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Allègement des conditions de liberté de Gbagbo et Blé Goudé: leurs partisans pleins d’espoir

L'ancien président ivoirien Laurent Gbagbo, le 6 février 2020, devant la Cour pénale internationale.
L'ancien président ivoirien Laurent Gbagbo, le 6 février 2020, devant la Cour pénale internationale. AFP/Jerry Lampen

L'ancien président de la Côte d'Ivoire et son ex-ministre de la Jeunesse sont désormais libres de leurs mouvements. La décision a été prise, jeudi 28 mai, par la Cour pénale internationale (CPI), en attendant leur procès en appel pour crimes contre l'humanité. Une décision qui suscite beaucoup d'espoir chez les partisans des deux hommes, à cinq mois de la présidentielle ivoirienne.

L'ancien président de la Côte d'Ivoire, Laurent Gbagbo, est donc autorisé à quitter la Belgique, où il est assigné à résidence depuis janvier 2019. Même chose pour son ancien ministre de la Jeunesse, Charles Blé Goudé, actuellement aux Pays-Bas. La Cour pénale internationale a assoupli les conditions de mise en liberté des deux hommes. Ils n'ont plus l'obligation de remettre leurs passeports à la CPI. Une décision prise en attendant leur procès en appel pour crimes contre l'humanité, commis lors de la crise ivoirienne de 2010-2011.

Cet assouplissement des restrictions à la liberté conditionnelle de Laurent Gbagbo réjouit Laurent Akoun, le vice-président du FPI pro-Gbagbo : « On se faisait une immense joie qu’il puisse aller et venir là où il est et puis jusqu’à ce qu’il rentre chez nous. Ce que nous attendons, c’est son retour, nous espérons toujours. On va aviser cela avec les autorités, elles seront approchées par les canaux officiels ».

Une décision d’allègement à laquelle Laurent Akoun ne croyait plus : « Nous avions même perdu espoir, parce que sans être juristes, du point du vue du droit strict, on ne peut pas être acquitté et être sous condition. Nous, on a hâte. C’est bien, on avance ».

« Leur présence sera la bienvenue »

Les proches et partisans de Laurent Gbagbo se disent donc satisfaits de cette décision de la CPI. Satisfaction également du Cojep, le Congrès panafricain pour la justice et l'égalité des peuples, le parti de Charles Blé Goudé. Son secrétaire général, Patrice Saraka, attend désormais un retour des deux hommes politiques.

« C’est quelque chose qu’on attendait depuis longtemps et lorsque ces restrictions avaient été posées, cela n’a pas été très bien perçu. Donc, pour nous, c’est l’ordre normal des choses, ditPatrice Saraka. On s’attendait à cela, on le souhaitait, on s’en réjouit. Les présidents Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé sont attendus en Côte d’Ivoire depuis très longtemps par l’ensemble des Ivoiriens, toutes tendances politiques confondues, parce que en réalité, tous ces Ivoiriens ont besoin de paix, de réconciliation et nous savons tous que Charles Blé Goudé et le président Laurent Gbagbo sont des acteurs de paix et de réconciliation. La Côte d’Ivoire en a le plus besoin, leur présence sera la bienvenue. Je pense que les autorités ivoiriennes ont très bien conscience que la Côte d’Ivoire aujourd’hui a besoin de rassemblement, elle a besoin d’unité, elle a besoin de réconciliation et qu’elle ne pourrait pas aller contre la volonté de la grande majorité des Ivoiriens, y compris même des certains acteurs du pouvoir. »

Les deux hommes peuvent désormais aller vivre dans un des 123 États parties au statut de Rome et donc en Côte d’Ivoire, à condition toutefois que les autorités du pays acceptent de les accueillir.

Une nouvelle donne en vue la présidentielle ?

Cette décision de la Cour tombe quelques jours après le lancement de la campagne d’inscription sur les listes électorales par les inconditionnels de Laurent Gbagbo. Ce sont pourtant ces derniers qui avaient créé une branche dissidente au sein du FPI et qui boudaient toutes les élections tant que leur chef n’était pas de retour au pays.  Ils appellent désormais leurs militants à voter pour la présidentielle d’octobre prochain, informe notre correspondant à Abidjan, Sidy Yansané. C’est un pas de plus vers une possible réunification du parti. Cet après-midi, c’est le parti de Charles Blé Goudé, le Cojep, qui se réunit, mais son secrétaire général, Dr Patrice Saraka, a déjà déclaré que la décision de la CPI « n’est que justice. »

De son côté, Henri Konan Bédié du PDCI annonce sa « grande joie », car cette nouvelle va aussi permettre de renforcer l’alliance inédite qu’il a conclue l’été dernier avec Laurent Gbagbo, son historique adversaire politique. Une alliance, justement, en vue de la présidentielle, qui repose avant tout sur l’idée de la réconciliation nationale.

