer leur coopération face à l’expansion de la menace jihadiste du Sahel vers le Sud et les pays côtiers.
Décidé en juin à Abuja, ce sommet extraordinaire a pour but de réfléchir à une meilleure coordination sécuritaire entre pays membres au-delà du G5 Sahel (qui regroupe la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad), voire à sa refonte pure et simple. Les présidents mauritanien Mohamed Ould Ghazouani et tchadien Idriss Déby Itno, dont les pays ne font pas partie de la Cedeao, sont d’ailleurs attendus à Ouagadougou. Avant le sommet des chefs d’État, prévu samedi, leurs ministres des Affaires étrangères, de la Défense et de la Sécurité doivent participer à des réunions préparatoires.
De son côté, Jean-Claude Kassi Brou, le président de la commission de la Cedeao, a été reçu mercredi 11 septembre au palais de Kosyam par Roch Marc Christian Kaboré pour évoquer les derniers préparatifs du sommet.
IBK et Issoufou espèrent un “déclic”
Les présidents malien et nigérien reconnaissent, en creux, que les efforts déployés au sein du G5 Sahel sont encore loin d’être satisfaisants
Créé début 2014, le G5 Sahel, plombé par un manque de moyens financiers et matériels, n’a jamais prouvé son efficacité sur le terrain. Cinq ans après son lancement, les résultats se font toujours attendre.
Les patrouilles mixtes entre militaires des pays membres le long de leurs frontières communes sont rares. Quant au QG de la force conjointe, il a été contraint de déménager à Bamako après l’attentat qui l’a visé fin juin 2018 à Sévaré, dans le centre du Mali.
Déplorant le manque d’appui de la communauté internationale dans leur lutte contre les groupes jihadistes, les présidents de ses États membres montent régulièrement au créneau pour réclamer plus de soutien de leurs partenaires internationaux.
Depuis Bamako, où ils se sont rencontrés le 8 septembre, Ibrahim Boubacar Keïta et Mahamadou Issoufou ont déclaré qu’ils espéraient que le sommet de Ouagadougou constituerait un “déclic” pour la mobilisation internationale face au jihadisme dans la bande sahélo-saharienne. Selon un communiqué commun publié à l’issue de leur entretien au palais de Koulouba, les présidents malien et nigérien ont exprimé le souhait que ce sommet “puisse aboutir à des mesures nouvelles favorisant la coopération renforcée dans la lutte contre ce fléau” et débouche sur “un soutien plus accru de la communauté internationale”.
Ils ont également prôné la “mutualisation” de leurs capacités et annoncé leur volonté de créer un “comité transfrontalier de sécurité” – reconnaissant, en creux, que les efforts déployés au sein du G5 Sahel étaient encore loin d’être satisfaisants.
“La Minusma et le G5 Sahel ne suffisent pas”
Mohamed Ould Abdel Aziz, Mahamadou Issoufou, Ibrahim Boubacar Keita, Idriss Deby, Roch Marc Christian Kabore à Nouakchott,
à l’issue d’une rencontre sur les problématiques sécuritaires, le 2 juillet 2018. © Ludovic Marin/AP/SIPA
Il faut que ce soit l’ensemble des pays de la Cedeao, avec le Tchad et le Cameroun avec nous dans cette coalition
De leur côté, les présidents des pays non-membres du G5 Sahel concernés par la menace jihadiste – comme la Côte d’Ivoire ou le Sénégal – réclament de plus en plus ouvertement d’y être intégrés ou la formation d’une nouvelle organisation sécuritaire régionale dont ils feraient partie.
Macky Sall, dont le pays n’a jamais été meurtri par une attaque mais qui est considéré comme une cible de choix par les groupes jihadistes sahéliens, n’a jamais vraiment digéré d’être tenu à l’écart de la création du G5 Sahel. Quant à Alassane Ouattara, dont le pays partage sa frontière nord avec le Mali et le Burkina Faso, il ne cache pas son inquiétude de voir un nouveau commando jihadiste s’infiltrer sur son territoire pour y commettre un attentat, comme celui qui avait ensanglanté la plage de Grand Bassam, en 2016.
