Vu au Sud - Vu du Sud

Burkina : 16 personnes tuées dans une mosquée,
un millier de manifestants contre le « terrorisme »

| Par Jeune Afrique avec AFP

Une attaque contre des fidèles qui priaient vendredi soir dans une mosquée a fait au moins 16 morts dans le nord du pays. Un millier de personnes se sont rassemblées le lendemain contre le « terrorisme » et pour dénoncer la présence de forces armées étrangères dans le pays.

« Des individus armés ont attaqué la grande mosquée de Salmossi (à une vingtaine de km de Gorom-Gorom, une des grandes villes du Nord) entre 19h et 20h, faisant au moins 16 morts », a déclaré une source sécuritaire. « 13 personnes sont mortes au cours de l’attaque et 3 autres ont succombé quelques heures après », a-t-elle ajouté. « Deux autres blessés sont dans un état critique ».

« Les victimes sont tous des musulmans qui étaient en prière au sein de la grande mosquée », ajoute un habitant de Gorom-Gorom, joint depuis Ouagadougou.

« Depuis ce matin (samedi), les populations ont commencé à fuir la localité », a-t-il dit, évoquant un « climat de panique malgré le renfort militaire qui a été déployé » après l’attaque.

Plus de 600 morts depuis 2015

Cette tuerie n’a pas encore été revendiquée, mais des mosquées et des imams ont par le passé été la cible d’attaques attribuées aux jihadistes par les autorités, certains d’entre eux étant affiliés à Al-Qaïda ou au groupe État islamique. Depuis début 2015, leurs attaques de plus en plus fréquentes et meurtrières, en particulier dans le Nord et l’Est, ont fait plus de 600 morts, selon un comptage de l’Agence France Presse.

Dans la capitale, Ouagadougou, un millier de personnes se sont rassemblées samedi pour « dénoncer le terrorisme et la présence de bases militaires étrangères en Afrique » à l’appel d’une dizaine d’organisations de la société civile à l’occasion des « journées anti-impérialistes ».

« Forces étrangères hors d’Afrique »

« Armée française et forces étrangères on n’en veut pas », « Armée française hors du Burkina Faso » et « forces étrangères hors d’Afrique », ont scandé les participants réunis à la Bourse du Travail en raison d’une interdiction de manifester en ville.

« Le terrorisme est devenu le prétexte idéal pour l’installation de bases militaires étrangères dans nos pays. Les armées française, américaine, canadienne, allemande et autres ont pris pied dans la sous-région pour, disent-elles, combattre le terrorisme. Malgré cette présence massive des plus grandes armées du monde, les groupes terroristes continuent à sévir et montent même en puissance », a lancé le porte-parole des organisations civiles, Gabin Korbéogo.

« Il faut donc se méfier de ces pyromanes nocturnes qui, dès le lever du jour, se transforment subitement en pompiers », a ajouté Gabin Korbéogo. « Ces puissances étrangères utilisent le terrorisme pour (…) contrôler les immenses richesses de la région ».

« Les bases militaires étrangères sont la perpétuation des politiques impérialistes », a affirmé le président du mouvement burkinabè des droits de l’homme et des peuples, Chrisogone Zougloré. « C’est pourquoi après près de 60 ans de coopération militaire avec la France, nos armées demeurent incapables d’assurer la sécurité de nos territoires face à des hordes de bandits ».

« Crise humanitaire en cours »

Au Burkina Faso, la France est présente avec 200 hommes des Forces spéciale à Kamboinsin (banlieue de Ouagadougou) mais intervient régulièrement dans le pays au titre de la force Barkhane (4 500 hommes au Sahel).

Ces dernières semaines, les militaires français déployés au Sahel ont multiplié les interventions au Burkina Faso.

Près de 500 000 personnes ont fui leurs domiciles dans le Nord et l’Est en raison des attaques, selon le Haut-commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR), qui fait état d’une « crise humanitaire en cours » touchant quelque 1,5 million de personnes dans le pays.

