La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) a annoncé, le 29 juin, le possible aboutissement, en 2020, d’une nouvelle monnaie commune pour les quinze pays qui la composent. L’effet de surprise a joué à plein, et l’information a suscité peu de réactions parmi les opposants au franc CFA. Il semble en effet que, sur certaines questions, il y ait eu des progrès.
Les choix opérés montrent d’ailleurs un savant équilibre entre les éléments s’inspirant des pays anglophones (le nom « eco » reprenant le début du sigle en anglais de la zone, déjà popularisé par Ecobank ; le change flexible) et des pays francophones de la Cedeao (Banque centrale fédérale ; politique monétaire privilégiant la stabilité de la monnaie plutôt que le rythme de croissance).
Mais des difficultés cruciales ont aussi été nettement soulignées. Non-respect actuel par la plupart des pays de nombreux critères de convergence d’économie et de politique publique, tels ceux du déficit public, du niveau minimum de réserves de change ou d’un plafond d’inflation. Retard dans la mise en œuvre des réformes structurelles indispensables pour faciliter l’application de ces critères de convergence.
L’Uemoa en avant-garde ?
Enfin, de nombreux points n’ont pas fait l’objet d’informations malgré leur caractère parfois délicat : degré d’indépendance de la future Banque centrale par rapport aux États ; date de lancement effectif de la nouvelle monnaie ; composition précise du panier de monnaies de référence ; et, surtout, périmètre dans lequel sera initialement admis l’eco.
La longue expérience d’usage commun du franc CFA est un atout.
Sur ce plan, même si les déclarations officielles ont été prudentes, tous les commentaires ont clairement retenu l’hypothèse d’une mise en place d’abord limitée à quelques pays, et notamment ceux de l’Uemoa.
L’option semble en effet la plus pertinente. La longue expérience d’usage commun du franc CFA est un atout. L’exemple de l’UE montre aussi que la gestion d’une monnaie unique est facilitée dans un espace plus restreint. Même si cette solution est moins ambitieuse, elle constituerait malgré tout une première étape importante. L’Uemoa rassemble en effet le tiers des habitants de la Cedeao et pèse 20 % de son PIB.
Cette zone francophone est plus importante que le Maroc ou s’approche de la Communauté d’Afrique de l’Est, et est de surcroît homogène par sa langue et ses structures économiques. Malgré tout, ce lancement limité constituerait un immense défi pour ces « pays du CFA ».
L’eco ne s’appuierait pas en effet sur une garantie extérieure, mais sur ses propres mécanismes de sauvegarde : fixation de nouvelles règles de solidarité entre États ; définition de procédures de protection de l’eco face à la spéculation ou à des difficultés économiques ou politiques ; nouvelles normes à respecter pour les agents financiers et économiques.
Un pari difficile
Le pari n’est pas impossible à tenir, mais fort difficile, comme l’ont montré le lancement de l’euro en 2001 ou les évolutions récentes du dirham marocain. Pour ce dernier, le chemin vers une monnaie presque totalement convertible et montrant une bonne stabilisation de sa valeur internationale a été en effet long et ardu. La confiance se gagne seulement dans la durée.
Enfin, un sujet majeur semble n’avoir fait jusque-là l’objet de presque aucun commentaire. La mise en place effective de l’eco entraînerait de facto la fin de la zone CFA actuelle puisque l’Afrique centrale francophone est en dehors du nouveau système. Cette coupure entre les parties ouest et centrale, déjà suggérée dans un passé récent, a été pour l’heure écartée.
La France, qui a pour l’instant laissé s’exprimer les dirigeants de la Cedeao sans formuler d’observation, pourra difficilement accepter de les laisser faire et de constater la fracture de fait de la zone CFA sans définir une nouvelle stratégie globale à l’égard des pays francophones tenant compte de ses propres objectifs géopolitiques. En la matière, les réunions d’octobre de la zone CFA devraient obligatoirement donner au moins les lignes directrices de la conduite retenue.
Avec leur adhésion aux objectifs et aux échéances de la Cedeao, les pays de l’Uemoa risquent donc gros. Un grand retard dans le respect de ces échéances leur ferait perdre une occasion unique de prouver que, malgré ses faiblesses, le CFA a pu être utilisé pour construire les bases de la monnaie unique d’un ensemble géographique plus vaste. Ce report donnerait aussi à ses opposants divers arguments pour relancer leurs attaques et créerait pour l’Uemoa les inconvénients qui y sont généralement associés.
En revanche, en cas de démarrage effectif mais insatisfaisant de l’eco, les nations pionnières subiraient les effets d’une comparaison négative avec leur ancienne situation de zone « sécurisée », sans possibilité de retour en arrière. La voie de la réussite, garante d’une crédibilité renforcée pour l’Uemoa, est donc étroite, même si elle est possible. Gageons que les chefs d’État ont bien pesé ces arguments avant de faire leurs déclarations, en juin dernier.