Lors de la dernière visite d’État de Macky Sall à Abidjan, en juin, les présidents sénégalais et ivoirien s’étaient montrés sévères à l’égard du G5 Sahel et de la Minusma, la mission de l’ONU au Mali, régulièrement critiquée par les chefs d’État ouest-africains. “Nous sommes d’accord sur le fait que la Minusma et le G5 Sahel ne suffisent pas. Et que nous devons trouver un moyen de coordination plus élargi et plus efficace pour aider ces pays voisins [Mali, Burkina Faso et Niger] à combattre le terrorisme”, avait lâché Alassane Dramane Ouattara (ADO).
Plus récemment, lors d’un sommet de l’Uemoa dans la capitale économique ivoirienne, ADO avait réitéré ses critiques et plaidé pour “une synergie, car il ne suffit pas de s’en tenir aux forces conjointes du G5 Sahel (…), mais il faut que ce soit l’ensemble des pays de la Cedeao, avec le Tchad et le Cameroun avec nous dans cette coalition.”
Nouveaux mécanismes de coopération
Allocution d'Alassane Ouattara lors du sommet des chefs d’État de l’UEMOA, le 12 juillet 2019.
© Twitter officiel de la Présidence de Côte d’IvoireAllocution d'Alassane Ouattara lors du sommet des chefs d’État
de l’UEMOA, le 12 juillet 2019. © Twitter officiel de la Présidence de Côte d’Ivoire
Un des problèmes de fond est l’élargissement ou non du G5 Sahel
Il sera donc largement question de l’évolution du G5 Sahel et des nouveaux mécanismes de coopération sécuritaire à mettre en place lors de ce sommet de Ouagadougou. Les discussions risquent d’être longues et suspendues aux avis, parfois contradictoires, des uns et des autres. “Un des problèmes de fond est l’élargissement ou non du G5 Sahel, glisse un intime du président burkinabè Roch Marc Christian Kaboré. Mais à partir du moment où certains de nos voisins sont directement concernés par la menace terroriste, pourquoi ne pas les intégrer ?”
Outre le G5 Sahel existe aussi l’« Initiative d’Accra », cadre de coopération militaire et sécuritaire qui regroupe le Bénin, le Togo, le Ghana, le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire. Nul doute que son évolution sera aussi sur la table des discussions à Ouaga, alors que Cotonou, Lomé et Accra se montrent de plus en plus vigilants vis-à-vis de la menace jihadiste.
Sans oublier le géant nigérian, où la montée en puissance d’ISWAP (le groupe de l’État Islamique en Afrique de l’Ouest, une branche de Boko Haram affiliée à l’EI) suscite de nombreuses inquiétudes. “Il faut juste que tout le monde comprenne qu’il faut mutualiser nos moyens pour inverser la spirale négative dans laquelle nous sommes engagés”, glisse un ministre de la Défense ouest-africain. Facile à dire. Reste maintenant à le faire.
Pays et villes riches en Afrique
Classement : où sont les riches en Afrique ?
La banque mauricienne Afrasia publie la troisième édition de son classement. Quels pays africains sont les plus aisés et accumulent le plus de richesse privée ? Analyse.
Quels pays accumulent le plus de richesse privée, où sont les patrimoines les plus élevés, et comment évoluent-ils? Où sont les villes les plus riches ou les plus chères…? Alors que la richesse totale détenue en Afrique « n’a augmenté que de 14 % ces dix dernières années (2008-2018) », le rapport Afrasia Africa Wealth Report 2019 dresse un bilan classé des contributions de 17 pays africains à ce classement.
Faute de sources suffisamment fiables, les données concernant l’Algérie, la RDC et le Zimbabwe n’ont pas été retenues par Afrasia.
Mais qu’entend Afrasia par richesse totale ? Il s’agit des « avoirs nets détenus par l’ensemble des individus vivants dans un pays, comprenant tous leurs actifs (immobiliers, liquidités, actions, intérêts commerciaux) moins les passifs », précise d’emblée le rapport. De fait, en terme de « richesse totale » les états les plus peuplés seront avantagés.
Pour poser certaines bases, Afrasia rappelle qu’avec 16 % de la population mondiale (1,2 milliards d’habitants) et 2,2 billions de dollars de richesse totale, l’Afrique ne possède que 1 % de la richesse mondiale (environ 204 billions de dollars). En moyenne, la richesse net par africain est de 1 900 dollars, contre 27 000 $ au niveau mondial.