Braquage de la BCEAO…

Ça fait partie des conditions de la CPI : il faut que le pays d’accueil reconnaisse la compétence de la Cour, et accepte la demande. C’est le cas de la Côte d’Ivoire.

Les sympathisants de Gbagbo ont d’ailleurs tenu un point presse ce vendredi 29 mai et appelé le président Alassane Ouattara « à saisir une opportunité historique », à savoir celle d’accélérer la réconciliation nationale.

Le Dr Patrice Saraka du Cojep estime que Charles Blé Goudé « n’appartient pas à deux pays, et ne peut que rentrer chez lui ».

Mais en Côte d’Ivoire, la justice attend également les deux hommes politiques pour deux affaires dans lesquelles ils ont chacun été condamnés à 20 ans de prison. Celle dite du « braquage de la Banque BCEAO » pour Laurent Gbagbo, et une condamnation pour actes de torture, homicides volontaires et viol pour Charles Blé Goudé.

 
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Mali: le retour de l’armée malienne à Kidal encore freiné

Une rue de Kidal (image d'illustration).
Une rue de Kidal (image d'illustration). KENZO TRIBOUILLARD / AFP

Au Mali, le bataillon reconstitué de Kidal n’a toujours pas atteint cette ville, fief de l’ex-rébellion. Ses soldats ont pourtant pris la route il y une dizaine de jours avant de rebrousser chemin, bloqués par la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA). En janvier, le retour de l’armée malienne à Kidal avait pourtant été entériné par les deux parties sous l’égide de la communauté internationale. Ce blocage est l’un des derniers points de désaccord entre la CMA et le gouvernement du Mali.

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Avec notre correspondante à Bamako, Coralie Pierret

Ces dernières semaines, un certain nombre de décisions prises à Kidal, le fief de l’ex-rébellion, ont contrarié à Bamako. Il y a d’abord la question du bataillon de l’armée reconstituée, celui qui devait renforcer les effectifs déjà sur place depuis le 13 février. Dans une lettre envoyée à la Minusma en mai, les ex-rebelles affirment que les règles de répartitions ne sont pas respectées et que la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) est sous-représentée.

Rebrousser chemin

Parti de Gao vers Kidal, ce bataillon a dû rebrousser chemin. Son déploiement n’a pas encore été programmé, apprend-t-on dans le compte rendu du dernier comité de suivi de l’accord de paix.

Il y a ensuite le renvoi de la ville par la CMA du directeur général de la Santé et de médecins, la délivrance d’autorisation de déplacement d’un site d’orpaillage. Aussi et surtout la grâce accordée par Bilal Ag Acherif, le président de la CMA à 21 prisonniers.

« Maîtres des lieux »

Or, « la grâce est une prérogative présidentielle » rappelle un diplomate à Bamako. « Nous sommes les maîtres des lieux. L’État est absent depuis 2012, nous essayons de maintenir des services en terme de sécurité, de santé, de justice pour les populations » justifie Mohamed Ould Mahmoud l’un des porte-parole de la CMA. 

À lire aussi : Mali: la campagne anticorruption lancée par la justice tourne-t-elle au ralenti ?

 
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Mauritanie : Habib Ould Brahim Diah, l’homme qui piste l’ex-président Aziz

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Le président de la Commission d'enquête parlementaire, Habib Ould Brahim Diah, le 26 mai 2020.

Censé passer au crible la gestion de Mohamed Ould Abdelaziz, le président de la Commission d’enquête parlementaire Habib Ould Brahim Diah va devoir trouver le juste milieu entre transparence et chasse aux sorcières.

