Témoignages

 

1947

Joséphine Bakhita, la sainte africaine

Joséphine Bakhita, la sainte africaine
Joséphine Bakhita (1869-1947), ancienne esclave soudanaise devenue sainte, est encore peu connue en Occident, contrairement en Afrique. Raconter sa vie est captivant, tant son parcours terrestre est peu ordinaire, presque romanesque. Sa jeunesse est riche en événements peu communs, mais c'est la période où elle est religieuse qui est la plus importante. Son assez long parcours de 78 ans témoigne que cette humble Fille de la Charité fut un vrai témoin de l'amour de Dieu.
Hervé Roullet Auteur de la première biographie en français : Joséphine Bakhita, l’esclave devenue sainte

Hervé Roullet : Auteur de la première biographie en français :
Joséphine Bakhita, l’esclave devenue sainte
 
 
 
Le Soudan, un pays immense et mal connu. Le Soudan est un pays bien plus grand que la France ; troisième pays d'Afrique par son étendue, il fut le plus vaste jusqu’à l’indépendance du Sud-Soudan en 2011. La population comprend des Arabes et des Africains noirs. Les Soudanais bénéficient d'un magnifique pays et l’on comprend qu'en vivant au contact de telles beautés naturelles, les autochtones acquièrent l'intuition d'un Dieu créateur, d'un maître Tout-Puissant, ce qui a été le cas pour Joséphine qui, étant enfant, contemple le ciel nocturne d'une splendeur absolue. L'histoire du Soudan est riche et complexe. Vers le milieu du VIe siècle, c'est le début de l’évangélisation de la Nubie. La foi chrétienne se répand rapidement par une action missionnaire bien organisée. Mais en 1317, Dongola, la capitale de la Nubie chrétienne, tombe aux mains des musulmans. Cependant, le christianisme n’est pas vraiment anéanti. Une étincelle va jaillir dès le XVIIe siècle. Des franciscains italiens sont présents en Égypte, au Soudan ou en Éthiopie, pour amener des anciens esclaves à Rome, en vue de leur éducation. L'Église pénètre peu à peu, même si de nombreux expatriés, partis au Soudan pour évangéliser, meurent des persécutions ou de maladies tropicales.

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Bakhita, fille du Darfour.
Le Darfour, région de l’ouest du Soudan, est habité par des tribus non-arabes. Les ethnies sont soit islamisées depuis le XVIIe siècle, soit attachées à certains rites païens ancestraux, soit christianisées. Quand ils n’ont pas été réduits en esclavage, de nombreux aborigènes ont essaimé au loin pour subsister. Ils utilisent l'arabe comme langue officielle, langue religieuse et langue de l’enseignement, mais ils ont gardé leur culture propre. Bakhita (« la chanceuse », comme on la surnomma à partir de ses neuf ans ; le traumatisme de l’esclavage lui fit oublier son prénom originel) est née en 1869 à Olgossa, dans la montagne. Elle se souvenait bien de son village : des palmiers, des bananiers et d'énormes baobabs les protégeant contre les rayons du soleil ; des fleurs avec de grandes pétales aux couleurs vives. Autour, une vaste plaine. Sa famille est aisée et assez nombreuse : trois fils, une fille déjà mariée et mère d'un enfant et Bakhita elle-même. Son père est même le frère du chef du village. Le village de Bakhita est animiste. L'animisme attribue à tout objet une présence mystérieuse et puissante qui dépasse les hommes. Bakhita est imprégnée de cette ambiance mais, à cause de son jeune âge, elle n'a reçu aucune initiation religieuse. Elle dit cependant « n'avoir jamais adoré d'idoles », et qu'elle aurait beaucoup moins souffert si, pendant son long esclavage, elle avait connu le vrai Dieu.