• Perspectives
Les auteurs du rapport prévoient une augmentation de 35 % de la richesse totale détenue sur le continent africain au cours des dix prochaines années, atteignant 3 billions de dollars américains d’ici 2028. Selon ces analystes de la banque mauritienne : Maurice, le Ghana, le Rwanda et l’Ouganda sont en passe d’émerger comme les pays les plus performants en Afrique, avec une augmentation de leur richesse supérieure à 100 % au cours des dix prochaines années.
En revanche, l’Afrique du Sud, la Tanzanie et la Côte d’Ivoire devraient continuer à connaître une croissance modérée de leurs richesses, de l’ordre de 30 % alors que le Maroc, l’Égypte et le Nigeria risquent d’éprouver des difficultés en raison de leur faibles perspectives de croissance (de 10 % à 20 %).
• Le cas sud-africain
Malgré les difficultés croissantes qui affectent l’administration sud-africaine, le pays reste le plus riche du continent avec une richesse totale de 649 milliards de dollars. Plusieurs facteurs ont contribué à ces mauvaises performances au cours de la dernière décennie indique le rapport qui cite notamment la mauvaise gestion de ses grandes entreprises publiques, la baisse de sa monnaie, la morosité du marché immobilier local et l’exode des personnes fortunées.
• Le cas mauricien
« Au cours de la dernière décennie, Maurice a été le pays le plus performant d’Afrique et le deuxième au monde, derrière la Chine, en terme de croissance des richesse » affirme le rapport, qui justifie notamment cette évolution positive pour ses citoyens les plus riches par la « sécurité » économique du pays, son secteur financier « florissant », la hausse des prix de l’immobilier, et la forte croissance du nombre de personnes qui sont au moins millionnaires.
Les villes passées au crible
Medias en Afrique
Étude Africascope : qui utilise le plus la télévision, la radio et internet en 2019 ?
Les Congolais (RDC) et les Gabonais sont ceux qui regardent le plus la télévision, mais c'est au Mali et au Burkina Faso qu'on écoute le plus la radio. Concernant l'usage d'internet, les Sénégalais sont en tête des usagers, nous apprend le cabinet Kantar dans sa récente étude intitulée Africascope.
Aux Congolais la télé, aux Burkinabés la radio, aux Sénégalais internet. La filiale française du cabinet d’étude et de conseil Kantar, spécialiste international de l’observation du comportement des utilisateurs de médias, a publié début septembre son études Africascope 2019.
Celle-ci couvre huit pays d’Afrique subsaharienne : Burkina Faso, Cameroun, Côte d’Ivoire, Gabon, Mali, République Démocratique du Congo, République du Congo, Sénégal, l’ensemble représentant au total 19,1 millions d’individus âgés de quinze ans et plus
Le cabinet estime que « les acteurs médias et les annonceurs manifestant un intérêt croissant pour l’Afrique », cette radioscopie offre aux annonceurs de une connaissance des consommateurs pour une valorisation des médias et une optimisation des investissements publicitaires.
28 % d’usagers quotidiens d’internet
Dans les grandes lignes, cette étude montre qu’en 2019, 92 % des Africains sondés ont regardé la télévision quotidiennement durant en moyenne 3h56, soit quatre minutes de moins qu’en 2018. 62 % d’entre eux ont écouté la radio quotidiennement, pendant une durée moyenne de 1h29.
Pour ce qui est d’internet, ils sont 53 % à s’être connectés occasionnellement et 28 % à se connecter tous les jours ou presque (deux points de plus qu’en 2018) pendant 42 minutes en moyenne.
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Africascope dans les détails
Les chaînes TV internationales et panafricaines les plus regardées sur la zone sont : Novelas TV, TV5MONDE, Canal+ Sport, Trace Africa, Nollywood TV, France 24, Action et A+.
Au niveau national, en tête des parts d’audience, Kantar cite :
– au Sénégal TFM, SEN TV et 2STV ;
– en Côte d’Ivoire les chaînes publiques RTI 1 & 2 ;
– en RDC Molière TV, Antenne 1 et Digital Congo TV ;
– au Cameroun CRTV, Canal 2 et Equinoxe TV ;
– au Gabon la RTG ;
– au Mali ORTM, TM2 mais aussi Cherifla TV;
– au Burkina Faso BF1 et TNB
– et enfin au Congo, Télé Congo et la DRTV.