Peu de Mauritaniens connaissent Habib Ould Brahim Diah, 67 ans, député du département du Mongel (wilaya du Gorgol). L’homme est discret, et même « introverti », selon un haut fonctionnaire de ses connaissances. Pas du genre à faire des effets de boubou et de longs discours. S’il apparaît sur le devant de la scène depuis le 31 janvier, c’est qu’il a été choisi pour présider la Commission d’enquête parlementaire (CEP) qui doit faire la lumière sur la gestion de l’ex-président Mohamed Ould Abdelaziz durant ses dix ans de pouvoir.

La commission a été créée à la demande des partis d’opposition, l’Union des forces progressistes (UFP) et le Rassemblement des forces démocratiques (RFD), et finalement acceptée par le parti majoritaire, l’Union pour la République (UPR) qui s’en est adjugé la présidence en la confiant à Habib Diah, leader de son groupe parlementaire. Fin juillet, elle devra présenter un rapport sur ce qu’elle aura trouvé d’incongru en épluchant les comptes et les marchés des sociétés publiques en matière de pêche, de mines, de routes, de ports, d’aéroport ou d’énergie solaire.

Paris ouverts

Ira-t-elle jusqu’au bout de cette démarche ? Nombreux sont ceux qui se demandent si son président, proche de l’ancien chef de l’État et ami du nouveau dirigeant du pays, Mohamed Ould Ghazouani, aura le courage de lui faire émettre un avis défavorable, voire accusateur. Au vu de la carrière et de la personnalité de Diah, les paris sont ouverts.

Originaire de la vallée « du Fleuve » Sénégal, le sexagénaire fait partie de la tribu guerrière des Ewlad Abdalla, répartie entre les régions du Gorgol et du Brakna. Son oncle maternel, Dah Ould Sidi Haiba Ould Teiss, était président de l’Assemblée nationale du temps du premier président de la Mauritanie, Moktar Ould Daddah. Le jeune Diah a étudié le droit public à Orléans, en France, dont il revient pour s’investir dans les finances publiques. Il décroche le poste de trésorier régional de Nouadhibou.

Il a été très actif dans le coup d’État contre le président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, qui a porté au pouvoir le général Abdelaziz en 2008

Le droit lui ouvrira aussi les portes des organisations chargées de la valorisation du fleuve Sénégal. Diah bifurque ensuite vers le métier d’avocat d’affaires. Mais la politique l’intéresse. Aussi, il adhère d’abord au Parti républicain démocratique et social (PRDS), qui soutient le président Maaouiya Ould Taya. À la chute de celui-ci, en 2005, il rejoint l’UFP. Il changera encore de parti par la suite, nomadisme fréquent chez les élites politiques mauritaniennes.

« Il est très actif dans le coup d’État qui dépose le président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi et qui porte au pouvoir le général Abdelaziz en 2008 », raconte un membre de l’opposition. Diah quitte alors l’UFP pour l’UPR, créée par Abdelaziz. Trois mandats de député plus tard, il déserte le camp du général lorsque celui-ci laisse la présidence de la Mauritanie à Ghazouani le 1er août 2019, et tente dans le même temps de reprendre la tête du parti majoritaire. Diah est à la tête des 88 députés UPR sur 102 qui refusent ce come-back et qui font allégeance à Ghazouani.

« Abdelaziz a marqué l’histoire de ce pays, déclare-t-il alors. De 2009 à 2019, il a fait de très grandes réalisations et nous lui en sommes reconnaissants. Maintenant, Mohamed Ould Ghazouani est le président élu. Il a son programme et nous le soutenons. » Abdelaziz est blackboulé.

Un homme de qualité

Quel type d’homme est donc Habib Ould Brahim Diah ? « Sérieux et méthodique », juge l’un de ses confrères du barreau. « Très calme, jamais agressif, un peu dans le style de Ghazouani, dont il est l’ami depuis longtemps, renchérit un observateur. Son fils est le médecin personnel du président. » « Il n’est pas méchant, mais il ira jusqu’au bout de sa mission, estime Lô Gourmo Abdoul, vice-président de l’UFP (opposition). Il est précautionneux, méthodique et n’a pas voulu que la Commission recoure aux services de cabinets d’experts nationaux par souci d’objectivité. » Selon les informations de Jeune Afrique, c’est le parisien Taylor Wessing qui accompagnera la CEP sur les aspects juridiques de ses travaux..

Ghazouani laissera-t-il la commission et son ami Diah mettre en cause Abdelaziz pour malversations ou gabegie ?

