Après avoir passé quatre mois en prison avec d’autres militants, Ali Idrissa revient sur le sens de leur mobilisation contre les mesures d’austérité découlant de la loi de finances 2018.
Vendredi 5 octobre, dans une salle du tribunal de Niamey qui refuse du monde, un juge ordonne la libération de trois militants de la société civile nigérienne. Maikoul Zodi, Ibrahim Diori et Karim Tanko, hument, enfin, l’air de la liberté et retrouvent leurs familles et amis, sans qu’aucune charge ne soit retenue contre eux. Ils venaient de passer près de six mois en détention.
J’étais là, au dehors, durant cette chaude après-midi d’octobre, attendant patiemment de les accueillir et de célébrer avec eux ce moment de victoire et de liberté retrouvée. Ces retrouvailles ravivent des souvenirs, des sensations et des émotions. Trois mois plus tôt, en effet, comme eux, j’étais libéré après avoir passé quatre mois derrière les barreaux avec Moussa Tchangari, Lirwane Abdrahamane et Nouhou Arzika – dans des prisons à l’intérieur du pays.
L’incarcération d’activistes est devenue un fait banal au Niger où, en moins d’un an, une trentaine d’entre eux ont été arrêtés et détenus sur la base d’accusations forgées de toutes pièces. Punis pour avoir dénoncé et combattu les mesures d’austérité, illégalement insérées dans la loi des finances 2018, cette loi taillée pour permettre de maintenir le train de vie exorbitant des dirigeants.
Se taire, ne pas nous mobiliser équivaudrait à cautionner les mesures d’austérité régressives et injustement imposées par l’État depuis 2017
Nous ne sommes ni putschistes ni opposants. Nous nous battons pacifiquement pour une justice fiscale pour tous. Se taire, ne pas nous mobiliser équivaudrait à cautionner les mesures d’austérité régressives et injustement imposées par l’État depuis 2017, y compris sur les Nigériens les plus démunis et vulnérables.
Ces mesures d’austérité contenues dans la loi des finances 2018 contraignent les Nigériens dont plus de la moitié (50,3% en 2011 d’après la Banque mondiale) vit avec moins de 1,90 dollar des États-Unis par jour, à payer davantage d’impôts et de taxes y compris sur les produits de première nécessité. L’engrais naturel a connu une imposition de la taxe sur la valeur ajoutée, ce qui a un impact considérable, l’agriculture et l’élevage constituant les principales sources de revenu de plus de 80% de la population.
En outre, depuis 1992 et sur recommandation des institutions monétaires internationales dont le FMI, l’Etat nigérien a sévèrement réduit les budgets alloués aux secteurs sociaux. Les conséquences de ces coupes budgétaires sur les populations vulnérables sont immenses. Des femmes nigériennes accouchent sans l’assistance d’une sage-femme, des malades n’ont plus accès aux médicaments, des enfants meurent faute de soins, l’école publique est en faillite. Face à ce sombre tableau, nous taire aurait été une trahison. Mon pays, le Niger, dispose pourtant d’un sous-sol riche en pétrole, en fer, en phosphate, en or et en manganèse. Le Niger est par ailleurs le quatrième producteur mondial d’uranium. Seule une personne sur 10 cependant a accès à l’électricité.
L’État a totalement ignoré le critère de non-discrimination qui exige que les mesures d’austérité atténuent les inégalités au lieu de les accentuer
La société civile engagée sur le terrain aux cotés des communautés les plus démunies, s’est attelée à faire les recommandations nécessaires permettant d’atténuer l’impact sur les droits économiques, sociaux et culturels des populations vulnérables. Les autorités sont restées sourdes à nos suggestions et sont allées jusqu’à violer les critères de conformité des mesures d’austérité. L’État a par exemple totalement ignoré le critère de non-discrimination qui exige que les mesures d’austérité atténuent les inégalités qui peuvent apparaître en temps de crise, au lieu de les accentuer, tout en veillant à ce que les droits des personnes et des groupes défavorisés et marginalisés ne soient pas affectés de manière disproportionnée.
L’État du Niger a décidé de maintenir la taille et le train de vie du gouvernement et d’offrir des cadeaux fiscaux inacceptables aux entreprises nationales et internationales de téléphonie mobile et des industries extractives. Ainsi, le Niger, classé dernier pays selon l’Indice du développement humain (189e rang sur 189) en 2018, continue à entretenir un gouvernement de 47 ministres et 171 députés, sans oublier la multitude de ministres conseillers à la Présidence, de chargés de missions et de conseillers dans toutes les institutions étatiques.
Le Niger dispose pourtant de nombreux moyens de mobiliser des ressources tout en protégeant les populations vulnérables. La lutte contre l’évasion fiscale en est un. Selon l’Institut mondial de recherche sur l’économie du développement de l’Université des Nations unies (UNU-WIDER, à Helsinki), le Niger a perdu au moins 2,34 % de son PIB (soit 170 millions de dollars des États-Unis) du fait de l’évasion fiscale en 2013. Le Niger figure toujours parmi les pays les plus mal classés selon l’indice de perception de la corruption de Transparency International (112e sur 180 pays en 2017), et des cas de corruption impliquant des représentants de l’État continuent d’être régulièrement dénoncés.
Face au refus des autorités nigériennes d’explorer des solutions moins régressives face à la crise économique et l’impact négatif des mesures d’austérité sur les populations vulnérables, il n’était pas question de se taire.
Nous ne pouvons plus continuer à supporter les charges d’une classe politique qui continue de faire l’objet d’allégations persistantes de corruption et de vivre dans le plus grand luxe pendant que les populations peinent à supporter les coupures budgétaires.
Les autorités n’ont pas hésité à user de manœuvres d’intimidations et de harcèlement, des arrestations arbitraires voire des condamnations
Activistes, membres de la société civile et citoyens nigériens ont décidé de se mobiliser contre cette injustice fiscale en recourant aux marches et manifestations pacifiques. Dans leur volonté de faire taire toute critique et en violation de la Constitution du pays et des engagements internationaux et régionaux sur le droit à la liberté d’expression et de manifestation pacifique, les autorités n’ont pas hésité à user de manœuvres d’intimidations et de harcèlement, des arrestations arbitraires voire des condamnations à des peines d’emprisonnement et des amendes dans certains cas en qualifiant publiquement ceux qui s’opposent aux mesures d’austérité de putschistes.
Elles sont allées plus loin et ont ordonné la fermeture des médias indépendants. Depuis le début de l’année, une dizaine de médias indépendants critiques ont été fermés, notamment Labari dont je suis le promoteur. À Zinder, les activistes Sadat Illiya Dan Malam et Yahaya Badamassi attendent depuis six mois leur procès pour « participation à un mouvement insurrectionnel » et « conspiration contre la sécurité de l’État », des charges fabriquées de toutes pièces.
L’Association de défense des droits des consommateurs des technologies de l’information de la communication et de l’énergie (ACTICE) a été dissoute en novembre 2017 et ses membres mis en détention avant d’être relaxés. Les autorités ont fait appel du jugement.
Les restrictions et violations de nos droits et les mois passés injustement derrière les barreaux n’ont en rien émoussé notre élan ni notre force à poursuivre ce combat. Ils ont plutôt favorisé un climat dans lequel s’ancre une véritable citoyenneté active au-delà des clivages politiques. Ceux qui l’incarnent ne sont ni des putschistes ni des opposants, mais des fils et filles du Niger unis pour un Niger démocratique, républicain et respectueux des droits humains.