Les outils numériques peuvent être mis au service de la lutte contre la corruption de manière « simple et efficace ». C’est la conviction de Kamissa Camara, ministre malienne de l’Économie numérique, rencontrée par Jeune Afrique en marge du Forum de Bamako.
« Quelle Afrique à l’horizon 2040 ? ». Diplomates, chefs d’entreprises, représentants d’organisations internationales et responsables politiques se sont donné rendez-vous dans la capitale malienne pour tenter de répondre à cette question, lors du Forum de Bamako, qui se clôt ce samedi.
Organisé par Abdoullah Coulibaly – qui a également piloté le sommet Afrique-France en 2017 à Bamako – ce Forum est devenu en 20 ans un rendez-vous incontournable, aussi bien pour les investisseurs que pour les intellectuels de tous horizons.
Si les participants ont échangé sur les questions d’investissements, d’infrastructures ou encore de décentralisation, cette année, le Forum s’est en particulier penché sur l’apport des outils numériques pour la bonne gouvernance, sans pourtant oublié la crise sécuritaire qui frappe le Sahel. Et le Mali en particulier. « Nous sommes sensibles que vous soyez venus à Bamako, car venir dans notre pays aujourd’hui martyrisé et victime de l’indicible est devenu un acte de foi », a même lancé le président Ibrahim Boubacar Keïta, dans son discours d’ouverture, saluant la « pertinence » du forum en ces temps difficiles.
Présente au Forum, Kamissa Camara, ministre malienne de l’Économie numérique et de la prospective depuis mai 2019, après avoir été aux Affaires étrangères, revient pour Jeune Afrique sur le rôle que peut, ou que doit, jouer le numérique dans le développement.
Jeune Afrique : Votre ministère a organisé vendredi un « hackaton » sur le thème : « Quels outils numériques pour une administration malienne performante à l’horizon 2040 ». En quoi le numérique peut-il être utile, concrètement, pour lutter contre la corruption ?
Kamissa Camara : Cela peut se faire de manière très simple et rapide. Un exemple : en 2018, l’Agence des nouvelles technologies de l’information et de la communication a développé un logiciel de passation de marchés. Les entreprises qui veulent obtenir un marché soumissionnent via ce système, et c’est le logiciel qui fait la sélection de la meilleure offre, à la fois sur le plan technique et financier.
C’est un moyen évident de lutte contre la corruption qui peut intervenir dans les passations de marché. La meilleure preuve de son efficacité, d’ailleurs, c’est la réticence de certains à l’utiliser. Parce que cela semble être un frein à leurs intérêts…
Un autre exemple est le logiciel qui a été développé par le ministère de la Fonction publique pour recenser tous les agents de l’État. Il a permis de remettre entièrement à jour le registre de la fonction publique. C’est vraiment vers cela que nous voulons aller : mettre les outils numériques au service d’une meilleure administration.
Présenter le numérique comme une opportunité pour le Mali, ou même le continent, de combler son retard ne relève-t-il pas de la déclaration d’intention utopique ?
Non, ce n’est pas une utopie. D’ailleurs, la transformation numérique n’est pas un choix. Nous y allons, inexorablement. Mais, surtout, il faut que l’on s’approprie ces technologies, pour palier d’éventuels handicaps.
C’est ce que font, par exemple les gens qui ne savent ni lire ni écrire et qui, pourtant, utilisent l’application WhatsApp en envoyant des messages vocaux.
Dans cette perspective, n’est-il pas regrettable que le coût des télécommunications sur le continent, et en particulier au Mali, compte parmi les plus élevés au monde ?
C’est exact. Les coûts des télécommunications en Afrique, surtout subsaharienne, sont les plus élevés. Les opérateurs de téléphonie mobile mettent en avant le fait que les infrastructures de télécommunication coûtent très cher à installer et à entretenir, en particulier dans les pays enclavés, comme c’est le cas du Mali. C’est un élément d’explication.
Les coûts des télécommunications en Afrique, surtout subsaharienne, sont les plus élevés
Nous avons récemment fait une étude des différents marchés en Afrique de l’Ouest, qui montre qu’effectivement, dans les pays côtiers, les coûts sont moindre que dans les pays enclavés comme le Mali, le Tchad et le Niger.
Où en est aujourd’hui l’attribution de la licence à un quatrième opérateur de téléphonie mobile au Mali ? On parle beaucoup de la société algérienne Mobilis…
Je sais que c’est une question qui a fait couler beaucoup d’encre, et qui a, aussi, donné lieu à beaucoup de rumeurs. Pour le moment, aucune décision n’a été prise.
Qui sont les autres opérateurs en course pour la licence ?
C’est une information confidentielle. L’analyse des offres techniques s’est terminée en juin 2018. Nous avons récemment procédé à l’analyse des offres financières, en octobre 2019. Une commission indépendante a été mise en place pour analyser les différentes offres techniques et financières. Les conclusions ont été transmises aux autorités.
Cette ouverture du marché à un quatrième opérateur intervient alors même que les motifs d’insatisfactions se multiplient à l’égard des trois opérateurs déjà présents, qui font régulièrement l’objet d’amendes…
Nous avons souvent des problèmes de qualité du réseau, dont se charge l’Autorité de régulation. Le coût des communications est aussi une plainte récurrente. Sur ce plan, le seul moyen que l’État a à sa disposition, est d’amplifier la concurrence. Pour réduire les tarifs, il nous faut encourager les opérateurs à venir sur le même terrain.
Mais le marché malien est-il assez grand pour plus de trois opérateurs ?
Le nombre d’utilisateurs augmente tous les jours au Mali. Ce n’est pas un problème. Le problème qui pourrait se poser est plutôt d’ordre sécuritaire, et porte sur l’accès aux zones reculées. Cela pourrait, effectivement, avoir un impact sur la manière dont les opérateurs travaillent au Mali.
Les différents opérateurs sont en lien direct avec le ministère de la Sécurité, qui leur apporte son assistance lorsqu’il y a des risques. Mais nous sommes bien conscients que cela peut avoir un impact sur le coût des télécommunications.