Une enfance pleine de rudes épreuves.
En 1874, alors qu'elle n'a que cinq ans, sa sœur aînée est enlevée par des pillards qui ont aussi saccagé le village. En 1878, Bakhita, à l’âge d’environ neuf ans, est enlevée à son tour. Elle a pour destination Taweisha, centre de regroupement d’esclaves, situé à 180 km à vol d'oiseau de son village natal. Finalement, ils arrivent au marché des esclaves et sont introduits dans une pièce. Bakhita attend son tour avec sa consœur du nom de Binah. Un jour, elle s’enfuit avec Binah, mais elles sont reprises puis vendues à un marchand d'esclaves de passage qui les mènent, avec d’autres, à El Obeid, la capitale du Kordofan, centre caravanier sur la route menant du Tchad à la Mer Rouge. C'est alors que, comme au marché à bestiaux, le maître, maquignon pour humains, arrive, accompagné par le chef de la caravane, et son regard d'expert toise ces malheureux. Bakhita et Binah sont conduites chez le chef des Arabes. C'est un homme très riche, ayant déjà de nombreux esclaves, tous jeunes. Elles sont achetées et mises au service de ses deux filles. L'intention du maître est de les offrir à son fils, lorsqu'il se mariera. Ce dernier la traitera avec une telle brutalité qu’elle va rester près d'un mois sans pouvoir bouger. Trois mois plus tard, en 1879, alors qu'elle a dix ans, elle est vendue à nouveau, à un général de l'armée turque qui ne sera guère plus humain... C'est à cette époque que Bakhita subit les grandes douleurs de la torsion des seins et du tatouage.

Vers la lumière.
Puis Bakhita est rachetée par le consul d’Italie Callisto Legnani. Nous sommes en 1883. Ce n'est pas encore la liberté totale, mais une évolution radicale : « Je n'étais pas encore libre, mais les choses commençaient à changer : finis les fouets, les punitions, les insultes, bref, les dix ans de traitement inhumain. » Durant deux ans, Bakhita aide la femme de chambre, en vivant une vie normale et, en 1884, elle part pour l’Italie. Le consul Callisto Legnani « fait cadeau » de la jeune fille au couple Michieli (Augusto et Maria). Elle suit alors sa nouvelle « famille » à son domicile de Zianigo (hameau de Mirano Veneto, près de Venise) et, pendant trois ans, elle occupe la fonction de gouvernante. Elle découvre que les Italiens ne volent pas les enfants pour les vendre et les réduire en esclavage. Bakhita est non seulement correctement traitée, mais bien logée ; elle dispose d'une chambre spacieuse, avec des fleurs devant la fenêtre. Elle joue le rôle de nounou à l’égard de la fille des Michieli dénommée Mimmin
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La rencontre avec Jésus-Christ.
En 1887, Illuminato Checchini, un homme droit et au grand cœur, qui n'est autre que le gérant de Turina Michieli, lui donne un crucifix en argent. Bakhita se sent poussée à le dissimuler, de peur que Turina Michieli ne lui prenne. C’est la première chose qu’elle possède de toute sa vie. Illuminato intervient alors pour négocier l’entrée de Bakhita à l'Institut des catéchumènes et, le 29 juillet 1888, Bakhita et Alice y font leur entrée. La religieuse qui l’accueille questionne un peu Bakhita : « Voulez-vous connaître Dieu ? », et devant un oui enthousiaste et deux fois répété, sa formation va pourvoir commencer. Elle sera transportée par la vie de sainte Madeleine de Canossa, fondatrice des Filles de la Charité Canossiennes. Elle aussi veut s'occuper des pauvres, faire connaître Jésus-Christ...

La décision de sa vie.
Une fois revenue de son voyage à Suakin (Soudan, sur la Mer Rouge), Maria Turina vient tout naturellement récupérer Bakhita et Alice, en vue de repartir pour l'Afrique. Mais les choses ne se passent pas comme prévu, et Bakhita va montrer sa forte personnalité, dès lors qu'il s'agit de répondre à l'appel du Seigneur. Elle refuse de suivre Turina Michieli en Afrique ; elle explique elle-même les raisons de son attitude : « Je refusai de la suivre en Afrique, parce que je n’avais pas terminé la préparation au baptême. Je pensais aussi qu’une fois baptisée, je n’aurais pu, en aucun cas, y professer ma religion. Il me convenait donc de rester avec les religieuses. » Madame Michieli fait alors intervenir ses relations, et menace aussi les pauvres sœurs de se plaindre de leur attitude à la supérieure générale de la congrégation. C'est le Procureur du roi qui tranche définitivement le débat : « N'oubliez pas, Madame, que nous sommes ici en Italie où, Dieu merci, l'esclavage n'existe pas. Seule la jeune fille peut décider de son sort avec une liberté absolue. » Nous sommes le 29 novembre 1889, Bakhita est dans sa vingtième année et elle peut rester au Catéchuménat. C'est ce jour qui marque son affranchissement officiel et définitif.