Côte d’Ivoire : Affoussiata Bamba-Lamine en éclaireur
avant une rencontre Gbagbo-Soro ?

| Par Jeune Afrique

Affoussiata Bamba-Lamine, bras droit de l’ex-chef de la rébellion ivoirienne Guillaume Soro, a récemment rencontré à Bruxelles l'ancien président Laurent Gbagbo.

Longtemps opposé à un rapprochement avec Guillaume Soro, Laurent Gbagbo a assoupli sa position. Des contacts ont lieu entre leurs entourages respectifs.

Discussions entre Assoa Adou et Alain Lobognon

L’ancien président ivoirien a récemment reçu à Bruxelles Affoussiata Bamba-Lamine, bras droit de l’ex-chef de la rébellion. Et Assoa Adou, le secrétaire général du FPI, a parlé à plusieurs reprises avec le « soroïste » Alain Lobognon.

Une rencontre entre Gbagbo et Soro n’est donc plus exclue.

 Un « dialogue national inclusif » au Mali :
comment, avec qui et pour quoi faire ?
| Par

Le dialogue censé aboutir à des réformes institutionnelles et Constitutionnelles et accélérer la mise en œuvre de l’Accord de paix a débuté dans plusieurs communes en début de semaine. Inédit dans sa forme, dont l'objectif est de remonter les doléances au plus près du terrain, il est cependant déjà la cible de nombreuses critiques.

Dans un contexte de crise post-électorale, le Mali s’est lancé dans un « dialogue national inclusif ». Objectifs affichés : échanger sur les questions de préoccupation des Maliens, aborder les réformes institutionnelles et s’approprier l’accord pour la paix et la réconciliation de 2015. Ibrahim Boubacar Keïta espère, cette fois, éviter l’échec qu’il avait essuyé en 2017, lorsqu’il avait été poussé par la rue à retirer son projet de révision de la Constitution.

En janvier, le président malien avait relancé ce projet. Un comité d’experts, présidé par le professeur Makan Moussa Sissoko, a été mis en place à cet effet. Mais, malgré la volonté affichée du gouvernement d’obtenir, cette fois-ci, un consensus, l’initiative a fait long feu.

Inédit dans sa forme, ce nouveau dialogue, lancé le 7 octobre, se veut à l’écoute de la base en organisant des rencontres décentralisées au plus près des populations. Il fait cependant déjà face à des réticences au sein de l’opposition et d’une partie de la société civile qui exprime des doutes sur son caractère réellement « inclusif ».

• Comment le dialogue s’organise ?

Nous avions promis un dialogue de la base vers le sommet et c’est ce qui se passe en ce moment

La démarche se veut « inclusive » et s’inscrire dans un processus sur la durée. Après l’atelier de validation des termes de référence du dialogue, qui s’est tenu mi-septembre à Bamako et a fixé les sujets à aborder ainsi que les règles qui prévaudront lors des discussions, les premiers débats décentralisés se sont tenus les 7 et 8 octobre.

« Nous avions promis un dialogue de la base vers le sommet et c’est ce qui se passe en ce moment. Nous avons été témoins d’une participation massive des populations dans 607 communes », affirme Cheick Sidi Diarra, à la tête du comité d’organisation.

Prochaines étapes, des rencontres au niveau des cercles et des communes du district de Bamako, du 14 au 15 octobre, puis au niveau régional, du 21 au 22 octobre. Les organisateurs prévoient à cette occasion de tenir également des concertations dans les ambassades et consulats afin d’impliquer la diaspora.

Dans les communes et cercles, ce sont les préfets et les sous-préfets qui assurent l’organisation matérielle et la sécurité de ces rencontres. Elles rassembleront entre autres des représentants de l’administration, trois représentants de chacun des partis politiques présents dans la localité, trois représentants des autorités traditionnelles et religieuses, des organisations des femmes, du conseil local de la jeunesse, des activités économiques, des organisations syndicales, etc. Les conclusions de chacune de ces rencontres seront ensuite envoyées au comité d’organisation, chargé de produire une synthèse de ces remontées de terrain.