Mohamed Jemil Ould Mansour, ancien président du parti d’inspiration islamiste Tawassoul (opposition), a siégé pendant sept ans aux côtés de Diah au Parlement. Lui aussi l’apprécie : « C’est un homme de confiance, quelqu’un de discret. Il dirige la commission de façon convenable. La création de cette instance est une décision importante dans l’histoire de notre Parlement. Faire une enquête sur des dossiers issus des dix ans de gestion d’Abdelaziz n’est pas facile parce que des éléments du régime de l’ancien président sont toujours en place. »

Ghazouani laissera-t-il la commission et son ami Diah mettre en cause Abdelaziz pour malversations ou gabegie ? « Le président a dit qu’il la laissera faire son travail, répond Mansour, mais nous sommes dans un pays du tiers-monde, où le pouvoir peut orienter les travaux pour qu’ils ne dépassent pas certaines limites. »

Lesquelles ? « Si la commission conduit une enquête dans les règles, répond le même, beaucoup de noms vont être mis sur la table. Ce sera alors difficile d’aller loin dans les mises en accusation qui, de toute façon, seront de la compétence de l’Assemblée nationale en séance plénière au vu du rapport que lui rendra la commission. Celle-ci est notre première commission d’enquête et la Mauritanie a besoin de son travail. »

Coup de balai ou apaisement ?

Habib Ould Brahim Diah va donc devoir zigzaguer d’une part entre la forte demande populaire d’une totale transparence, voire d’un coup de balai dans le personnel politique et chez les patrons bénéficiaires de complaisances supposées, et d’autre part le désir évident du chef de l’État d’apaiser le climat politique en Mauritanie et d’éviter une chasse aux sorcières.

Sous la présidence de Nelson Mandela, l’Afrique du Sud s’était dotée d’une Commission de la Vérité et de la Réconciliation en 1995 pour en finir avec les séquelles de l’apartheid. Une bonne partie des Mauritaniens préféreraient que les travaux de leur Commission d’enquête privilégient la vérité et débouchent sur des condamnations. De son côté, Ghazouani suggérera assurément à Diah d’essayer ne pas nuire à la réconciliation. Il lui faudra rigueur, diplomatie et un brin de baraka pour parvenir à marier ces deux injonctions contradictoires.

 
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Idriss Déby Itno face à Abubakar Shekau : duel sans fin sur les rives du lac Tchad

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Le président tchadien Idriss Déby Itno et le chef de Boko Haram, Abubakar Shekau

Depuis cinq ans, le chef de Boko Haram défie le président Idriss Déby Itno. Attaquée le 23 mars à Bohoma, l’armée tchadienne entend bien laver l’affront et a lancé une vaste offensive sur le nord du lac Tchad.

On l’a dit fou, excentrique, mort même. Pourtant, à la fin du mois de mars, lorsque Abubakar Shekau enregistre un message qui sera diffusé le 1er avril, le leader historique de Boko Haram est toujours menaçant. S’adressant en haoussa à Idriss Déby Itno, le Nigérian met en garde le président tchadien, l’estimant incapable de « combattre ceux qui ont choisi de se battre pour le jihad ». « Il fanfaronne », commentera auprès de JA un haut responsable à N’Djamena.

Au même moment, l’armée tchadienne lançait une offensive de grande envergure sur le nord du lac Tchad. Objectif : anéantir les jihadistes et laver l’affront de l’attaque du 23 mars à Bohoma, dans laquelle au moins 98 soldats tchadiens ont été tués. Martial, Idriss Déby Itno a endossé ses habits de chef de guerre.

« Seul face à Boko Haram »

Ses cibles : les combattants de Boko Haram, aujourd’hui affiliés à l’État islamique et divisés en deux groupes dans la région du Lac. Le premier, et le plus important en nombre, est mené par Abou Abdullah Ibn Umar al-Barnaoui et opère sous le nom d’État islamique en Afrique de l’Ouest (Iswap).

Le second, qui a aussi prêté allégeance à l’EI mais refuse de se soumettre à Barnaoui, se fait appeler Jama’tu Ahlis Sunna Lidda’awati wal-Jihad (JAS). Il est mené par Ibrahim Bakoura, un vétéran de Boko Haram dont les hommes occupent des territoires aux alentours de Nguigmi (Niger) et mènent des attaques dans toute la zone du Lac.