Aigle Azur disparaît
Aigle Azur annule tous ses vols
Aigle Azur annule tous ses vols à partir de vendredi soir. La compagnie française dont les liaisons vers l'Algérie représentent 50 à 60 % de l'activité, dit ne pas pouvoir dédommager ses clients. Les repreneurs ont jusqu'à lundi pour se manifester.
La compagnie aérienne française Aigle Azur a annoncé jeudi l’annulation de tous ses vols à compter de vendredi soir, sans dédommagement dans l’immédiat pour ses clients. Elle doit trouver un repreneur d’ici à lundi pour ne pas sombrer.
« La situation financière de la société et les difficultés opérationnelles en résultant ne permettent pas d’assurer les vols au-delà du 6 septembre au soir », a précisé un communiqué. Cette situation ne permet pas non plus de garantir un dédommagement, a ajouté le communiqué invitant les passagers à trouver d’autres solutions (assurances de carte bancaire, agences de voyage).
Pour la dernière journée vendredi, 44 vols ont été maintenus, tous à l’exception d’un seul reliant la France et l’Algérie. L’entreprise a été placée lundi en redressement judiciaire. Cette décision fait suite à une bataille entre actionnaires minoritaires qui se sont opposés sur le devenir de la compagnie spécialiste des liaisons vers l’Algérie, qui représentent 50 % à 60 % de son activité.
Dégradation de la trésorerie
Le temps presse pour le deuxième transporteur aérien français: les éventuels repreneurs ont jusqu’au lundi 9 septembre à midi pour déposer leur offre.
L’accélération des événements est due à la dégradation de la trésorerie, loin des 25 millions évoqués en août par l’ex-PDG Frantz Yvelin, selon Martin Surzur, président du syndicat de pilotes SNPL d’Aigle Azur et membre du comité d’entreprise (CE). M. Yvelin a démissionné mercredi.
« L’État est pleinement mobilisé pour accompagner la recherche des meilleures solutions possibles pour préserver les emplois et apporte son support pour identifier des possibilités de reprise totale ou partielle de l’activité économique par un ou des repreneurs », a indiqué de son côté dans la soirée le ministère de la Transition écologique, via un communiqué.
Parmi les repreneurs potentiels se trouvent Lionel Guérin et Philippe Micouleau, anciens dirigeants du groupe Air France, selon des sources syndicales. Le nom du groupe Dubreuil, propriétaire d’Air Caraïbes, a également été évoqué.
9 800 créneaux horaires
Aigle Azur dispose d’atouts susceptibles d’intéresser un repreneur, plaident ses salariés, notamment des droits de trafic vers l’Algérie, et surtout de 9 800 créneaux horaires annuels à Orly, où le total pour toutes les compagnies est plafonné à 250 000. Aigle Azur compte 1 150 employés, dont 350 en Algérie. La compagnie dispose d’une flotte de 11 avions et a transporté 1,88 million de passagers en 2018, année pendant laquelle elle a réalisé un chiffre d’affaires de 300 millions d’euros.
Décès Robert Mugabe
Robert Mugabe: du héros de la libération au despote solitaire
Robert Mugabe est mort, ce 6 septembre 2019, à l’âge de 95 ans. Né en Rhodésie du Sud, il avait libéré son pays de l’étreinte de la dictature raciste de Ian Smith en avril 1980. Ses premiers pas en tant que dirigeant du Zimbabwe ont été salués à l’unanimité. Au fil des décennies, cet homme cultivé s’est retranché dans ses certitudes. Pour durer au pouvoir, il a rudoyé ses opposants et jeté son pays autrefois prospère au bord de l’abîme.
« Ma décision de démissionner est volontaire. Elle est motivée par ma préoccupation pour le bien-être du peuple du Zimbabwe et mon souhait de permettre une transition en douceur, pacifique et non violente qui assure la sécurité nationale, la paix et la stabilité »… C’est par ces mots, rédigés le 21 novembre 2017 au terme d’un bras de fer d’une semaine avec l’armée, que Robert Mugabe a présenté sa démission. Ce départ n’avait rien de « volontaire », Robert Mugabe l’avouera quelques mois plus tard, à la veille de l’élection présidentielle d’août 2018. Très affaibli, quasiment incapable de se mouvoir, il évoque cette fois « un coup d’Etat » et promet de ne plus voter « pour ceux qui [l’]ont maltraité. » Un an plus tard, depuis Singapour où il est hospitalisé depuis avril 2019, il fait savoir qu’il refusait d’être inhumé à Heroes Acre, la nécropole monumentale dont il fut l’architecte, et qui accueille les dépouilles des héros de la lutte pour l’indépendance. Malgré la défaite et l’amertume, le vieil homme a tenu à s’accrocher à sa dignité. Une dignité forgée de longue date.