• Quels sont les sujets abordés ?

malix

Le principe de la laïcité et de l’unité du pays ne seront pas remis en question

Le 16 avril dernier, Ibrahim Boubacar Keïta a souhaité que le dialogue soit « un moment d’évaluation et de proposition ». Ainsi, après la synthèse des propositions des différents acteurs, les points retenus pour le dialogue sont résumés en cinq thématiques : la paix, la sécurité et la cohésion sociale ; les réformes politiques et institutionnelles ; les questions de gouvernance ; la culture et la jeunesse.

Mais si, du côté du gouvernement on assure qu’« aucun sujet n’est tabou », Cheick Sidi Diarra insiste cependant sur trois lignes rouges : « Le principe de la laïcité et de l’unité du pays ne seront pas remis en question. Ensuite, ceux qui participent au dialogue s’engagent à contribuer à la mise en oeuvre de l’accord pour la paix et la réconciliation nationale de 2015. Le troisième point est de procéder à la réforme de la Constitution. »

Or, une partie de l’opposition remet en question l’accord d’Alger alors que, quatre ans après sa signature, il peine encore à être effectivement mis en œuvre.

Le 22 septembre dernier, Ibrahim Boubacar Keïta a lui-même évoqué la possibilité de l’amender. « Je tiens à réaffirmer l’attachement du gouvernement malien à cet accord, quitte à en discuter certaines dispositions. L’essentiel étant d’en conserver l’esprit », avait alors déclaré le chef de l’État.

Ce qui a rapidement déclenché une levée de boucliers d’une partie des groupes armés signataires de l’accord de paix. La Coordination des mouvements de l’Azawad annonçant dans les jours suivants son intention de quitter le dialogue national.

Du côté du le Front pour la Sauvegarde pour la démocratie (FSD), la coalition de Soumaïla Cissé, qui a annoncé son intention de boycotter le dialogue (lire ci-dessous), c’est au contraire l’accord dans son intégralité qu’il faut remettre en cause.

« Il ne s’agit pas de revenir sur certaines dispositions, mais d’en finir avec cet accord anti-national », tonne ainsi Nouhoum Sarr, président du Front africain pour le développement, un des parti membre du FSD. « La définition de l’Azawad, qui en fait une nation, contient en germe une partition du pays », estime encore l’opposant, qui juge que la priorité doit être que « les groupes soient désarmés, car on ne fait pas de la politique avec des armes ».

• Qui participe ? Qui boycotte ?

maliy

Ce dialogue a été mis en place afin de sortir de la crise. Pourtant, Soumaïla Cissé, qui ne reconnaissait pas la victoire d’IBK, n’y prend pas part

Si les partis de la majorité présidentielle, des organisations de la société civile, les autorités traditionnelles et religieuses prennent effectivement part au dialogue, l’opposition, elle, est divisée sur la question.

Tous ceux ayant signé un accord avec le pouvoir le 2 mai – à la faveur duquel certains opposants ont rejoint le gouvernement – y prennent part. C’est le cas notamment du Parti pour la renaissance nationale (Parena) de Tiébilé Dramé et de la Convergence pour le développement du Mali (Codem) de Housseini Amion Guindo.

Plusieurs poids lourds de l’opposition ont en revanche déjà affiché leurs réticences à participer. C’est le cas du chef de file de l’opposition, Soumaïla Cissé, à la tête du FSD, des anciens Premiers ministres Cheick Modibo Diarra et Soumana Sacko.

Très critique, également, Sy Kadiatou Sow, une des figures de la plateforme Antè a banna (Touche pas à ma Constitution !) qui a fait échouer en 2017 le projet de révision constitutionnelle. C’est cette fois à la tête d’Awn Ko Mali (Le Mali d’abord !), un regroupement d’associations, de syndicats et de partis, qu’elle mène la fronde.

