Le chef d’État ivoirien et son homologue français ont annoncé samedi 21 décembre une grande réforme du franc CFA. La monnaie utilisée par les pays de l’UEMOA changera notamment de nom pour épouser celui de la future monnaie unique de la Cedeao : l’eco. Mais en attendant cette étape-là, c’est un eco à parité fixe et garanti par la France qui servira de transition.
C’est la fin d’une époque. Le franc CFA (franc de la Communauté financière en Afrique) tel qu’il fut conçu il y a 46 ans va disparaître. L’annonce a été faite samedi 21 décembre par Alassane Ouattara et Emmanuel Macron lors de la visite officielle du président français en Côte d’Ivoire. « En accord avec les autres chefs d’État de l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest africaine), nous avons décidé de faire une réforme du franc CFA », a annoncé Alassane Ouattara, en sa qualité de président en exercice de l’UEMOA, qui comprend le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo.
Dans le courant de l’année 2020, l’eco, nom de la future monnaie unique de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), sera ainsi adopté dans ces huit pays.
Cela peut prendre des années
Néanmoins, si l’année 2020 marquera l’acte de naissance de cette monnaie, le franc CFA ne va pas disparaître pour autant. Ce dernier continuera à être utilisé jusqu’à la mise en circulation de l’eco, cette fois à l’échelle des 15 États membres de la Cedeao. « Cela peut prendre des années », précise un ministre ouest-africain.
Des mesures à effets immédiats
En revanche, plusieurs mesures de la réforme s’appliquent dès maintenant. C’est le cas avec la centralisation des réserves de change en France, qui prend fin, et avec la fermeture du compte d’opérations auprès du Trésor français. Ainsi, l’obligation imposée à la BCEAO d’y déposer 50 % de ses réserves de changes est supprimée.
La Banque centrale pourra dorénavant placer ses réserves partout dans le monde, auprès d’institutions financières, que ce soit en Europe, en Asie ou aux États-Unis. Autre évolution significative avec effet immédiat : le retrait des représentants de la France de tous les organes de gestion monétaire au sein de l’UEMOA. Ces derniers bénéficiaient d’un droit de veto.
En revanche, l’eco conservera pour le moment une parité fixe avec l’euro et sa garantie de convertibilité sera toujours assurée par la Banque de France. Un choix fait par les dirigeants de l’organisation monétaire ouest-africaine, a précisé Emmanuel Macron. La parité fixe est l’une des caractéristiques du CFA critiquées par certains économistes africains. Selon eux, l’arrimage à l’euro, monnaie forte, désavantage les économies de la région, beaucoup moins compétitives.
L’intégration des pays de l’UEMOA à l’eco se fera selon le calendrier établi par la Cedeao
Bien que les pays de l’UEMOA continueront d’accumuler des stocks d’or pour maintenir la solidité de la nouvelle monnaie, aucune précision n’a été apportée sur le nouveau mécanisme qui permettra à la France de continuer à assurer la garantie de la convertibilité.
L’eco-UEMOA, à parité fixe et garantie… avant l’eco-Cedeao, à changes flexibles
La réforme annoncée du CFA anticipe le projet de monnaie unique régionale. « Il y a un concours de circonstances entre d’une part l’agenda de la Cedeao sur la monnaie unique et la volonté de l’Uemoa réformer le CFA. L’intégration des pays de l’UEMOA à l’eco se fera selon le calendrier établi par la Cedeao », explique Romuald Wadagni, ministre béninois de l’Économie.
L’Uemoa estime en effet que ses membres respecteront d’ici à la fin du premier trimestre 2020 les critères de convergence établis par la Cedeao pour intégrer l’eco. Mais si la monnaie issue de la réforme du CFA porte le nom de la futur monnaie unique, elle n’appliquera pas immédiatement toutes ses dispositions.
Le projet élaboré par la Cedeao prévoit notamment que la future Banque centrale soit structurée sur un modèle fédéral et que régime de change soit flexible avec un ciblage de l’inflation globale comme cadre de politique monétaire. Ces dispositions ne seront mises en application que lorsque le dernier pays de la zone aura intégré l’eco.
Le franc CFA, un vestige du passé colonial devenu pesant
« La question du franc CFA cristallise de nombreuses critiques et de nombreux débats sur le rôle supposé de la France en Afrique. J’ai entendu les critiques, je vois les réseaux sociaux et je vois votre jeunesse qui nous reproche de continuer une relation économique et monétaire qu’elle juge post-coloniale. Donc rompons les amarres », a déclaré le chef de l’État français. « C’est une décision prise en toute souveraineté. Elle prend en compte notre volonté de construire notre future de manière responsable », a précisé Alassane Ouattara, tout en tenant à rappeler que « le franc CFA a été un outil essentiel du développement de nos pays ».
Les discussions autour d’une réforme du CFA ont débuté en 2017. Sous la pression de leur opinion publique, plusieurs pays de l’UEMOA ont alors mandaté Alassane Ouattara pour plancher sur la question. Le but est de débarrasser le CFA de la charge émotionnelle du passé colonial. Le chef d’État ivoirien a donc confié le dossier à son vice-président Daniel Kablan Duncan, un ancien de la BCEAO. Les tractations se sont intensifiées en parallèle de l’avancée du projet de monnaie unique de la Cedeao, avant d’être finalisée en toute discrétion au cours des six derniers mois.
Au sein de l’UEMOA, outre la Côte d’Ivoire, deux autres pays ont porté la réforme : le Sénégal de Macky Sall et le Bénin de Patrice Talon, dont le ministre des Finances préside le conseil de ministres de l’organisation économique sous-régionale.
Ces derniers mois, l’ancien homme d’affaires s’étaient ainsi discrètement rendu plusieurs fois à Paris pour y rencontrer des représentants du Trésor français à Paris. Son implication ne s’est pas faite sans couac. Le 7 novembre dernier, ce dernier déclare sur RFI que la réforme du franc CFA vise « très rapidement à ce que les pays membres de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) ne garderont plus de réserves de change auprès du Trésor français ». Cela a provoqué la colère d’Alassane Ouattara. « Il était alors déjà prévu que l’annonce de la réforme se fasse lors de la visite de Macron. Talon n’a pas respecté le calendrier », explique un proche du chef de l’État ivoirien.