Baptisée, puis religieuse.
Vers la fin de 1889, son instruction religieuse est achevée et, le 9 janvier 1890, Bakhita reçoit le baptême des mains de Mgr Domenico Agostini, cardinal-archevêque de Venise. Elle est également confirmée et communie pour la première fois. Elle s’appelle désormais Joséphine (Giuseppina, en fait, Gioseffa) du nom de sa marraine de baptême. Elle garde aussi les prénoms de Fortunata et Bakhita, et reçoit, en plus, celui de Marie (Maria) pour se mettre sous la protection de la Sainte Vierge. Revêtue du vêtement blanc de son baptême, elle fait d'ailleurs ce même jour sa consécration à Notre-Dame, et reçoit la médaille et le ruban bleu des Filles de Marie. Sa dévotion à la Sainte Vierge est grande : « La Sainte Vierge m'a protégée, même quand je ne la connaissais pas. Même au fond du découragement et de la tristesse, quand j'étais esclave, je n'ai jamais désespéré, parce que je sentais en moi une force mystérieuse qui me soutenait. » Peu à peu, grandit en elle le désir de devenir religieuse. Est-ce possible ? La Mère supérieure, Anna Previtali, ne s’y oppose pas : « Ni la couleur de la peau, ni la position sociale ne sont des obstacles pour devenir Sœur. » Le 7 décembre 1893, elle entre au noviciat, dans la maison des catéchumènes de Venise et, un an et demi après, le 21 juin 1895, le jour de la fête du Sacré-Cœur, c'est sa prise d'habit. Le 8 décembre 1896, à Vérone (Vénétie), elle prononce ses premiers vœux dans la maison même où la fondatrice, Madeleine de Canossa, a vécu. Elle reçoit aussi la médaille de Notre-Dame des douleurs.


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Les années de témoignage missionnaire.
En 1902, Joséphine est transférée de l'Institut des catéchumènes de Venise à la maison de Schio (au nord-est de Vérone). Contrairement à la première période de sa vie, les jours de Madre Moretta (mot à mot « la petite Mère noire »), comme beaucoup l'appellent désormais, s'écoulent au rythme de la prière et de la règle. D’abord étonnés, les habitants lui font vite un accueil cordial et s’attachent chaque jour davantage à elle, pour son sourire, son accueil et sa foi. Les enfants, par contre, ne se privent pas de taquiner cette religieuse différente des autres, parce que noire et, pour les apprivoiser, les enseignants n'hésitent pas à raconter son histoire peu commune, pour imposer le respect à son égard. Lorsqu'on lui demande de travailler comme aide-cuisinière, travail humble, elle s'engage à fond pour l'accomplir, avec joie et humilité. Elle agit avec une telle conscience et un tel amour, qu'une Sœur fera d'elle ce compliment qui en dit long : « Même à la cuisine, elle se comportait comme à l'église. » Elle est nommée cuisinière principale en 1907, ce qui témoigne de la qualité de son travail. En 1910, la Mère Fabretti fait écrire à Teresa Fabris l'histoire que Joséphine lui raconte. Lorsque la Première Guerre mondiale éclate en 1914, elle montre un dévouement extrême, car la maison est utilisée comme hôpital militaire.