« Le peuple ne veut pas un dialogue juste pour dire que l’on a dialogué. (…) Pour une fois, donnons la parole à ce peuple pour qu’il dise ce qu’il vit et les solutions qu’il propose », avait-elle notamment déclaré lors d’un débat télévisé, fin septembre, pour justifier la non-participation de son mouvement à ce dialogue.

Autant d’absents qui font dire à Ibrahima Sangho, président de l’Observatoire pour les élections et la bonne gouvernance au Mali (POCIM) que « le dialogue n’est pas inclusif ». Et même que les principaux acteurs nécessaires à une véritable sortie de crise manquent à l’appel.

« Ce dialogue a été mis en place afin que les responsables politiques échangent, pour sortir de la crise qui s’est ouverte après la présidentielle de 2018. Pourtant, Soumaïla Cissé, qui ne reconnaissait pas la victoire d’IBK, n’y prend pas part », souligne Ibrahima Sangho, qui regrette également que « le retrait des discussions de la Coordination des mouvements de l’Azawad. »

Le Forum des organisations de la société civile (FOSC), l’une des principales organisations faîtières de la société civile malienne, a pour sa part clairement annoncé qu’elle ne participerait pas. « Nous invitons le comité d’organisation à poursuivre les consultations en vue d’un dialogue réellement inclusif, sinon le résultat sera un fourre-tout qui n’aboutira à rien », insiste le président du POCIM.

Au Tchad, un nouveau service des douanes pour relancer les échanges

Vue aérienne de Ndjamena, la capitale tchadienne (image d'illustration).
© SIA KAMBOU / AFP

Ndjamena veut faire face à la baisse des recettes douanières engendrée par les nouvelles réglementations.

Un nouveau service des douanes a été mis en place au Tchad, ce mercredi 9 octobre, pour relancer les importations et les exportations. Une mesure prise pour faire face aux baisses des recettes douanières, mais aussi pour calmer le mécontentement des opérateurs économiques.

Plus de 1 500 conteneurs sont bloqués entre le Cameroun et le Tchad. Le résultat de la lenteur de la douane à délivrer les autorisations d'importations, selon eux. « Des choses qui se faisaient en 48 heures prennent 48 jours, explique Ali Abbas Seitchi, l'un des représentants du patronat tchadien. Si bien qu’aujourd’hui, il y a une baisse réelle des recettes douanières et aussi une flambée des prix dans les marchés parce que les importations se font rares, ce qui a inquiété le gouvernement. »

À lire aussi : État d'urgence au Tchad : la fermeture des frontières préoccupe les commerçants

Tous dénoncent la lenteur administrative dans la délivrance des autorisations d'échange de marchandises et de fonds. Ces autorisations sont obligatoires depuis l'adoption en décembre dernier des nouvelles règlementations de la Cémac prises pour lutter contre la fraude et le financement du terrorisme.

Un service pour fludifier les échanges

De son côté, le directeur général des douanes, Abdelkerim Charfadine Mahamat, a reconnu un blocage des transferts et il a annoncé la mise en place d'un service dédié pour faciliter les échanges. « Le ministère des Finances et des Budgets a créé au sein de la direction générale des douanes un service chargé de délivrer des autorisations d’exportation et d’importation des biens. Les questions de claustration, de transfert et d’échange avec l’extérieur seront réglées », assure-t-il.

Si aucune précision n'a été donnée sur le fonctionnement de ce service, il devrait augmenter les recettes douanières qui ne sont pas bonnes selon un cadre du ministère des Finances. La baisse des recettes s'explique notamment par la fermeture des frontières entre le Tchad et certains pays voisins depuis la mise en place de l'état d'urgence.

