Fatime Raymonde Habré. © DAKAR MATIN via YOUTUBE
Fatime Raymonde Habré est le premier soutien de son mari, condamné à la prison à perpétuité au Sénégal pour crimes contre l’humanité. Portrait d’une femme influente et volontiers offensive, qui continue de se battre pour son époux.
Idriss Déby Itno, la France et son mari. Sur ses sujets, Fatime Raymonde Habré est intarissable. La deuxième épouse d’Hissène Habré, condamné à la perpétuité pour des faits commis alors qu’il était à la tête du Tchad entre 1982 et 1990, a depuis longtemps fait sien le combat de son époux.
Ça a été le cas dès leur arrivée au Sénégal lorsque, chassé par les hommes d’Idriss Déby, Hissène Habré se réfugie à Dakar. Et ça l’est encore davantage depuis qu’il a été incarcéré (en juin 2013) puis condamné (en mai 2016) pour « crimes de guerre », « crimes contre l’humanité », « tortures » et « viols ». Aujourd’hui, c’est elle qui porte, devant les médias et auprès de ses avocats, la parole de son mari.
Ce 25 avril, devant les caméras du média sénégalais Dakar matin, elle revient longuement sur les conséquences, pour le Tchad et la sous-région, du décès d’Idriss Déby Itno, sans cacher sa joie de voir enfin mort celui qui provoqua la chute de son mari et qui fut sans doute, avec le Libyen Mouammar Kadhafi, son pire ennemi. Très en verve, Fatime Raymonde Habré poursuit en accusant le défunt – et une bonne partie de la classe politique sénégalaise – d’être des « pions » et des « valets » de la France, qui auraient ensemble comploté contre son époux.
Théorie du complot
« Comme d’habitude, elle a la bouche qui crache du feu », résume El Hadj Diouf. Lui-même réputé pour avoir le verbe haut, l’avocat sénégalais connaît bien Fatime Raymonde Habré pour l’avoir côtoyée pendant plusieurs années, alors qu’il défendait son époux. « Elle se dit sans doute que la meilleure des défenses, c’est l’attaque, poursuit l’avocat qui a aujourd’hui pris ses distances avec le couple. C’est sa stratégie : diaboliser les autorités et dire qu’elles sont inféodées à la France. Cette théorie du complot, selon laquelle le monde entier conspire contre son mari, c’est elle tout craché. Elle vit dans une sorte de psychose permanente. »
À l’aise devant les médias, prompte à lancer des piques à ses ennemis dès qu’elle en a l’occasion, cette juriste de formation est décrite comme intelligente et cultivée, et pas uniquement par ses proches. « Elle est aussi très informée et bien introduite, notamment auprès des rebelles tchadiens », assure le défenseur des droits humains, Reed Brody. Le « chasseur de dictateurs » américain est l’un de ceux qui ont porté le combat pour que Hissène Habré soit jugé et Fatime Raymonde Habré, qui l’a d’ailleurs surnommé « Reed Bloody » (Reed le Sanglant), lui voue une haine tenace.
Fatime Raymonde Habré et son époux n’ont jamais reconnu la légitimité du tribunal qui jugea et condamna l’ancien président. Tout au long de son procès, Hissène Habré s’est d’ailleurs muré dans le silence. Et si sa première épouse se rendait fréquemment aux audiences, Fatime Raymonde Habré n’y allait pour ainsi dire jamais. Du procès de son mari, qu’elle qualifia « d’inique », elle ne reconnut pas non plus le verdict. Et lorsqu’elle critiqua la justice sénégalaise, le garde des Sceaux d’alors, Sidiki Kaba, rétorqua qu’elle était tout simplement « une bonne épouse qui défend bien son mari ».
Aujourd’hui encore, l’ancienne Première dame se démène pour lui. En avril 2020, au début de la pandémie de Covid-19, elle lui avait ainsi obtenu, via ses avocats, une permission temporaire de deux mois pour raisons sanitaires. Surveillé 24 heures sur 24 par deux gardes, Hissène Habré avait pu quitter sa cellule pour résider chez ses deux épouses (à Ouakam et aux Almadies) et se rendre à des rendez-vous médicaux.
Une demande de permission réitérée en avril 2021, cette fois-ci sans succès. « Le président est âgé, malade, il évolue dans un environnement humide, près de la mer. Nous espérons qu’il pourra sortir pour se soigner », avait argumenté l’un de ses avocats, Ibrahima Diawara, avant que le juge d’application des peines ne décide que les risques médicaux qu’encourrait le prisonnier ne justifiaient pas une nouvelle permission.
En réaction à ce refus, les conseils de l’ancien président ont évoqué une « gestion médiatique de la demande de permission », dénoncé une « règle de droit à géométrie variable » et critiqué la justice sénégalaise, au motif qu’elle « étouffe un homme et ses droits les plus élémentaires, à savoir le droit à la santé ».