Une portière peu banale.
Après la guerre, en 1922, Joséphine souffre d’une pneumonie, qu'elle parvient à surmonter, tout en gardant des séquelles. Une nouvelle fonction lui est alors attribuée : la conciergerie ; elle est portière, comme disent les Sœurs. Cette attribution est fort bien accueillie par les jeunes filles de l'école, ravies d'apercevoir la Sœur Moretta en arrivant. Elle fait merveille, grâce à sa simplicité et sa gentillesse. Le 1er août 1927, elle prononce ses vœux perpétuels dans la chapelle de la rue Mirano, à Venise. En 1930, Ida Zanolini s'entretient avec elle à Sant’Alvise, à la demande de la supérieure générale Maria Cipolla. Ida Zanolini écrit alors, à partir de ces entretiens, un livre qui fera référence sous le titre d'Histoire merveilleuse.


Missionnaire improvisée en tournée.
Avant la Seconde Guerre mondiale, à partir de 1933, la Mère supérieure envisage de sensibiliser les Italiens aux missions et désigne Mère Leopolda Benetti pour cette mission. Joséphine est alors pressentie pour l'accompagner. En 1935, commence pour elle une vie de fréquents déplacements. Plus tard, elle confiera que ce fut une grosse épreuve de se faire voir et de parler en public, pire encore, de monter sur la scène. Elle n'hésite pas à dire avec son humour habituel : « Ils veulent voir la belle bête ! » ; ou, quand on lui demande de faire la promotion du livre qui racontait sa vie pour obtenir quelques ventes : « Est-ce qu'il y a quelqu'un qui veut m'acheter pour quelques lires ? »


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La dernière étape.
La région de Vérone se trouve mêlée aux événements de la Seconde Guerre mondiale à partir de 1943. Joséphine incite les militaires à garder leur âme du péché. Ils écoutent ses exhortations avec révérence. Elle insiste sur la confession pour obtenir le pardon de Dieu. Cette triste période est marquée aussi, pour Joséphine, par une chute accidentelle, en 1942 ; désormais, il lui faut marcher avec une canne. Pour ses cinquante ans de vie religieuse, le 8 décembre 1943, une foule nombreuse veut lui manifester son affection. Quelque temps après son jubilé, sa santé décline encore. Elle a désormais besoin d'un fauteuil roulant. Elle dit un jour une parole sublime : « Je suis sur le Thabor, pas sur le Calvaire. » Autrement dit, la Croix de Jésus porte sa propre glorification, c'est la Croix glorieuse. Durant ces longues heures d'immobilité, elle prie beaucoup. Elle égrène si souvent son chapelet qu'une sœur lui demande : « Combien avez-vous récité de chapelets aujourd'hui ? » « Je ne sais pas, le Maître les compte, et la Sainte Vierge l'aide à les compter, parce que le chapelet appartient à Notre Dame. »

Comme elle médite sur la miséricorde et la justice divine, elle imagine une petite scène bien touchante : « Je m'en vais tout doucement vers l'éternité. Jésus est mon capitaine et moi, je suis son ordonnance. Je m'en vais avec deux valises. L'une contient mes péchés, l'autre, bien plus lourde, les mérites infinis de Jésus-Christ. Que ferai-je devant le tribunal de Dieu ? Je couvrirai ma vilaine valise avec les mérites de la Vierge Marie, puis j'ouvrirai l'autre, je présenterai les mérites de Jésus et je dirai au Père Éternel : « Maintenant, jugez selon ce que vous voyez. » Je suis bien certaine de n’être pas renvoyée ! » En décembre 1946, les troubles de santé laissent présager une fin prochaine. Mère Clotilde Sella se souvient : « (…) quand je lui rappelle que nous étions samedi, jour dédié à la sainte Vierge, Mère Joséphine s’exclame avec joie : Comme je suis heureuse... ! Madonna ! ... Madonna ! » Ce sont là ses dernières paroles intelligibles. Nous sommes le 8 février 1947.

