Sadou Yehia, un éleveur malien, a été tué par des jihadistes quelques jours après la diffusion de son témoignage, à visage découvert, dans un reportage de France 24. Le drame, qui a provoqué une vive polémique, pose la question de la manière dont les médias internationaux traitent, parfois avec légèreté, les complexités des conflits qui secouent le Mali.
La mort de Sadou Yehia, enlevé le 5 février avant d’être sauvagement exécuté par des jihadistes dans le nord du Mali, a déclenché une onde de choc médiatique. Et pour cause. Cet éleveur de Lellehoye était un parfait inconnu avant la diffusion d’un reportage de France 24, le 13 janvier, dans lequel il est apparu à visage découvert.
Confrontée au lien possible entre la diffusion de ces images et l’assassinat, la direction de la chaîne s’est abritée derrière un argumentaire pour le moins surprenant, estimant que « la question de l’anonymisation des témoins ne se pose pas, tant l’imbrication des terroristes dans la population locale dont ils sont eux-mêmes issus, leur connaissance des faits et geste de chacun, rendraient cette précaution artificielle ».
Incompréhensible légèreté
Une explication qui risque de constituer un précédent grave, tant il remet en cause la protection des sources. Comble de légèreté, le visage de ce témoin n’a en effet pas été flouté, alors qu’il est expressément précisé qu’il donnait des informations à la force française Barkhane. Plutôt que de se cacher derrière une ligne de défense inconfortable, que seule la direction semble comprendre, la chaîne de télévision, très suivie sur le continent africain, devrait plutôt présenter des excuses publiques à la famille de Sadou Yehia.
En interne, la CGT de France Médias Monde, l’un des syndicats de journalistes, a d’ailleurs demandé des explications. « Comment a-t-on pu diffuser un tel reportage sans la moindre interrogation ? », s’interroge le syndicat dans un communiqué, qualifiant « d’inacceptables » les arguments de la direction.
Réfléchir sur les pratiques
Au-delà de la controverse, ce drame offre l’opportunité aux médias – en particulier internationaux, dont certains sont si prompts à donner des leçons aux médias locaux – , de réfléchir sur leurs pratiques. Les dynamiques au niveau local ne doivent pas être perdues de vue dans le traitement de l’information, en particulier dans un contexte sécuritaire qui a tout l’air d’un « chaos dans le chaos », d’un « naufrage dans le naufrage », comme c’est le cas, notamment, à Lellehoye, où les jihadistes se comportent comme des éléphants dans un champ de mil.
Le traitement du reportage dans lequel est apparu Sadou Yehia est assez symptomatique d’une tendance à la légèreté qui caractérise la couverture du conflit au Mali par certains médias, qui semblent faire une mauvaise appréciation des enjeux de l’information dans un contexte de violences. Les médias maliens ne sont pas exempts de reproches. Plusieurs facteurs expliquent cette légèreté. Il y a notamment la « faible institutionnalisation » – pour reprendre Michel Ben Arrous dans Médias et conflits en Afrique –, qui se traduit par la rareté des conférences de rédaction au sein des organes de presse, l’absence chronique de rédacteurs en chef, titre souvent honorifique, ou encore l’inexistence de contrat pour le personnel.
Prendre le temps de la complexité
Plusieurs séquences récentes ont montré à quel point la tendance à la précipitation et au manque de précaution s’installe, et constitue un motif d’inquiétude. La manière dont le « retour de l’armée malienne à Kidal » est, dans un passé très récent, symptomatique. Plusieurs médias ont en effet titré sur « après huit ans d’absence, l’armée malienne en route pour reprendre Kidal », ou encore « l’armée se déploie pour reprendre le contrôle de Kidal » , passant ainsi sous silence le processus qui a conduit à cette opération.
Dans le centre du Mali, où l’heure est à la recrudescence de la conflictualité locale, il y a une forte propension des médias à ne lire cette situation que sous le seul prisme ethnique, rendant difficile l’identification des enjeux complexes qui sous-tendent les conflits.
La présentation du groupe Dan Na Ambassagou comme une « milice dogon », ou encore la focalisation sur l’appartenance ethnique du leader de la Katiba Macina, Amadou Kouffa, sont en l’espèce des cas d’école. En se concentrant sur ces aspects ethniques, les médias risquent de passer à côté des ressorts historiques, sociaux, politiques et économiques de la violence à l’œuvre dans cette partie du pays où, au-delà du terrorisme et du banditisme, le recours aux armes s’est désormais étendu aux milices d’autodéfense. Là encore, à la légèreté de l’approche, il conviendrait de substituer la prudence et à la complexité.