Né en 1924 d'une mère pieuse à cent kilomètres à l'ouest de Harare, Robert Gabriel Mugabe reçoit une éducation stricte chez les jésuites. Son père quitte le foyer familial quand il a 10 ans, mais le jeune Robert trouve une figure paternelle en la personne du prêtre irlandais Jérôme O'Hea, qui voit en lui un enfant prodige. Aux jeux et pitreries dans la cour de la mission catholique, le jeune Robert Gabriel préfère la solitude et les livres. Mugabe aura été un homme solitaire toute sa vie.
► À écouter: Le débat Africain: Robert Mugabe, 37 ans après
Brillant élève, il se voit accorder une bourse pour l'université noire de Fort Hare en Afrique du Sud, et décroche son diplôme d'enseignant. Il gagne ensuite le Ghana de Kwame Nkrumah. Une étape importante de sa vie : il respire l'air d'un pays où les Noirs ont recouvré leur indépendance et leur liberté, et y rencontre Sally, sa future épouse, sa confidente, et conseillère.
En 1964, de retour au Zimbabwe, alors appelé Rhodésie du Sud, il est arrêté pour subversion et transféré de cachot en cachot. Comme Mandela, il profite de ces années de détention pour parfaire l'éducation de ses compagnons de lutte, parmi lesquels se trouve le jeune Emmerson Mnangagwa, son futur « tombeur », et obtient lui-même une demi-douzaine de diplômes par correspondance. Il est en détention lorsqu'il apprend la mort brutale de son fils âgé de 3 ans. Mugabe a à peine vu le petit Nhamo. Il demande une dérogation pour assister aux obsèques, mais le régime de Ian Smith refuse de lui concéder cette faveur. Il en gardera une profonde blessure.
A sa libération en 1974, après dix années derrière les barreaux, il prend le maquis au Mozambique, et se hisse aux commandes de la branche armée du mouvement ZANU-PF, qui visait à chasser les Blancs du pouvoir.
1979-1980 : les accords de Lancaster et l'accession de Mugabe au pouvoir
En avril 1980, au terme d'une guerre d'indépendance contre le régime raciste de Ian Smith qui aura fait entre vingt et trente mille morts, la Rhodésie du Sud accède à l’indépendance sous le nom de Zimbabwe. En tant que chef de la ZANU-PF, Mugabe signe les accords de Lancaster House, dans l’ouest de Londres, sous l'égide de l'ancienne puissance coloniale. Ces accords offrent de nombreuses garanties à la population blanche. Ils maintiennent une large palette de privilèges, et attribuent aux Blancs un cinquième des sièges de l'Assemblée. L’accord empêche au gouvernement issu des futures élections de toucher aux terres agricoles durant dix ans, alors que les Blancs en détiennent la moitié, et le plus souvent, ce sont les terres les plus fertiles.
Mugabe remporte haut la main le scrutin de 1980. Le soir de sa victoire, il rassure la population blanche lors d'un discours axé sur l'apaisement et la réconciliation. Il va même au-delà des accords de Lancaster : il reconduit les chefs des services de renseignements de l'ancien régime, et nomme deux ministres blancs.
Mugabe n'oublie pas qu'il est enseignant de formation, et lance d'ambitieux programmes dans le secteur éducatif. Si le Zimbabwe peut s'enorgueillir de l'un des plus forts taux d'alphabétisation du continent, c'est grâce à lui. Il choisit également d'investir massivement dans les secteurs de la santé et de l'agriculture : deux dossiers qu’il suit de près, « lors de déplacements sur le terrain, il insistait pour se faire expliquer les aspects les plus techniques de nos programmes » se souvient Denis Norman, ministre de l’Agriculture de 1980 à 1985. Ce sont les années fastes. La transition s'est déroulée sans heurts, la communauté internationale est ravie et soulagée, l'argent des bailleurs de fonds afflue. Le Zimbabwe est alors le grenier à céréales du continent, et l'un des premiers producteurs de tabac au monde.