Capture d’écran d’une vidéo de propagande de Boko Haram datant de 2014.

Invectiver les présidents de la région permet à Shekau de rester sur le devant de la scène.

Déclaré mort par l’armée nigérienne en février, Bakoura pourrait en réalité avoir survécu – une de nos sources fait état d’une preuve de vie en mars. Fidèle de Shekau, qu’il a choisi de suivre au détriment de Barnaoui, il aurait lui-même planifié l’attaque sur Bohoma qui a provoqué l’ire d’Idriss Déby Itno.

Lorsque ce dernier vient passer ses troupes en revue, à la fin de mars, aux confins du lac, c’est bien Shekau, replié dans la forêt nigériane de Sambisa, et son bras armé, Ibrahim Bakoura, qui occupent ses pensées. Le Tchadien est agacé. Environ 6 000 de ses soldats sont engagés contre Boko Haram, dont 3 000 au sein de la Force multinationale mixte, qui regroupe le Nigeria, le Niger, le Cameroun et le Tchad. Mais il fustige le manque d’implication d’Abuja et de Niamey. « Le Tchad est seul face à Boko Haram », déplore-t-il.

Stratégies de communication

Le président tchadien Idriss Déby Itno, lors de l'opération "Colère de Bomo", fin mars 2020.

Idriss Déby Itno n’aime rien tant que revêtir son habit de chef de guerre

A-t-il encore en tête le cri qu’Abubakar Shekau a lancé en janvier 2015 : « Idriss Déby, je vous défie ! » ? Le président avait répondu deux mois plus tard : « Nous allons anéantir Boko Haram ! » Cinq ans plus tard, le voilà dans la même situation.

Le 4 avril, il félicitait ses « forces de défense et de sécurité », « qui ont nettoyé toute la zone insulaire ». « Déby Itno n’aime rien tant que revêtir son habit de chef de guerre. Il s’en sert à merveille diplomatiquement, notamment dans sa relation avec la France, et politiquement, en tablant sur une union sacrée derrière lui », analyse un spécialiste de la zone, qui rappelle que la présidentielle tchadienne doit se tenir en 2021.

« Il préfère que les Tchadiens aient le regard tourné vers l’ennemi de l’extérieur plutôt que sur les crises internes. Quant à Shekau, invectiver les présidents de la région fait partie d’une stratégie de communication qui lui permet de rester sur le devant de la scène », ajoute un diplomate sahélien. Le match pourrait donc encore durer. « Boko Haram a une résilience extraordinaire », reconnaissait le président dans nos colonnes en novembre 2019. Et ce n’est pas Shekau qui le contredira.

 
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Burkina : le rêve présidentiel d’Eddie Komboïgo, candidat CDP de Blaise Compaoré

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Eddie Komboïgo, président du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), dans son bureau à Ouagadougou, en mars 2019.

Son élection comme candidat du CDP à la présidentielle burkinabè a été une première victoire pour Eddie Komboïgo. Mais ce quinqua qui ne fait pas partie de la vieille garde du parti de Blaise Compaoré saura-t-il trouver les appuis nécessaires pour confirmer l’essai ?

Derrière le masque de protection, le sourire est perceptible. Ce 10 mai, au Salon international de l’artisanat de Ouagadougou (SIAO), Eddie Komboïgo est élu candidat du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) à la présidentielle du 22 novembre prochain. Une victoire haut la main, acquise avec 133 voix, contre 21 pour son challenger, Yaya Zoungrana, à l’issue de primaires à bulletins secrets inédites dans l’histoire de l’ex-parti majoritaire. Distanciation sociale oblige en ces temps de coronavirus, l’élu de 56 ans se contentera d’applaudissements et de félicitations avec le coude, mais l’essentiel est ailleurs : le voilà enfin dans les starting-blocks pour la course à Kosyam.

Pour être définitivement lancé, il lui faudra encore obtenir l’onction du président d’honneur du CDP, Blaise Compaoré. À en croire plusieurs cadres du parti, cela ne devrait être qu’une « formalité ».