Macky Sall et Abdoulaye Wade enterrent la hache de guerre au Sénégal :
vers une amnistie de Karim Wade ?

| Par , et

Le président sénégalais Macky Sall et son prédécesseur lors de l’inauguration de la grande mosquée Massalikoul- Djinane,
le 29 septembre. © Papa Matar Diop/Présidence Sénégal

 

Engagées depuis plusieurs mois, les négociations secrètes entre Macky Sall et Abdoulaye Wade ont abouti à une réconciliation officielle et à la libération de Khalifa Sall, l’ex-maire de Dakar. Les deux hommes sauront-ils trouver un compromis sur le cas Karim Wade ?

«Vous sortez ! » L’injonction lui paraît cinglante et, pourtant, il n’en attendait pas d’autre. Dimanche 29 septembre, aux alentours de 20 heures, Khalifa Ababacar Sall doit faire ses adieux à la maison d’arrêt de Rebeuss, qui, depuis deux ans, six mois et vingt-deux jours, est son unique horizon. Après une brève protestation (« Je ne compte pas sortir, je n’ai pas demandé de grâce présidentielle ! »), un échange téléphonique avec ses avocats le ramène à la raison. Alors, dans la précipitation, l’ancien maire de Dakar boucle ses affaires avant de se retrouver dehors, comme éjecté de cette prison qui ne veut plus de lui.

Informés par les radios, ses sympathisants ont afflué vers Rebeuss pour le célébrer. La capitale a retrouvé son maire, même si, officiellement, il ne l’est plus. Condamné en mars 2018 dans l’affaire de la « caisse d’avance » de la mairie de Dakar, Khalifa Sall avait écopé de cinq ans de prison, 5 millions de F CFA (7 600 euros) d’amende et été condamné à s’acquitter solidairement, avec d’autres accusés, d’1,8 milliard de F CFA de dommages et intérêts.

Radié de ses fonctions d’édile, destitué de son mandat de député – qu’il avait obtenu pendant son incarcération –, exclu du parti socialiste, où il militait depuis sa prime jeunesse, Khalifa Sall repart donc de zéro. Déchu mais libre.

Libéré le 29 septembre, l’ex-maire de Dakar, exclu du PS, est encore considéré comme inéligible. © JOHN WESSELS/AFP

Après avoir sillonné en voiture les artères de la capitale, tout sourire, il fait une halte chez sa mère, aux Parcelles Assainies, puis à son domicile, où il retrouve brièvement sa famille. Au cœur de la nuit, ses proches l’emmènent ensuite à Tivaouane, la ville sainte de la confrérie tidiane – la sienne. Là, comme il le faisait chaque année, il se recueille sur la sépulture du défunt khalife Serigne Babacar Sy, auquel il doit son nom.

Sous les auspices du khalife mouride

Deux jours plus tôt, c’est pourtant sous les auspices du guide spirituel de l’autre grande confrérie du pays qu’a été scellée sa libération. Le 27 septembre, des dizaines de milliers de Sénégalais ont afflué au cœur de la capitale pour assister à l’inauguration de la monumentale mosquée Massalikoul Djinane, qui s’étend sur 10 000 m2. Un grand œuvre bâti par la confrérie mouride à la gloire de son fondateur, Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké.

Ce jour-là, aux côtés du khalife Serigne Mountakha Bassirou Mbacké, deux dignitaires ont pris place pour la grande prière du vendredi : le chef de l’État, Macky Sall, et son prédécesseur, Abdoulaye Wade. Brouillés de longue date, les deux hommes n’avaient plus posé côte à côte depuis leur passation de pouvoir, sept ans plus tôt.

mosquee

La mosquée Massalikoul Djinane vue de l'extérieur. © Manon Laplace pour JA

Ce jour-là, la hache de guerre semble enterrée. Faisant assaut de prévenance, après leur sortie triomphale de Massalikoul-Djinane, main dans la main, Macky Sall ira jusqu’à raccompagner « le Vieux » à son domicile. « Évidemment, il y a eu des contentieux, mais tout ça doit être dépassé. C’est pourquoi je lance un appel solennel au président Abdoulaye Wade à discuter avec moi du pays », déclare-t-il face aux caméras.