L'opération Gukurahundi : les premiers massacres commandités par Mugabe
Mais Mugabe, de l'ethnie majoritaire Shona, doit composer avec son rival Joshua Nkomo, l'autre héros de l'indépendance. Leur coalition vole rapidement en éclat, et Mugabe décide de neutraliser ses partisans. Il recourt, comme il le fera régulièrement au cours des décennies suivantes, à la violence. Il s'empare de caches d'armes découvertes chez des proches de Nkomo pour mobiliser la cinquième brigade. Formée par des agents commandos nord-coréens, elle se livre à des massacres et des viols à travers le Matabeleland, dans l'ouest du pays. L'opération Gukurahundi fait des milliers de morts parmi l'ethnie minoritaire Ndebele, dont des femmes et des enfants. La communauté internationale ferme les yeux.
Les années 1990 et les premiers revers
Au début de la décennie 1990, le FMI et la Banque mondiale imposent au gouvernement de Mugabe une sévère cure d'austérité. Il se sépare de dizaines de milliers de fonctionnaires et, sous la contrainte, réduit drastiquement la dépense publique. Ces réformes impopulaires génèrent un vent de colère dans les villes du pays gagnées par le chômage.
Sally, la première dame populaire, qui tempérait les ardeurs de Mugabe, décède en 1992. Il épouse quatre années plus tard sa secrétaire, la dispendieuse Grace, en présence de douze mille convives, dont Nelson Mandela, qui lui vole la vedette.
► À écouter: La marche du monde: Robert Mugabe, le pouvoir à tout prix
Mugabe s'isole. Il vit comme une véritable trahison le comportement des Blancs, qui ont voté selon des critères raciaux lors des premières élections parlementaires. En Angleterre, le New Labour de Tony Blair remporte les élections en 1997. Par l’intermédiaire de sa secrétaire d’Etat Clare Short, il signifie sèchement à Mugabe qu'il refuse de financer le programme de redistribution des terres, au motif qu'il ne se sent pas lié par les promesses des conservateurs britanniques. Mugabe le vit comme un affront personnel. Il est animé de sentiments contradictoires vis-à-vis de l'ancienne puissance coloniale. Il prétend la détester, mais il admire sa littérature, ses institutions, respecte la royauté et dira beaucoup de bien de Margareth Thatcher. « Nos juges portent encore des perruques, et Mugabe est président d’honneur du club de cricket », relève l’ancien ministre des Finances Tendaï Biti. Toujours est-il que Mugabe rentre dans une colère terrible suite à la gifle que lui inflige le Premier ministre Tony Blair. Cette colère ne s'éteindra jamais, d'autant plus que Downing Street, plus tard, manœuvrera pour que Bruxelles impose des sanctions limitées contre le Zimbabwe. Mugabe perd donc à jamais son statut de chouchou de l'Occident. En 2004, la reine d'Angleterre lui retire le titre honorifique qu'elle lui avait décerné lors d'une visite d'Etat, dix années plus tôt.
L'éviction des fermiers blancs et le début de la descente aux enfers du Zimbabwe
Lors des vingt premières années de l’indépendance, les fermiers blancs ont continué à s'enrichir. Le président zimbabwéen vit donc très mal leur soutien à la nouvelle formation de l'opposition, le Mouvement pour le changement démocratique, MDC, créée en 1999 par le syndicaliste Morgan Tsvangirai. La question de la réforme agraire commence à obséder Mugabe et les vétérans de la guerre d'indépendance, de plus en plus exigeants. A la fin des années 1990, les caisses de l'Etat sont vides et Mugabe n'a plus de cadeaux à leur offrir. Les vétérans décident de confisquer les terres aux quelque six mille fermiers blancs du pays, le plus souvent dans la violence. Lors d'un entretien accordé à RFI en 2008, l'ancien ministre blanc Denis Norman indique qu'il se trouvait dans le bureau de Mugabe lorsqu'il a été pour la première fois informé des occupations sauvages des fermes. Mugabe n'avait pas été consulté. Selon Norman, il ne contrôlait plus les vétérans, et a revendiqué la paternité des invasions dans un deuxième temps, pour sauver la face.