Actuellement au Qatar, l’ancien chef de l’État a appelé Komboïgo le jour de son élection pour le féliciter. Sa décision est attendue dans les jours – ou semaines – à venir. Une fois celle-ci connue, et s’il valide bien ce choix, le président du CDP sera définitivement investi candidat lors d’un nouveau congrès. « Blaise Compaoré est le ciment du parti. S’il confirme qu’Eddie est notre candidat à la présidentielle, tout le monde le soutiendra, à commencer par moi », indique Yaya Zoungrana.

Tourner la page

Pour Eddie Komboïgo, cette élection permet de tourner enfin la page des querelles intestines qui ont miné le CDP ces derniers mois, jusqu’à dégénérer en procédures devant la justice. Oubliée, la rivalité avec Kadré Désiré Ouédraogo, qui souhaitait un temps être le candidat du parti.

L’ex-président de la Commission de la Cedeao a démissionné et compte se présenter à la présidentielle à la tête de sa propre formation. « Ces divisions sont derrière nous, assure un membre du bureau politique national. En un sens, elles ont même contribué à renforcer le parti en séparant le bon grain de l’ivraie. »

L’homme d’affaires devenu politicien n’a pas chômé

De ce cette période houleuse, le président du CDP est donc sorti vainqueur. « Il a connu beaucoup d’embûches depuis qu’il dirige le parti, mais il a persévéré, il s’est battu et a fini par s’imposer », estime un haut responsable du CDP. Une issue que l’ambitieux Komboïgo n’envisageait pas autrement : il se prépare à briguer la magistrature suprême depuis des années.

Entre restructuration de sa formation à travers le Burkina et voyages à l’étranger pour étoffer son réseau, l’homme d’affaires devenu politicien n’a pas chômé. « La conquête du fauteuil présidentiel demande une longue préparation personnelle et politique. Aujourd’hui, je suis prêt et je me sens à la hauteur de l’enjeu », confie-t-il.

Jamais considéré comme un apparatchik du parti, ce fan de football, qui a dirigé l’ASFA Yennenga, n’en est pas moins un militant de la première heure. Quand l’Organisation pour la démocratie populaire-Mouvement du travail (ODP/MT), dont il est membre, fusionne avec une dizaine d’autres partis en 1996 pour créer le CDP et soutenir Blaise Compaoré, Komboïgo suit. Originaire de Yako, dans la province du Passoré, il va progressivement se rapprocher d’un autre notable local et pilier du régime : le général Gilbert Diendéré.

« Chaque année, Fatoumata [l’épouse du général Diendéré, également députée du CDP] organisait un tournoi de football à Yako. Elle m’a demandé d’en être le parrain. C’est ainsi qu’a démarré ma relation avec le couple Diendéré », raconte-t-il.

Il en devient vite un intime. En 2013, il est le témoin de mariage du chef d’état-major particulier de Blaise Compaoré. Aujourd’hui encore, il lui rend régulièrement visite à la Maison d’arrêt et de correction des armées (Maca) de Ouaga, où Diendéré est incarcéré depuis le putsch manqué de 2015.

En parallèle, dans les années 2000, le patron du cabinet d’audit financier et d’expertise comptable Komboïgo et Associés (Cafec-Ka) travaille pour le gouvernement sur plusieurs grands projets : industries, mines, eau, banques, assurances… En 2012, il brigue son premier mandat et est élu député du CDP dans le Passoré.

Deux ans plus tard, Blaise Compaoré se lance dans son projet de révision de la Constitution pour rester au pouvoir. Le 30 octobre 2014, des dizaines de milliers de manifestants envahissent les rues de Ouagadougou pour empêcher les députés de la majorité de voter le texte. L’Assemblée nationale est incendiée, comme de nombreux autres symboles du régime et… la villa de Komboïgo. « Heureusement, ma femme et mes enfants n’étaient pas à la maison. J’ai été choqué par cette violence démesurée, se rappelle-t-il. J’étais un simple chef d’entreprise et député, qui n’avait jamais exercé de hautes fonctions publiques. »

Un certain courage

Après un séjour en Israël pour « se rétablir » , il revient au pays début 2015. Dans le Burkina-post Compaoré, les partisans de l’ancien président font profil bas. Lui sent qu’il a un coup à jouer et assume sa volonté de reprendre les rênes du parti. « Il faut lui reconnaître un certain courage. À l’époque, tout le monde n’était pas prêt à prendre de telles responsabilités », analyse l’un de ses anciens adversaires au sein du CDP.