Depuis 2012, pourtant, les deux anciens « frères » du Parti démocratique sénégalais (PDS) paraissaient irréconciliables. Macky Sall n’a jamais digéré la façon dont Abdoulaye Wade, qu’il avait servi loyalement pendant des années, l’avait sèchement mis au ban en 2008. Quant à Gorgui, il n’a jamais pardonné à son successeur d’avoir maintenu son fils, Karim, en prison pendant plus de trois ans et de laisser planer au-dessus de sa tête la menace d’un nouveau séjour derrière les barreaux s’il se risquait à rentrer au Sénégal.

« Macky Sall a tenu à faire un geste envers la confrérie mouride, dont Abdoulaye et Karim Wade sont proches, analyse un collaborateur du chef de l’État. Chacun sait que ses scores électoraux dans la région de Touba ont été décevants ces dernières années, et cette réconciliation symbolique devant le khalife général est aussi un moyen pour lui d’envoyer un signal fort à la communauté mouride. »

Un pacte conclu lors de la Tabaski

Selon un autre collaborateur de Macky Sall, un pacte entre les deux hommes aurait été conclu lors de la dernière Tabaski, le 11 août : « Ce jour-là, ils se sont rencontrés au domicile d’Abdoulaye Wade, après que Macky Sall a été informé par un de ses proches que son prédécesseur était disposé à le rencontrer. » Selon la même source, ce long entretien, tenu secret, aurait « permis d’aplanir les difficultés qui demeurent, en particulier concernant la situation de Karim Wade », toujours sous la menace de la contrainte par corps s’il ne s’acquitte pas de l’amende à laquelle il a été condamné en 2015.

Khalifa Sall n’a jamais demandé de grâce, il n’y a eu aucun contact entre son entourage et celui de Macky Sall

La réconciliation officielle à la mosquée Massalikoul Djinane marquerait donc « la formalisation des retrouvailles de la Tabaski ». Ce jour-là, un « accord tacite » aurait été trouvé. Et notre source d’ajouter que la grâce dont a bénéficié Khalifa Sall s’inscrit dans ce cadre.

Dans le camp de l’ancien maire, on confirme être étrangers à la moindre négociation. « Khalifa Sall n’a jamais demandé de grâce. Il n’y a eu aucun contact entre son entourage et celui de Macky Sall. » Tout au plus admet-on que depuis son placement en détention, en mars 2017, les khalifes généraux de Touba et de Tivaouane n’ont pas ménagé leurs efforts pour favoriser la remise en liberté de l’ancien élu socialiste.

Abdoulaye Wade a réitéré son appel à « brûler les bulletins de vote »
à quelques jours de la présidentielle du 24 février au Sénégal, lors du comité directeur du PDS. © Sylvain Cherkaoui pour JA

« Macky Sall a subi de fortes pressions, de la part des confréries, mais aussi de l’AIMF [Association internationale des maires francophones] ou de CGLUA [Cités et gouvernements locaux unis d’Afrique], deux organisations dont Khalifa Sall était l’un des principaux responsables, analyse un cadre du PDS. Ayant lui-même appelé au dialogue, le chef de l’État se devait de manifester des gestes d’apaisement. »

Les proches de Macky Sall et d’Abdoulaye Wade s’accordent sur un point : la grâce de Khalifa Sall n’est qu’un préalable. Si le PDS s’est toujours montré solidaire de l’ex-maire de Dakar, décrit comme un « prisonnier politique » et, à ce titre, empêché de se présenter à la dernière présidentielle, le nœud gordien de la relation empoisonnée entre les deux présidents porte sur la situation de Karim Wade, le fils chéri.

