Après plusieurs jours de négociations avec le ministère de l’Éducation, l’institution catholique Sainte-Jeanne-d'Arc de Dakar a décidé de réintégrer dans ses classes une vingtaine de filles voilées qui en avaient été écartées. Le règlement intérieur de l'école interdisant le port du voile n'a toutefois pas été modifié.
« Tout est bien qui finit bien », se félicite le ministère de l’Éducation nationale. Après un long bras de fer avec la direction de l’établissement, les autorités ont obtenu de l’institution privée catholique qu’elle réintègre dans ses salles de classe les 22 filles qui en avaient été écartées à la rentrée du 4 septembre dernier, pour cette année scolaire.
« Il était important de trouver une solution rapidement, à la fois pour l’intérêt des enfants et la stabilité du pays », assure à Jeune Afrique Mohammed Moustapha Diagne à la communication du ministère. « Je crois que l’école n’avait pas mesuré les conséquences que pouvait avoir cette mesure », estime-t-il. Cette interdiction avait en effet rapidement enflammé le débat national autour de la laïcité et de la cohabitation religieuse, dans un pays composé à 95 % de musulmans.
Les élèves porteront l’uniforme assorti d’un foulard, de dimensions convenables, fourni par l’établissement et qui n’obstrue pas la tenue » a finalement fait savoir le ministère dans la nuit de mercredi à jeudi, au sorti d’une longue réunion avec la direction.
Cette école réputée de Dakar, créée en 1939 et placée sous la tutelle de la congrégation des sœurs de Saint Joseph de Cluny, avait décidé avant les vacances scolaires de modifier son règlement intérieur. Les élèves doivent désormais assister aux cours avec « une tête découverte », par souci de respecter « l’identité » de l’école, selon les mots de sa proviseure Rayanna Tall. Une mesure qui exclut de facto la vingtaine de filles musulmanes portant le voile dans l’établissement, constitué de quelques 1700 élèves.
Face au tollé provoqué par cette mesure, le ministère de l’Éducation réagissait en mai dernier. « Les établissements privés, en sollicitant l’autorisation de la tutelle, s’engagent à se conformer strictement à la réglementation officielle », faisaient savoir les autorités, citant le caractère laïc de la République, assuré par la Constitution. Elles évoquaient également la loi d’orientation 91-22, qui prévoit que l’Éducation nationale est laïque, respecte et garantit à tous les niveaux la liberté de conscience des citoyens, promettant de prendre « toutes les dispositions nécessaires » pour empêcher cette interdiction.
Il aura finalement fallu plusieurs mois à l’État pour parvenir à un « consensus » sur la question. « Ce dossier – extrêmement sensible – est suivi de très près par le ministre » Mamadou Talla, assure Mohammed Moustapha Diagne. « Privées ou non, les écoles sont régies par l’Éducation nationale et les textes sont très clairs. Les seules tenues interdites dans les établissements sénégalais sont les tenues indécentes. »
La fin du bras de fer ?
« L’État a pris ses responsabilités », se félicite pour sa part Moustapha Ndoye, l’avocat des parents des filles voilées. « C’était à l’État de régler cette affaire et de faire respecter la Constitution », ajoute-t-il, voyant dans cette décision la fin d’un « bras de fer » entre le Sénégal et l’institution. Face à une administration « mutique » et « inflexible », les parents d’élèves menaçaient en effet de porter plainte contre l’établissement. Selon Moustapha Ndoye, l’école risquait également d’être placée sous administration provisoire.
La médiation annoncée avant les vacances scolaires n’avait de toute évidence pas porté ses fruits : en début de semaine, les élèves du primaire puis du secondaire venues faire leur rentrée des classes avaient été mises à part et leurs parents convoqués, puis sommés de récupérer leurs enfants.
Interrogée par Jeune Afrique la semaine dernière, Loubna Saheli, à la tête du comité de parents de filles voilées, se disait « dégoûtée du comportement des sœurs » et condamnait des pratiques visant à « humilier » les enfants. L’école a subitement décidé d’interdire des filles qui avaient fait tout leur cycle scolaire dans cet établissement, sans aucune raison valable », s’interrogeait-elle.
La décision de l’école avait notamment provoqué une levée de boucliers des religieux et d’une partie de la société civile. Quatre personnes ont ainsi été brièvement arrêtées mercredi lors d’un rassemblement devant l’école. Le consensus trouvé entre les deux parties, s’il a permis d’apaiser les tensions, semble toutefois provisoire. Jeanne-d’Arc renonce-t-elle pour autant à la modification de son règlement intérieur ? Les filles voilées pourront-elles de réinscrire dans l’établissement l’année prochaine ? Les négociations se poursuivent à ce sujet, assure le ministère.