Les soutiens de la famille Habré
Si certains se sont élevés contre la possibilité d’une permission, y compris les Nations unies et des associations de victimes, d’autres ont fait entendre un point de vue différent. Parmi eux, Alioune Tine, incontournable militant des droits humains, qui s’est lui-même longtemps battu pour que Hissène Habré soit jugé. « Ce que je regarde, c’est le détenu et ses droits, pas le dictateur, explique-t-il à Jeune Afrique. C’est une personne vulnérable, il n’a pas encore été vacciné. Il a fait huit ans en prison, il est compréhensible qu’en période de Ramadan, on puisse lui permettre de rentrer chez lui. C’est presque une raison humanitaire ! »
Alioune Tine a pris position après avoir été saisi par Thierno Madani Tall, khalife de la famille omarienne. La précision n’a rien d’anecdotique parce que Hissène Habré, qui réside au Sénégal depuis plus de trente ans, compte au sein de la population sénégalaise des soutiens de poids, notamment religieux, mais aussi politiques ou médiatiques – qui lui ont permis de jouir de deux décennies de quiétude en tant que « réfugié politique » au Sénégal. Apprécié de la communauté lébou, généreux envers les confréries, l’ancien président est d’ailleurs longtemps parvenu à se faire oublier. À JA, Youssou Ndoye, chef coutumier de Ouakam et conseiller supérieur de la communauté lébou, avait même confié : « C’est le Bon Dieu qui nous a donné Hissène comme parent. »
https://www.jeuneafrique.com/wp-content/themes/ja-3.0.x/assets/img/mondial2018/quote-article.png") left top no-repeat;">ELLE EST CURIEUSE ET RUSÉE, ET ESSAIE TOUJOURS D’AVOIR DES CONTACTS AVEC LES GENS QUI POURRAIENT LUI ÊTRE UTILES POUR DÉFENDRE SON MARI
En 2012, le vent tourne avec l’arrivée de Macky Sall au pouvoir. Et depuis ? Fatime Raymonde Habré et son mari bénéficient-ils toujours de relais au Sénégal ? Si certains, à l’instar d’El Hadj Diouf, ont rompu toute relation avec le couple, d’autres continuent de les soutenir. L’ancien Premier ministre Abdoul Mbaye est de ceux-là.
En 1990, celui qui dirigeait alors la Compagnie bancaire de l’Afrique occidentale (CBAO) avait encaissé 250 millions de FCFA d’Hissène Habré. Une somme prélevée sur les quelque dix milliards de FCFA qu’il avait emportés avec lui dans sa fuite, dont une bonne partie avait été directement extraite des caisses de l’État tchadien.
Accusé d’avoir blanchi l’argent du dictateur, Abdoul Mbaye a pris ses distances avec la famille Habré. Il continue néanmoins de soutenir le mari (« un homme très sympathique », « un chef militaire qui a libéré son pays ») et son épouse (« une femme remarquable », à « l’intelligence vive »). « Certains parlent avec le cœur, avec l’émotion, explique le banquier. Elle parle avec sa tête. Il est très difficile de remettre en cause un argumentaire qu’elle vous présente. » Abdoul Mbaye s’avoue « séduit » par sa « loyauté, son combat pour son mari et pour le Tchad » et il l’assure : « C’est une combattante qui ne lâchera jamais son époux ». « Elle est curieuse et rusée, et elle essaie toujours d’avoir des contacts avec les gens qui pourraient lui être utiles pour défendre son mari », ajoute un juriste sénégalais qui a suivi de près le procès.
Des deux femmes d’Hissène Habré, c’est toujours elle qui a porté le combat publiquement. La première épouse est plus âgée, mais aussi plus discrète et plus réservée. Le débat, la joute verbale, c’est pour Fatime Raymonde Habré.
Emprise
Au détriment, assure aujourd’hui El Hadj Diouf, des intérêts de son propre époux. L’avocat, qui considérait l’ancien homme fort tchadien « comme son frère », a été son conseil pendant de longues années. C’est lui qui l’avait défendu lorsque le Sénégal avait menacé de l’expulser, d’abord vers la Belgique, puis vers le Nigeria, et qui lui avait permis de rester libre au Sénégal. Lui aussi qui s’était occupé de trouver des passeports diplomatiques à ses femmes (la première pour qu’elle puisse aller à la Mecque, la seconde se soigner en France) et à ses enfants.
https://www.jeuneafrique.com/wp-content/themes/ja-3.0.x/assets/img/mondial2018/quote-article.png") left top no-repeat;">IDRISS DÉBY VOULAIT « FAIRE LA PAIX » AVEC HISSÈNE HABRÉ
El Hadj Diouf est formel, c’est Fatime Raymonde qui a causé la rupture entre lui et Hissène Habré. Tout remonte à une rencontre avec Idriss Déby Itno lui-même, un ou deux ans avant le début du procès à Dakar. « À l’époque, raconte l’avocat, Idriss Déby avait demandé à me voir. Je m’étais rendu à son hôtel, au King Fahd Palace, et il m’avait proposé de venir à N’Djamena. » Le président tchadien, assure El Hadj Diouf, aurait pu être mis en cause pour les faits commis sous la présidence d’Habré – il avait été le chef des forces armées tchadiennes – et il voulait « faire la paix ».
« Vous n’auriez jamais dû rencontrer Déby, s’était alors exclamé Fatime Raymonde Habré. Tout le monde va dire que le président s’est agenouillé devant son successeur ! » « Lorsque je suis allé voir Hissène Habré à la prison du Cap manuel, il a refusé de me recevoir. Je suis sûr que c’est sa femme qui l’a monté contre moi. » Les deux hommes ne se sont plus revus.
L’avocat décrit une femme au caractère très fort, avec une emprise indéniable sur son époux. Souvent présente lors des réunions avec les avocats, n’hésitant pas à donner son avis sur la stratégie de la défense. À l’en croire, c’est aussi elle qui s’occupait des finances. « Elle prend toutes les décisions, elle gère toute sa vie, ajoute l’avocat. Le bourreau de Habré, c’est elle ! »