Karim Wade ne veut pas d’une amnistie, il réclame la révision pure et simple de son procès qui lui permettrait de démontrer son innocence

« Abdoulaye Wade est pressé : il est âgé et tient à tirer d’affaire son fils de son vivant. Mais Karim n’entend pas transiger. Il ne veut pas d’une amnistie, même si celle-ci effacerait son amende et son inéligibilité : il réclame la révision pure et simple de son procès qui lui permettrait de démontrer son innocence », explique l’un de ses proches. Entre les lignes, les vieux compagnons de route du parti libéral laissent entendre que Karim Wade serait le principal promoteur de cette ligne dure, qui proscrit tout rapprochement avec le pouvoir, là où son père, désormais, serait prêt au compromis.

Médiation de la dernière chance

Il faut remonter aux prémices de la dernière présidentielle pour comprendre l’origine de cette divergence stratégique entre les deux Wade. Le 5 février, à la veille d’un retour au Sénégal qu’il espère triomphal, Abdoulaye Wade diffuse une longue vidéo dans laquelle, stigmatisant Macky Sall et son régime, il appelle ses partisans à saboter le scrutin à venir.

L’ancien président, qui va jusqu’à encourager ses troupes à brûler les urnes, n’a alors qu’un seul credo : si son fils est empêché de concourir, l’élection n’aura pas lieu ! Face à la menace de voir la campagne électorale dégénérer, une poignée d’hommes entame une médiation de la dernière chance. L’un d’eux est Ousmane Yara, un homme d’affaires malien bien introduit dans les présidences ouest-africaines, notamment à Dakar et à Conakry. En concertation avec Alpha Condé, qui en a informé Macky Sall, celui-ci se lance dans une mission de bons offices pour convaincre Gorgui de calmer le jeu.

Le 16 février, à une semaine du premier tour, le président guinéen affrète un jet privé qui attend Abdoulaye Wade sur le tarmac de l’aéroport de Dakar. Accompagné de quelques fidèles, celui-ci prend la direction de Conakry, où Wade sera l’hôte d’Alpha Condé pendant 48 heures. Au palais de Sékhoutouréya, des discussions se tiennent en comité restreint. Autour de la table, quatre hommes : Alpha Condé, Abdoulaye Wade, Ousmane Yara et l’ancien ministre sénégalais de la Justice El Hadj Amadou Sall.

En exil au Qatar depuis 2016, Karim Wade réclame la révision pure et simple de son procès. © SEYLLOU/AFP

Outre le Guinéen, plusieurs chefs d’États africains parlent au téléphone à Abdoulaye Wade pendant ces deux jours, comme le relatent plusieurs sources au fait de ces échanges : Roch Marc Christian Kaboré, Idriss Déby Itno, Denis Sassou Nguesso, Mahamadou Issoufou, Alassane Ouattara. Tous insistent sur la nécessité de préserver la stabilité du Sénégal et de l’Afrique de l’Ouest.

Ils s’engagent auprès d’Abdoulaye Wade à intervenir auprès de Macky Sall afin d’obtenir des « gestes d’apaisement ». Autrement dit : trouver une issue consensuelle à l’affaire Karim Wade et une porte de sortie à Khalifa Sall. Selon plusieurs témoins directs, Karim a tout fait pour s’opposer à cette médiation et au voyage de son père en Guinée. « Sa stratégie consistait à inciter le président Wade à soutenir l’opposant Ousmane Sonko afin de contraindre Macky Sall à un deuxième tour, indique l’un d’eux. Il voyait d’un mauvais œil ce séjour en Guinée, tout comme certains opposants qui espéraient une consigne de vote d’Abdoulaye Wade pour faire trébucher Macky Sall. »

À son retour de Conakry, Abdoulaye Wade est métamorphosé. Il se mure dans le silence et n’interviendra plus dans la campagne, ni même au lendemain de la réélection de Macky Sall. Il faudra attendre le mois de juillet pour le voir reprendre ses activités de secrétaire général national du PDS, son parti, dont il remodèle les structures de fond en comble au profit de Karim – quitte à marginaliser certains de ses derniers fidèles, comme Babacar Gaye, Oumar Sarr ou El Hadj Amadou Sall.