Après sa mort.
Elle avait dit à plusieurs reprises que, quand elle serait morte, « elle ne ferait peur à personne ». En effet, après sa mort, tous les enfants s'approchent de son corps sans la moindre appréhension, car elle semble sourire à tous. Sans que cela ne constitue un critère de sainteté, les observations effectuées après sa mort ont émerveillé les témoins. Et pourtant son corps a beaucoup souffert : de la maladie bien sûr, mais aussi des maltraitances de sa jeunesse. Le mardi 11 février, l'archiprêtre de la cathédrale célèbre la messe dans l'église de l'Institut, puis le corps de Joséphine est conduit au cimetière de Schio dans le tombeau de la famille Gasparella, en signe de reconnaissance envers la défunte. Le 1er décembre 1978, Jean-Paul II signe le décret d’héroïcité de ses vertus et, le 17 mai 1992, il la déclare bienheureuse. Il a encore la joie, en 1995, de déclarer Joséphine Bakhita Patronne du Soudan, et surtout de la canoniser à Rome, le 1er octobre 2000. Elle est fêtée le 8 février, jour de son rappel à Dieu. Après sa mort, beaucoup de personnes demandent à Joséphine d'intervenir pour obtenir des grâces. Ils prient là où ils sont, ou devant la châsse où son corps est conservé, sous l'autel central de la chapelle de la sainte Famille à Schio.


S'il est vrai qu'après sa mort, elle a obtenu grâces et miracles, le miracle le plus grand, c'est peut-être elle-même : sa fidélité silencieuse et discrète, sa confiance sans bornes, qui se résume à cette phrase que l’on peut conserver comme mot d'ordre : « Comme veut le Maître. » Joséphine Bakhita est devenue la patronne des chrétiens opprimés.

Si nous n'avons pas changé beaucoup de choses dans le contenu de cet article, il y a malgré tout quelques photos récentes, avec le nouveau directeur du Pélican, le stagiaire qui y est affecté, et une photo prise dans une classe.

(lire la suite)

En réponse à la dernière lettre envoyée depuis le site, nous avons reçu ce message venant du Canada et que nous publions tel quel :

 

Rencontre | Journal d’une humaniste


Mardi 5 février 19 h

Sylvie Bergeron viendra présenter son récent livre Journal d'une humaniste (La Guaya, 2018) et racontera comment une missionnaire chrétienne, Cécilia Bergeron, sœur missionnaire Notre-Dame d’Afrique, a réussi à partager sa foi avec des musulmans, dans une Algérie endolorie par la montée de l'islamisme. Elle pose la question : est-ce qu'une religieuse peut être humaniste ?

Cécilia Bergeron a passé plus de 40 ans en Algérie. Arrivée en 1945, elle a traversé, avec les villageois, le dur combat de leur libération nationale dans un pays divisé. Après l’allégresse de l’indépendance, la République démocratique d’Algérie a connu des turbulences politico-militaires qui ont finalement détourné́ le peuple du pouvoir.

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La missionnaire catholique, devenue algérienne de cœur et humaniste d’esprit, est restée en ces terres meurtries, au péril de sa vie. Jusqu’à la décennie noire, elle a soutenu les Algériens, de la Kabylie au désert du Sahara, dans ce pays dont la triste issue fut l’exil pour des milliers de gens. Déchirée de devoir quitter à son tour son pays d’adoption, Cécilia, tante de l’auteure, est revenue au Québec. Elle y est devenue un véritable centre d’accueil pour de nombreuses familles algériennes qui ont pu réussir leur intégration en partie grâce à elle. Sœur Cécilia Bergeron, qui a vécu jusqu’à 100 ans, a œuvré auprès de ces musulmans sur la base de valeurs universelles grâce auxquelles peuvent s’exprimer les multiples visages de la spiritualité pour lier nos humanités.

Seront présents à la rencontre monsieur Ferid Chickhi, un Québécois d'adoption féru d'histoire, ainsi que monsieur Mohand Abdelli, ami de Cécilia.

Les Missionnaires d’Afrique célèbrent, cette année, 150 ans d’histoire. La société a été fondée en 1868 en Algérie. Cécilia Bergeron s’inscrit dans cette lignée d’hommes et de femmes muent par la volonté de rencontrer l’autre dans la pleine dignité de son humanité.

