Dans la partie orientale du pays, les attaques des groupes jihadistes se multiplient. Comment l’armée, déjà engagée dans le Nord, compte-t-elle y faire face ?
Sans doute aurait-il préféré avoir l’esprit plus tranquille pour son premier voyage officiel en Chine. Au début de septembre, alors qu’il enchaîne les rencontres avec dirigeants et hommes d’affaires de l’empire du Milieu, Roch Marc Christian Kaboré ne cesse de recevoir des nouvelles alarmantes du pays.
Depuis quelques jours, les attaques se multiplient dans la région de l’Est, frontalière du Niger, du Bénin et du Togo. Une, en particulier, a profondément choqué les Burkinabè : la mort de sept soldats, le 28 août, tués par une mine artisanale au sud de Fada N’Gourma.
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« Trop, c’est trop ! », s’agace le chef de l’État en privé. Avant de prendre place à bord du Pic de Nahouri pour rentrer à Ouagadougou, il décide de réunir un conseil supérieur de défense dès le lendemain de son arrivée.
Président et chef de guerre
Ce 8 septembre, tous les responsables militaires et sécuritaires sont donc convoqués au palais de Kosyam. Face aux haut gradés et à ses collaborateurs, Kaboré se montre très impliqué, étudiant les cartes, évoquant les différents moyens de riposte, allant jusqu’à préconiser les unités ou armements à utiliser en fonction du terrain. Grâce aux informations récoltées par les agents de l’Agence nationale du renseignement (ANR), des bases de jihadistes présumés sont localisées dans les zones forestières de Pama et Gayeri. Ordre est donné de lancer une grande opération dès que possible.
Roch se serait-il transformé en chef de guerre ? Ses proches sont plusieurs à le penser
Dans les jours qui suivent, des avions de chasse décollent de Ouaga en direction de l’Est et ciblent les lieux repérés. Au sol, environ 700 militaires, dont des hommes du 25e régiment de parachutistes de Bobo-Dioulasso, sont mobilisés. Dans le laconique communiqué de l’armée revenant sur cette opération inédite, pas un mot sur d’éventuelles victimes.
À l’image de son ex-homologue français François Hollande, le flegmatique « Roch » se serait-il transformé en chef de guerre ? Ses proches sont plusieurs à le penser.
Confronté au premier attentat de masse de l’histoire du Burkina seulement deux semaines après son entrée en fonction – le 15 janvier 2016, un commando jihadiste avait tué une trentaine de personnes à Ouagadougou –, le successeur de Blaise Compaoré doit, depuis, gérer les attaques à répétition menées contre des civils et les forces armées, en plein cœur de la capitale, dans le Nord et maintenant à l’Est…
« Au fur et à mesure, il s’est spécialisé sur ces enjeux sécuritaires. Aujourd’hui, il les maîtrise complètement et sait comment y répondre », assure un de ses fidèles. Son entourage ajoute qu’il a « parfaitement pris la mesure de ce qui se passe dans l’Est » et qu’il suit ce dossier de manière quotidienne. « Il a en outre décidé que le conseil supérieur de défense se tiendrait désormais tous les quinze jours et jusqu’à nouvel ordre », précise Rémi Dandjinou, le ministre de la Communication.
Un situation qui n’a cessé de se dégrader
Certains estiment néanmoins que la réaction présidentielle a été tardive. Voilà en effet longtemps que la menace d’un nouveau front se dessine dans l’Est. Les premiers signalements dans la zone remontent à la fin de l’année 2015. Et depuis le mois de février dernier, la situation n’a cessé de se dégrader.
Les autorités ont longtemps laissé traîner le problème avant de s’y attaquer
Dans un discours à l’Assemblée nationale, le Premier ministre Paul Kaba Thiéba a lui-même reconnu que celle-ci était devenue « préoccupante », indiquant qu’en sept mois, 23 personnes (18 militaires ou paramilitaires et 5 civils) avaient été tuées dans 22 « attaques terroristes » à travers la région.
Certes, l’armée a bien tenté des opérations de ratissage, comme en mars dans la brousse d’Ougarou ou en avril dans les forêts de Nakortougou et Foutouri, mais elles n’ont visiblement rien donné. « Les autorités ont longtemps laissé traîner le problème avant de s’y attaquer, un peu comme elles l’avaient fait dans le Nord », déplore une source occidentale.
« C’est faux, rétorque un collaborateur du président Kaboré. Il y a des casernes militaires dans l’Est. Au début, nous pensions que ces effectifs suffiraient. Mais la montée en puissance de la menace nous a conduits à réévaluer nos moyens de riposte. »
En réalité, c’est surtout la capacité de l’armée à tenir plusieurs fronts qui pose aujourd’hui question. L’important effort consenti depuis deux ans pour sécuriser le nord frontalier du Mali, où 1 300 militaires (sur environ 12 000 hommes) ont été envoyés en renfort, a réduit les effectifs ailleurs.
Soumis à une pression militaire accrue dans la zone dite des « trois frontières » (Burkina-Mali-Niger), des jihadistes qui y opéraient ont contourné le dispositif et se sont engouffrés dans la brèche ouverte à l’Est. Ils y ont trouvé de nombreux avantages : peu d’habitants, une faible présence étatique, et des forêts plutôt denses et giboyeuses, où il est possible de se cacher et de chasser.
Riposte inévitable
Bien que les attaques aient diminué après les grandes opérations de ratissages menées au début de septembre, les autorités ne se font aucunes illusions sur le fait qu’elles sont engagées dans un combat de longue haleine. « Les groupes qui y étaient implantés vont forcément essayer de revenir, explique un haut gradé. Face à ces ennemis très mobiles, qui maîtrisent les techniques de guérilla et qui se fondent dans la population, nous devons adapter notre stratégie. »
Dans cette guerre asymétrique, les capacités en renseignement sont primordiales. Les autorités burkinabè le savent et ont sollicité les moyens de surveillance aériens des Français de l’opération Barkhane pour épier les vastes zones boisées de l’Est.
« Cette riposte militaire est inévitable, poursuit un collaborateur de Kaboré. Mais le président a toujours dit que ce n’était pas la seule solution pour lutter contre les groupes jihadistes qui nous attaquent. »
Dans le Nord, il a ainsi lancé un Programme d’urgence pour le Sahel de 455 milliards de F CFA (693 millions d’euros) pour accélérer le développement de cette région isolée. Reste à savoir si un tel effort financier sera fait pour l’Est, alors que Kaboré est confronté à de nombreux autres défis économiques et sociaux.
Ennemis invisibles
Aucune attaque revendiquée. Pas de déclaration ni d’images sur lesquelles travailler. Comme le concède un officier, les services burkinabè n’ont que « peu d’informations » sur les « ennemis invisibles de l’Est ». On sait toutefois qu’il s’agirait de jihadistes descendus du Soum et/ou de la « zone des trois frontières ».
À leur tête, deux chefs présumés : l’un lié au groupe burkinabè Ansarul Islam, l’autre un temps actif au Mali sous la bannière de l’ex-Mujao [Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest]. Dans leurs rangs : une majorité de Burkinabè, des Maliens et des Nigériens. Selon un membre des services de renseignements, ils seraient aussi venus pour « couvrir » les différents trafics (carburant, cigarettes, drogue…) qui remontent depuis les pays côtiers vers le Sahel. Ils collaborent ainsi avec les trafiquants et bandits locaux, qui prospèrent depuis longtemps dans cette région de l’Est, connue pour être l’une des plus criminogènes du Burkina.