Macky Sall et Abdoulaye Wade iront-ils plus loin ? « Dans le contexte actuel, la perspective d’un gouvernement d’union nationale n’est pas à exclure, analyse un proche de Macky Sall qui n’a jamais ménagé les leaders du PDS. Dans ce scénario, il faut s’attendre à des réactions hostiles des alliés de la première heure de la mouvance présidentielle. »

En l’occurrence, le Parti socialiste et l’Alliance des forces de progrès (AFP) de Moustapha Niasse, le président de l’Assemblée nationale. Au sein même de la majorité, certains verraient mal le régime donner quitus à Karim Wade ou à Khalifa Sall des amendes auxquelles ils ont été condamnés. C’est notamment le cas de Mimi Touré, égérie de la traque aux biens mal acquis, aujourd’hui troisième personnage de l’État, qui ne veut pas croire à une double amnistie.

aminata
Aminata "Mimi" Touré ex premier ministre et actuelle présidente du Conseil Economique Social et Environnemental (CESE)
dans son bureau à Dakar le 17 septembre 2019. © © Sylvain Cherkaoui pour JA.

Dans l’opposition aussi, le rapprochement qui vient d’être acté risque de provoquer des dissensions. Officiellement certains s’en réjouissent, comme Mamadou Diop Decroix (AJ/PADS), coordinateur de la principale coalition de l’opposition : « La grâce de Khalifa Sall est un aboutissement important pour le Front de résistance nationale (FRN), qui avait fixé comme prérequis au dialogue politique la libération de Khalifa Sall et le retour au Sénégal de Karim Wade.

Même si chacun d’entre eux doit encore recouvrer ses droits civiques et politiques, ce geste donne de la crédibilité au dialogue national souhaité par Macky Sall. » Mais pour Ousmane Sonko, arrivé troisième de la présidentielle, la satisfaction est plus mesurée : « Si Macky Sall a instrumentalisé la justice pour écarter ses opposants, s’il se rend compte aujourd’hui des limites de telles pratiques et se donne pour ambition de réparer ce qu’il a commis, il n’a qu’à s’en sortir tout seul. Ce sont des diversions déployées pour détourner l’attention ! »

Macky Sall est un fin tacticien et face à une possible phase d’austérité économique, il a tout intérêt à faire des gestes populaires

« Macky Sall est un fin tacticien. Face à une possible phase d’austérité économique, il a tout intérêt à faire des gestes populaires, notamment en vue des locales et des législatives à venir, qui pourraient lui échapper et l’amener à une fin de mandat compliquée », estime un proche de Khalifa Sall. Pour un autre leader de l’opposition, allié au PDS, « dès le début des concertations pour le dialogue politique, en mai, nous avons obtenu de Macky Sall un accord tacite sur la libération de Khalifa Sall et le retour au Sénégal de Karim Wade.

Concernant ce dernier, il s’est engagé étudier les écueils techniques liés à la contrainte par corps. » La même source souligne toutefois que Macky Sall saura rester prudent : « Que Karim rentre au Sénégal et que Khalifa y recouvre la liberté, Macky peut se le permettre. Mais de là à les laisser briguer le pouvoir en 2024, il y a une limite. Car tous deux lui promettent la guillotine si un jour ils y accèdent. »


Ambiance studieuse

Ouvert depuis le 28 mai, le dialogue national commencé par Macky Sall se veut « un dialogue constructif et ouvert à toutes les forces vives du pays : forces politiques, économiques et sociales ». Son comité de pilotage est présidé par l’ancien ministre Famara Ibrahima Sagna, une personnalité jugée consensuelle. Il disposera de trois mois à dater de son installation officielle (encore non effective) pour rendre un rapport à Macky Sall. Cinq commissions thématiques ont toutefois commencé leurs travaux, dont la commission politique, à laquelle participent des représentants de l’opposition.