Il restera plus de quatre mois en détention à la Maca

Komboïgo en devient le leader. Sa candidature à la présidentielle, elle, est rejetée en raison de la loi d’exclusion électorale qui interdit aux soutiens passés de Compaoré de se présenter.

En septembre 2015, après le coup d’État manqué du général Diendéré, son ami Komboïgo est accusé de complicité et arrêté. Il est soupçonné d’avoir financé les putschistes : ses comptes sont gelés et il restera plus de quatre mois en détention à la Maca avant d’être finalement blanchi. « Cette période difficile m’a permis de faire une profonde introspection. J’en suis ressorti encore plus déterminé, mais sans aucune envie de me venger », assure-t-il.

De retour sur la scène publique, il retrouve son rôle de président du CDP et s’applique à reprendre en main la direction du parti. Autour de lui, il constitue une équipe soudée, dont certains membres le poussent à hausser le ton, en 2019, face aux partisans de Kadré Désiré Ouédraogo. Il veille, aussi, à garder les bonnes grâces du « président fondateur », Blaise Compaoré, auquel il rend régulièrement visite à Abidjan.

Relation franche et cordiale

« Il l’a toujours tenu informé de ce qui se passait au sein du parti et il sollicitait souvent son avis. Je pense que le président Compaoré a apprécié cette façon de faire. Entre eux est née une relation franche et cordiale », analyse Achille Tapsoba, le vice-président du CDP. Pour autant, selon son entourage, Blaise Compaoré n’a « jamais adoubé personne », s’appliquant à « rester au-dessus de la mêlée et à faire respecter les statuts du parti ».

Il a réussi à s’entourer de certains caciques, qui l’ont coaché

Komboïgo n’étant pas du sérail, il a dû apprendre à maîtriser les us et coutumes de la vieille garde du parti. « Il lui a fallu du temps, mais il a réussi à s’entourer de certains caciques, qui l’ont coaché. Sans eux, il n’aurait jamais été élu président, ni investi candidat », estime l’une de nos sources internes. Parmi ces soutiens : l’ancien ministre Arsène Yé Bognessan, l’ex-Premier ministre Luc Adolphe Tiao, mais aussi l’ex-président de l’Assemblée nationale Mélégué Maurice Traoré, ou encore l’ancien directeur de cabinet de Blaise Compaoré, Sanné Mohamed Topan.

La main à la poche

Doté d’une importante fortune personnelle, le nouveau président du CDP met aussi la main à la poche quand c’est nécessaire. « Contrairement à d’autres, qui refusent de sortir leur argent, lui n’hésite pas à mettre les moyens pour aider le parti et atteindre ses objectifs », poursuit notre source.

Maintenant qu’il est candidat, cet homme qui se définit comme un « pur produit du secteur privé » entend incarner une rupture – de quoi faire sourire ses adversaires, qui rappellent volontiers que tous ceux qui ont géré le pays depuis 1987 sont issus de son camp. Lui ne se démonte pas. « Je ne suis pas de la même génération et pas du même moule, explique-t-il. Je veux montrer que le changement générationnel et qualitatif par les urnes est possible au Burkina. »

Dans sa ligne de mire, le président Roch Marc Christian Kaboré, dont il fustige « l’absence de vision » et la « gestion chaotique ». « J’ai l’intime conviction que nous pouvons relancer notre pays. Pour cela, il faut notamment ramener la paix et lancer une vraie politique de réconciliation nationale. Tant que nous serons divisés, nous ne verrons pas la lueur du développement. »

Plusieurs défis à relever

Dans un Burkina plombé par l’insécurité, Komboïgo pourrait être un challenger sérieux pour Kaboré. « Mais il a plusieurs défis à relever, estime une figure du parti. D’abord, il faut qu’il parvienne à rassembler l’ensemble du CDP autour de sa candidature. Ensuite, il faut qu’il compose une équipe de campagne équilibrée, qui incarne sa promesse de changement générationnel sans braquer les vieux barons. Enfin, il faut qu’il mobilise d’importants moyens financiers, au-delà de ses propres fonds, s’il veut rivaliser avec le pouvoir en place. »

Reste un dernier paramètre important : il faudra qu’il bénéficie du soutien plein et entier de Blaise Compaoré, au-delà de la simple validation de son statut de candidat.

 
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