 

Comment une fille chassée par sa famille devient « bouc émissaire »

Dans ma dernière lettre, j'écrivais : « Depuis 2 ans, j’accueille des filles chahutées par la vie. Il s’agit soit de jeunes mamans célibataires, soit de jeunes filles enceintes chassées par leur famille dont l’auteur de la grossesse refuse sa responsabilité. Souvent, elles ne savent pas où aller. Parfois, elles se réfugient chez une tante maternelle ou chez la grand-mère maternelle, ou encore chez une amie. En effet, le plus souvent, elles sont victimes d'un interdit. » J'ajoutais : « Il existe un interdit chez les mossis, un interdit très vivant et « efficace ». Un interdit qui menace de mort les hommes d'une famille qui ne chasserait pas leur fille quand elle est enceinte sans avoir fait de mariage. Cet interdit est encore très respecté. »

Et voilà qu'une de ces filles, après avoir été victime de cet interdit, a été choisi comme bouc émissaire. Pour atténuée sa souffrance, cette jeune maman a voulu mettre par écrit ce qu'elle a vécu. Son message s'adresse à nous tous. Le voici. J'ai changé les prénoms, mais le titre est bien le titre original.

Histoire d'une vie !

« Je m'appelle Thérèse. J'ai trois sœurs qui s'appellent Rose, Nathalie et Albertine. J'ai perdu mes parents quand j'avais 8 ans. Actuellement, j'ai 23 ans.

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Après le décès de papa, nous sommes allés vivre chez son grand frère. A notre arrivée, mon oncle a fait construire une petite maison « entrée – coucher », c'est à dire d'une seule pièce. Sa femme nous insultait tout le temps, que nous sommes des orphelines mal éduquées. Même pour avoir « à bien manger », c'était difficile. Souvent, les gens qui nous connaissaient nous donnaient de l'argent. On l'utilisait pour le savon, la pommade, et pour acheter à manger, quand nous n'étions pas rassasiés. Ses enfants nous insultaient souvent : que nous sommes des mendiants. Nous n'allions plus à l'école, parce que nous n'avions personne pour payer notre scolarité. Moi, j'ai arrêté en 3°, Rose en terminale. Nathalie et Albertine, également en 3°. Aujourd'hui, nous ne savons pas si Rose trouvera quelqu'un pour payer sa scolarité. Moi, j'ai deux enfants, mais leurs pères ne me veulent pas comme épouse. Ils ne demandent même pas des nouvelles des enfants. Je souffre seule avec mes enfants. Souvent, je pense que c'est quelqu'un « qui m'a fait ça » pour que je ne réussisse pas, et pour gâté mon avenir. Je prie Dieu pour ça. A cause de ça le grand frère de mon père m'a chassée de sa cour, et je n'ai pas de tante à côté.

Je vivais chez ma grand-mère maternelle, à Koudougou. Un de ces enfants est mort . Ils se « sont levés » me chasser, disant que c'est parce que je dors chez ma grand-mère qu'il est décédé, alors qu'il ne vivait même pas à Koudougou.

J'ai été chassée par tout le monde, je ne sais plus où aller.

J'ai été obligé de louer un logement « entrée-coucher » à crédit, et je vis là bas avec mes deux enfants. Même pour avoir à manger, c'est un problème. Notre « maison » n'est pas loin de celle de grand-mère. Aussi, souvent ma grand-mère prépare la nourritue, et viens me donner à manger, pour moi et mes enfants.

Je me lève souvent pour me faire du mal, mais une voix me dit d'arrêter.

Je demande à celui qui peut m'aider avec un bon travail de m'aider pour que je puisse m'occuper de mes enfants, ou à celui qui peut m'aider avec de l'argent de m'aider.

Je demande à tous ceux qui prient de prier pour moi pour que toute cette souffrance prenne fin vite.

Si c'est quelqu'un qui a tué mon oncle, et ils ont mis la faute sur moi, que la vérité éclate. » (Fin de citation).