Toujours est-il que les conséquences de ces invasions de fermes sont désastreuses. Les vétérans et les amis de Mugabe qui s'y sont installés se contentent d'occuper leurs villas cossues le week-end, sans entretenir les terres, et quelque deux cent mille ouvriers agricoles noirs perdent leur emploi.
La production agricole s'effondre et entraîne dans sa chute toute l'industrie agroalimentaire : les engrais ne sont plus fabriqués, le tabac n'est plus transformé. Alors que son pays est à genoux, Robert Mugabe s'engage dans une fuite en avant. Il demande au gouverneur de la Banque centrale, Gidéon Gono, de faire tourner la planche à billets. L'inflation atteint des niveaux stratosphériques. Mugabe ne se sent aucunement responsable de la déroute de son pays. Dans tous ces discours, il désigne pour responsable la communauté internationale et son régime de sanctions. En réalité, elles ne visent que les avoirs personnels de Mugabe et ceux de ses proches. Aussi, l'entourage du président se contente de le flatter et lui cache la vérité. A tel point qu'en 2007, Mugabe déclare à la journaliste Heidi Holland, auteur du livre Diner with Mugabe, que son pays s'en sort beaucoup mieux que la majorité des pays africains. Mugabe se transforme en despote. ll déclare en 2008 : « Dieu seul peut retirer le pouvoir qu'il m'a confié. »
L'opposition harcelée, tabassée, torturée
Mugabe se maintient au pouvoir grâce à des élections truquées. Chaque campagne électorale est ponctuée de vagues d'arrestations dans les rangs de l’opposition. En 2007, les images du visage tuméfié du chef de file du MDC, Morgan Tsvangirai, sur son lit d'hôpital, font le tour du monde. Les miliciens du parti de Robert Mugabe, la ZANU-PF, sont particulièrement violents dans les zones rurales, alors que Harare, la capitale, et Bulawayo, sont acquises au MDC.
Le premier tour de l'élection présidentielle de 2008 place Tsvangirai en première position. Mugabe ordonne une campagne de répression sanglante, qui fait près de deux cents morts dans les rangs du MDC. Tsvangirai, qui est arrêté plusieurs fois dans l'entre-deux tours, décide de jeter l'éponge. La Communauté économique des Etats d'Afrique Australe, la SADC, très indulgente avec Robert Mugabe, lui impose néanmoins de partager le pouvoir avec Morgan Tsvangirai, qui prend ses fonctions en février 2009. Tsvangirai se discrédite alors au pouvoir et tombe dans les pièges de Mugabe, qui remporte dès le premier tour le scrutin suivant en 2013.
La chute
Dans la décennie 2010, deux prétendants commencent à s’imposer : la vice-présidente Joyce Mujuru et le vice-président Emmerson Mnangagwa, ancien chef d’état-major des armées et ancien patron des services secrets. Tour à tour, les deux sont congédiés par Robert Mugabe, qui veut dégager la voie en faveur de son épouse, Grace, surnommée « Disgrace » en raison de ses frasques et de son caractère violent et dispendieux.
Dans la nuit du 14 au 15 novembre 2017, huit jours après le limogeage de Mnangagwa, c’est le coup de force. L’armée arrête les proches du président et isole celui-ci dans son palais. Le vieux Mugabe résiste quelques jours, mais plusieurs centaines de milliers de Zimbabwéens descendent dans la rue pour réclamer son départ, tandis que son propre parti, la ZANU-PF, le démet de ses fonctions de président et menace de le révoquer s’il refuse de se démettre.
Le 21 novembre, deux jours après un dernier baroud d’honneur à la télévision, Mugabe rédige sa lettre de démission au moment précis où le Parlement de Harare entame contre lui une procédure de destitution. « Il avait les larmes aux yeux », confie un témoin. « Il s’en est pris à ses lieutenants, qu’il a traités de caméléons et de traitres », raconte un autre.
Après 37 ans de pouvoir, Robert Mugabe est sorti par la petite porte, mais, pour bon nombre d'Africains, il demeure néanmoins le héros de l'indépendance, une icône, qui, lorsqu'elle vilipende les anciennes puissances coloniales, dit tout haut ce que tout le monde pense tout bas.Zimbabwe