Pour la réussite de la transition et en vue du dialogue national souhaité par tous, le Conseil militaire de transition (CMT) doit immédiatement modifier la charte actuelle, laquelle concentre trop de pouvoirs entre les mains de son président.
Après le décès tragique et inattendu du président Idriss Déby Itno, des inquiétudes légitimes ont été exprimées sur les risques d’instabilité dans la région du Sahel et au Tchad. Et le processus de transition actuelle ne fait que les alimenter.
Commandement absolu
En effet, « la charte de transition de la République du Tchad » annoncée par les militaires n’est pas une base suffisante et rassurante. Cette « Constitution » met en place un Conseil militaire de transition (CMT) sur lequel le président, Mahamat Idriss Déby, dispose d’un pouvoir absolu sur tout et décide seul de la transition. Il nomme et révoque les membres du CMT et peut modifier la charte comme il veut, y compris la durée de la période transitoire. Il nomme et révoque le Premier ministre et les membres du gouvernement, ainsi que les 93 membres du Conseil national de transition (CNT, Parlement), qu’il peut dissoudre. Ce Parlement devra approuver la nouvelle Constitution et voter les lois, dont celles qui vont régir les élections.
Les travaux et conclusions du CNT ou de toute conférence nationale qui se fondent sur cette charte sont donc tributaires des décisions du président du CMT. Il a ainsi la haute main sur la transition et sur ce qui en sortira. Une telle charte ne peut aboutir à une transition apaisée, démocratique et inclusive. Sa mise en œuvre va générer la contestation et l’instabilité.
Jeunes affamés « prêts à l’emploi » pour jihadistes
Le peuple tchadien a été oublié dans la recherche de la stabilité au Sahel. Le Tchad est devenu un pays où tous les indicateurs socio-économiques sont au rouge ; il est classé parmi les derniers en Afrique. La corruption et l’impunité sont institutionnalisées. L’égalité des chances et d’opportunités entre les citoyens a disparu, la compétence apparaissant comme un délit. Les États qui voient le Tchad juste comme un pays de soldats capables de veiller sur leur sécurité à eux n’ont pas tort. Mais la grogne sociale commence à sourdre et l’implosion qui en découlerait aurait pour eux aussi des conséquences encore plus désastreuses.
Le boycott massif de l’élection présidentielle du 11 avril 2021 constitue en réalité un signe avant-coureur d’une lame de fond prête à ébranler les piliers déjà fragiles de notre pays. Une nouvelle dynamique de contestation est lancée depuis février 2021, se traduisant par des manifestations hebdomadaires, dont le pic a été atteint le 27 avril aussi bien en termes de mobilisation que de niveau de répression. La grande mobilisation de la diaspora tchadienne (Sénégal, USA, France, Canada, Angleterre, etc.) ne peut être réduite à de simples agissements d’activistes. Les Tchadiens espèrent, avec le décès du président Idriss Déby Itno, un vrai changement, surtout pour les jeunes, majoritairement analphabètes, démunis, affamés et « prêts à l’emploi » pour les mouvements armés, les mercenaires, les jihadistes, etc.
Risques de manipulation
Des pays du G5 Sahel à l’Union africaine en passant par la France et les Tchadiens dans leur majorité – de l’intérieur comme de la diaspora -, tous appellent à un dialogue « inclusif », « apaisé », pouvant aboutir à des « élections transparentes, libres et démocratiques ». Certes, les Tchadiens ont déjà connu plusieurs dialogues, qui n’ont pas été inclusifs et dont les décisions essentielles n’ont pas été mises en œuvre – ce qui les rend méfiants. Comme la conférence nationale souveraine de 1993, saluée par tous, ou plus récemment, en 2018 et 2020, les deux « conférences inclusives » destinées à revoir la Constitution et créer la quatrième République, mais auxquelles les partis d’opposition et la société civile n’avaient pas participé.
https://www.jeuneafrique.com/wp-content/themes/ja-3.0.x/assets/img/mondial2018/quote-article.png") left top no-repeat;">UN BUSINESS DE LA RÉBELLION S’EST INSTALLÉ DANS NOTRE PAYS. IL FAUT Y METTRE FIN
Le CMT peut bénéficier du soutien de tous, en modifiant immédiatement la « charte de transition de la République du Tchad » actuelle pour donner des chances à la conférence nationale inclusive de se tenir librement, et, donc, quitter la scène la tête haute à l’issue de ses travaux. Il devra veiller à assurer les libertés individuelles et publiques pour tous, y compris ceux qui ne partagent pas son point de vue. La répression violente n’est pas une solution. L’armée continuera à jouer son rôle en matière de sécurité. Elle a annoncé que le Front pour l’alternance et la concorde au Tchad ne représentait plus un danger non seulement au Kanem, mais sur l’ensemble du territoire national. Le CMT peut donc quitter la scène la tête haute à la fin de la conférence nationale inclusive.