Pour bien comprendre ce témoignage, il faut savoir que chez les mossis, dès leur naissance, les filles sont appelées « sana » ce qui veut dire étrangère. Etrangère car elles sont appelées à se marier, et à quitter la famille. Mais c'est bien plus que cela… avec comme conséquence, entre autre, que lorsqu'une fille tombe enceinte hors mariage est la chassée (au sens propre) de la famille. Et, pour être sûr qu'elle soit chassée, les « coutumiers » ont ajouté un interdit, comme mentionné plus haut. De sorte qu'une fille chassée va se réfugier chez une tante maternelle ou chez la grand-mère maternelle. C'est bien ce que Thérèse a fait. Elle pensait être bien protégée. Et voilà qu'un fils de sa grand-mère, loin de Koudougou, est décédé. Ses frères, ne comprenant pas pourquoi leur frère est décédé, vont accuser Thérèse d'être responsable de la mort de son oncle. Elle est chassée à nouveau. Elle ne comprend pas ; elle est proche du désespoir le plus profond. Pouquoi moi ? Qu'ai-je fait ?

Son cas est peu fréquent, mais il est révélateur du mépris dans lequel se trouve ces filles chassées. Sa grand-mère, elle même ne comprend pas, et continue de lui manifester son amour. C'est un soulagement pour Thérèse, mais qui n'efface pas sa douleur.

Le cas de Thérèse est particulier. Sa douleur est extrème. Mais les filles mossies chassées par leur famille sont très nombreuses. Nous souhaitons pouvoir accompagner Thérèse, mais aussi ces filles qui viennent nous voir pour nous faire part de leur détresse. Après l'accouchement, l'accueil de la grand-mère ou de la tante ne suffit plus. Elles doivents subvenir à leurs besoins et aux besoins de leur enfant. Nous souhaitons pouvoir les aider à démarrer un commerce ou à commencer (ou à poursuivre) une formation professionnelle (couture, coiffure, tissage ou autres…). Nous avons besoins de votre appui.

Comme indiqué dans notre lettre précédente : Vous pouvez faire un virement sur notre compte bancaire dont voici le RIB

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Dans quelques jours, nous allons fêter Noël. Pour de nombreuses mamans célibataires, ne sera pas un jour de joie. Isolées, sans moyens, elles se sentirons exclues. Nous pensons rassembler plus de 50 jeunes mamans célibataires, pour fêter Noël. Nous souhaitons pouvoir organiser une tombola gratuite en faveur de ces mamans, avec des cadeaux allant d'un sac de 25 kg de riz… jusqu'à un kilo de sucre, en passant par quelques kilo de maïs, un pull-over pour enfant…

Cet appel s'adresse principalement aux burkinabè : Vous pouvez nous aider, et donc offrir un peu de joie en ce temps de Noël, via OrangeMoney ou Mobicah. Merci de contacter notre secrétariat.

Pour ceux qui sont en France et qui souhaiteraient faire un don avec reçu fiscal, c'est possible : là encore contacter notre secrétariat.

Cette rubrique paraîtra régulièrement sur nos sites

Koudougou la Belle et www.abcburkina.net

Koudougou, le 19 décembre 2018.


Maurice Oudet
Président du SEDELAN

Livre : les femmes d’émigrés ouest-africains confient leur solitude dans « De si longues nuits »

| Par

Les journalistes Aurélie Fontaine et Laeïla Adjovi sont parties à la rencontre de femmes qui, en Afrique de l’Ouest, attendent leurs époux émigrés. Elles ont choisi de rapporter dans un livre les portraits et témoignages de ces épouses ou fiancées esseulées.

L’émigration vécue par celles qui restent au pays dans l’attente du retour d’un fiancé ou d’un mari. C’est cette histoire que les journalistes Aurélie Fontaine et Laeïla Adjovi, basées à Dakar, ont choisi de relater, sous l’angle du photoreportage, dans « De si longues nuits ». Le duo s’est ainsi rendu à Louga, au Sénégal, mais aussi à Béguédo, au Burkina Faso, deux foyers de migrations en zones rurales, pour recueillir les témoignages de ces femmes qui attendent parfois dix, vingt ans, voire toute une vie. Leur quotidien y est rythmé par la solitude, l’espoir, les désillusions et la pression familiale.

Les journalistes ont également choisi d’aller à leur rencontre à Abidjan, capitale économique de la Côte d’Ivoire, où « les gens acceptent davantage une femme seule avec un ou deux enfants que dans les sociétés à domination musulmane », d’après l’analyse, recueillie par Aurélie Fontaine, d’un sociologue ivoirien.

