Selon l’OMS, le nombre de décès dus au paludisme, maladie parasitaire responsable de près d’un demi-million de morts chaque année, pourrait doubler en 2020 à cause du coronavirus.
Alors que le Covid-19 a déjà fait près de 1 300 morts sur le continent africain, la pandémie pourrait faire bien plus de victimes collatérales. Dans un communiqué du 23 avril, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) s’inquiète d’une recrudescence des cas de paludisme en Afrique subsaharienne, qui concentre 93 % des personnes infectées dans le monde. Selon l’agence onusienne, les perturbations des campagnes de distribution de moustiquaires imprégnées d’insecticide et la difficulté d’accès aux médicaments antipaludéens pourraient entraîner un doublement du nombre de décès dus au paludisme en Afrique subsaharienne cette année par rapport à 2018.
Depuis 2000, les efforts des acteurs de la communauté internationale ont permis de sauver 1 million de vies et prévenir plus de 1 milliard de nouvelles infections. Mais avec l’apparition du coronavirus, 769 000 personnes pourraient, dans le pire scénario, succomber à la malaria cette année. Soit un retour à des taux de mortalité observés pour la dernière fois il y a vingt ans.
À quelques semaines du début de la saison des pluies, lors de laquelle le risque de transmission est plus élevé en raison de l’augmentation du nombre de moustiques, nul ne sait combien de pays décideront de poursuivre leurs campagnes de distribution de matériels. « Le personnel médical est focalisé sur la pandémie de Covid-19 aux dépens de la lutte antipaludique, regrette le Dr Abdourahmane Diallo, directeur général du Partenariat RBM, la plateforme mondiale ‘pour en finir avec le paludisme’. Or il s’agit d’une maladie incurable qui tue chaque année des centaines de milliers de personnes depuis des siècles et des siècles ».
Les professionnels de santé redoutent par ailleurs l’impact du coronavirus sur des systèmes de santé déjà affaiblis. En Afrique, plus de la moitié de la population ne bénéficie pas d’une couverture des soins les plus essentiels, selon les données de l’ONG Oxfam. Le continent ne se porte pas mieux au regard des moyens humains, avec moins de 1 médecin pour 10 000 personnes dans la région du Sahel.
7 000 décès d’enfants supplémentaires
Entre 2014 et 2016, l’émergence de la maladie à virus Ebola dans des pays impaludés, notamment la Guinée, le Liberia et la Sierra Leone, avait porté un coup dur aux efforts de lutte contre le paludisme. « L’épidémie avait mis le système de santé de ces pays à terre. Cette fois encore, il y aura un impact sur la prise en charge des patients atteints de paludisme, car le personnel soignant sera mobilisé ailleurs, explique Marc Thellier, responsable du Centre national de référence du paludisme (CNRpalu) français à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris. Sans compter le nombre de personnes qui redoutent de se faire dépister à cause des risques de transmission », ajoute-t-il.
Rien qu’en Guinée, lorsque sévissait Ebola (entre 2014 et 2016), on a observé dans les établissements de santé 74 000 cas de paludisme en moins par rapport aux années précédentes parce que les patients infectés étaient moins nombreux à venir chercher des soins appropriés et que le volume de traitements antipaludiques dispensés avait diminué, selon une étude publiée dans la revue médicale britannique hebdomadaire Lancet. Plus alarmant encore, 7 000 décès supplémentaires d’enfants de moins de 5 ans – le groupe le plus vulnérable face à la maladie, avec deux tiers des décès – ont été constatés dans les trois pays les plus touchés par Ebola.
À l’époque ministre de la Santé de la Guinée, le Dr Diallo craint qu’une telle situation ne se reproduise avec la progression du Covid-19 : « Les États ne donnent pas tous les mêmes recommandations. Certains ont mis en place des mesures restrictives qui peuvent aussi dissuader les personnes fébriles de consulter. » Le spécialiste insiste sur la nécessité d’une approche régionale pour contrôler une maladie « qui ne connaît pas de frontières ».
Financement « en déclin »
L’Afrique est, de loin, le continent le plus touché par le paludisme. En 2018, six de ses pays ont enregistré à eux seuls plus de la moitié des cas de la planète : le Nigeria (25%), la RDC (12%), l’Ouganda (5%), la Côte d’Ivoire, le Mozambique et le Niger (4% chacun).
Si la mortalité liée à la maladie a chuté de 60 % entre 2000 et 2015, les progrès stagnent désormais. Pis encore, le paludisme repart parfois à la hausse dans certains pays. Entre juin et août 2019, l’Ouganda recensait 1,4 million de cas, soit 40 % de plus que l’année précédente à la même époque. « Nous sommes à un croisement. Si nous relâchons nos efforts, le paludisme va revenir de plus belle », avertissait déjà le milliardaire américain Bill Gates lors d’un sommet consacré à la malaria à Londres, en 2018. Le directeur général de l’OMS, l’Éthiopien Tedros Adhanom Ghebreyesus, dont le frère a succombé à la maladie, déclarait pour sa part qu’« un nouvel élan » était nécessaire, regrettant un financement « en déclin ».
Le dernier rapport de l’OMS souligne en effet le manque d’effort financier en vue de l’éradication de la maladie. Alors que celui-ci était de 3,2 milliards de dollars en 2017, la dotation des gouvernements des pays endémiques et des partenaires internationaux s’est abaissée à 2,7 milliards de dollars l’année suivante. Selon les estimations du Partenariat RBM, 2 milliards de dollars supplémentaires sont nécessaires. « L’argent est le nerf de la guerre pour contrôler la maladie. Or les moyens nécessaires régressent », alerte le Dr Thellier. Des données inquiétantes, d’autant que les moustiques responsables de la malaria sont de plus en plus résistants aux antipaludiques et aux insecticides.
Face à cette menace constante, un projet-pilote de vaccination contre le paludisme a été lancé au Malawi, au Kenya et au Ghana entre avril et septembre 2019. Un « outil prometteur » qui, même s’il n’a pas encore fait ses preuves, pourrait « sauver la vie de dizaines de milliers d’enfants », selon l’OMS.