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Mariée très jeune à un homme toujours absent, Ndeye Fatou (pseudonyme) a mis près de trente ans a obtenir le divorce. Louga, Sénégal, 2015. Crédit : Laeïla Adjovi.

 

C’est en 2010 qu’Aurélie Fontaine commence une série de reportages à Louga. « À cette époque, on ne parlait pas vraiment de ce phénomène, alors que c’est l’envers de la migration », se souvient la journaliste, qui a fait appel à Laeïla Adjovi pour accompagner les témoignages de portraits photographiques. Au fil des pages, ces portraits, réalisés à l’argentique et en noir et blanc, font terriblement écho à la parole, empreinte de dignité, de regrets, de colère ou de résilience, de ces femmes qui posent, sous couvert d’anonymat, un regard sur leur condition.

Photographie analogique pour illustrer l’attente

« Il fallait mettre en images le temps long. Le processus photographique analogique, en plus d’être artisanal et plus sophistiqué, permet d’exprimer l’attente de ces femmes », explique à Jeune Afrique Laeïla Adjovi. La plupart des intervenantes parlent sous couvert d’anonymat et refusent d’être reconnues, d’où des portraits de dos comme celui de la jeune Awa qui, à Louga, a attendu son mari pendant cinq ans. Ou, à Abidjan, celui de Danielle, 34 ans, mère de deux filles et épouse d’un benguiste (terme qui désigne un Ivoirien parti en Europe), de retour après s’être marié au Sénégal. Ce dernier refuse de lui accorder le divorce. « Ces femmes ne sont pas fières de parler de leur misère sociale et affective. Il y a une certaine gêne et une forme de pudeur que nous voulions respecter. L’idée n’était pas de les secouer dans leurs certitudes. »

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Danielle (pseudonyme), 34 ans, n’était pas vraiment pour que son mari aille vivre à l’étranger, Mariée à 18 ans à un médecin qui gagnait plutôt bien sa vie, elle s’est laissée convaincre quand il lui a expliqué qu’il aurait de meilleurs revenus en exerçant ailleurs, et que c’était « pour mettre les enfants dans de bonnes écoles ». Abidjan, Côte d’Ivoire, 2015. Crédit : Laeïla Adjovi.

 

À Louga, Mariam, mariée contre son gré à un émigré, raconte être tombée enceinte d’un autre, au bout de trois ans d’attente, afin que son mari la répudie. À Béguédo, petite ville appelée « Little Italy » – du fait des milliers d’hommes de la région, appelés « Italiens », ayant migré au cours des années 2000 – , Alimata, 26 ans, n’a passé que six mois de sa vie avec son époux en sept ans de mariage. Autant de regards douloureux sur des existences parfois brisées. Aurélie Fontaine envisage prochainement d’aller présenter l’ouvrage à Louga, là où tout a commencé. « Une façon de continuer le travail et d’engager des discussions », précise-t-elle.

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Au Burkina Faso, la petite ville de Béguédo est parfois appelée ‘Little Italy’. Au fil des années, des milliers d’hommes de l’ethnie Bissa, majoritaire dans cette région, ont migré en Italie. Le retour périodique des « Italiens » suscite l’engouement des jeunes filles. Béguédo, Burkina Faso, 2015. Crédit : Laeïla Adjovi.

 

De si longues nuits – La solitude des épouses d’émigrés en Afrique de l’Ouest
Textes d’Aurélie Fontaine
Photographies de Laeïla Adjovi
L’Harmattan, mai 2018, 98 pages.
12,50 euros

Sous-catégories

Les informations sur nos maisons de formation datent de quelques années, et nous avons demandé aux responsables de ces maisons de nous donner des nouvelles plus récentes.
La première réponse reçue vient de Samagan, le noviciat près de Bobo-Dioulasso (lire la suite)

 

La deuxième réponse nous a été donnée par la "Maison Lavigerie", notre maison de formation à la périphérie de Ouagadougou, où les candidats ont leurs trois premières années de formation (lire la suite)